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lundi 21 décembre 2020





J’eusse préféré que l’année commençât un 1er Avril, comme aux temps anciens, avant que Charles IX n’en décide autrement. Nous nous éveillerions dans les bruissements du printemps. Le soleil, lassé de la torpeur hivernale, commencerait plus tôt son ascension, essuyant d’un revers de rayon les larmes de rosée, miroirs convexes où se reflète notre monde.

Convexe, notre monde l’est déjà. Pas besoin de miroir sorcière pour créer de reflet monstrueux. Le ver était dans la pomme bien avant que le virus ne la croque à pleines dents. Pollution , corruption, perversion, trahison , extermination, la liste des méfaits de l’homme est universelle et intemporelle. La distanciation sociale ne peut rien contre la schizophrénie du pouvoir qui gangrène les nations. L’homme est un loup pour l’homme, et les loups vivent en meute, dissimulés dans les interstices du World Wide Web.

Bien mal en a pris à ceux qui ont accueilli les ondes électroniques comme une bénédiction. Ils n’ont pas mesuré que face à leur écran, ils étaient face à un miroir sans tain, derrière lequel se tapissaient les agents invisibles de leur asservissement. Ainsi, de confinés, les internautes se sont retrouvés condamnés à cliquer à perpétuité. L’outil numérique, autrefois si ludique, s’est mué en engin explosif dynamitant le plaisir que nous avions à cueillir les jours.

La dictature du digital, voilà l’empreinte que l’année finissante laissera à la postérité. Le toucher des claviers ou des écrans tactiles, c’est à quoi s’est réduite notre fonction haptique depuis le printemps dernier. La machine est venue s’interposer entre les humains. Le lien hypertexte a supplanté le lien social. L’enfer, ce n’est plus les autres, mais bien soi-même. La nuit tombée, nos visages pixélisés se reflètent sur des écrans obscurs, miroirs convexes de notre humanité à jamais morcelée.




vendredi 30 octobre 2020







Paris n’est plus une fête. Les restaurants et cafés, autrefois fleurons de l’exception française, sont devenus moribonds. Des serveurs désoeuvrés, à la mise impeccable, tentent de faire bonne figure en accomplissant des gestes mécaniques autour de guéridons endeuillés, ajustant la position d'une assiette ou d’un verre. L'heure avance et le client tant souhaité ne vient pas. Les quelques convives attablées présentent une mine abattue que l’absorption d’alcool ne parvient pas à égayer. Les mets qu’ils engloutissent à la hâte ont la saveur du repas du condamné. 


C’est que le couvre-feu va bientôt recouvrir de son linceul la Ville Lumière qui plongera une fois encore dans l’obscurité du confinement. Le rideau va tomber. Il faudra s’acheminer à contrecoeur vers son logis et se préparer pour une autre traversée des ténèbres, cette fois-ci automnale. La grisaille et le froid règnent en maître dans  le paysage mental et urbain. Ce n’est pas la peine de mort dont nous avons écopé, mais la peine de vie. 


Si nous avons tant de peine à vivre, si nous vivons avec tant de peine aussi, c’est que nous ne vivons plus vraiment. Nous ne faisons que survivre. Il est au moins une chose dont nous avons pris conscience, nous qui sommes blasés de tout, étourdis que nous sommes par le divertissement pascalien, c'est que nous sommes encore en vie ! Mais cette vie que nous tenions absolument pour acquise ne tient qu’au fil que le virus à tête couronnée agite de ses mains, faisant de nous les marionnettes de son vaste théâtre d’ombres. 


Acta est fabula! La pièce est finie. Nous qui voulions tenir un rôle à la mesure de notre grandeur ne sommes plus que de pauvres hères, décrivant des cercles erratiques dans ce cirque planétaire gangrené par l’hubris humaine. Dans la tragédie qui se joue, nous voilà contraints d’épouser le sort de comédiens sans rôle  dont la vie, que le roi maudit Macbeth a si justement dépeinte, se réduit à une ombre qui passe, un pauvre acteur qui parade et s’agite pendant un temps sur scène et  qu’on n’entend plus ensuite: « Life's but a walking shadow, a poor player, / That struts and frets his hour upon the stage, / And then is heard no more ».  


Shakespeare, par delà les légendes et les siècles, aura toujours le dernier mot…


vendredi 16 octobre 2020







    Covid, Le retour ! Voici le sequel du film catastrophe auquel toute la France avait été conviée au printemps dernier. Mais si le soleil avait réussi à nous faire avaler la pilule amère du confinement, son éclipse saisonnière durant ce couvre-feu va nous laisser un goût de cendre dans la bouche. Pas que le goût d’ailleurs, même la couleur. Grise sera notre mine comme gris est le ciel automnal. Et ce n’est pas  la tonalité de notre paysage audiovisuel qui nous éclaircira le teint... 

   En effet, on ne voit guère la vie en rose devant son petit écran. Epidémie, écologie, émeutes  et j’en oublie, se taillent la part du lion des sujets débattus. Certains producteurs, conscients de la morosité ambiante, ont parié sur l’amour et misé de nous faire rêver dans un pré. Mais hélas, le décor pastoral n’est qu’un leurre. Aucune poésie!  Adieu, veaux, vaches, cochons! l’amour est feint et l’humour défunt. Quant aux documentaires, ils font pleurer dans les chaumières : au lieu de nous revivifier, ils nous dévitalisent. Entre les réfugiés, les rescapés, et les réanimés, comment parviendrait-on à s’évader ?


    Au rayon fiction, bien évidemment. Mais là, rien de bien folichon. La sinistrose bat des records d’audience. La fiction dépasse la réalité. Les héros hauts en couleurs appartiennent au passé. Plus de plan large et d’épopée, mais des peuplades de victimes éplorées en plan serré. Vous l’aurez compris, les scripts sont des cryptosermons. On nous trouve trop égoïstes. Nous manquons d’empathie. Et, comme les temps changent, ce ne sont plus les curés en soutane qui se chargent de l’homélie, mais des scénaristes dysthymiques en mal d'endorphines, qui finiront, si nous n’y prenons garde, par asphyxier notre humeur bien avant que Covid n'asphyxie nos poumons….

mercredi 7 octobre 2020

   





 Qui l’eût cru ! Moi qui le vouais aux gémonies, je lui voue aujourd’hui un culte immodéré. Il est vrai que, sans lui, ma vie serait bien morne. Non seulement me permet-il de donner libre cours à ma fantaisie, mais aussi m’autorise-t-il à lui confier, dans un murmure, mes pensées les plus intimes. Que ce soit mes angoisses ou mes colères, il les reçoit avec l’equanimité d’un sage antique.


   Aussi je le lui rends bien. Dès le saut du lit, il accapare mon esprit. Je songe à lui  en inspectant ma garde-robe. Je m’interroge sur la tenue qui lui siérait le plus. Je ne voudrais pour rien au monde commettre d’impair vestimentaire et le froisser, lui qui varie de style et d’étoffe au gré de mes caprices. Il faut me comprendre. Il m’accompagne sur terre comme sous terre, sur la mer et dans les airs. Son attachement à ma personne est indéfectible. Qui eût pu rêver d’une abnégation aussi totale !


   Grâce à lui, toutes les portes s’ouvrent, les ailes me poussent. Protecteur à l'extrême et séducteur hors pair, il me procure le sentiment d’être invulnérable et inégalable. Il me suffit de pénétrer dans un lieu pour que tous les yeux convergent vers moi. Les femmes m’envient , les hommes m’implorent du regard. Je n’ai même pas besoin d’ouvrir la bouche pour faire des ravages. 


   Mais je lui dois trop le respect. Un gentleman m’aborde-t-il? Je passe mon chemin et garde obstinément le silence. Je ne pourrais  jamais commettre d’infidélité en me séparant de lui. Il est consubstantiel à ma survie. C’est grâce à lui que mon coeur  bat encore et que je respire à pleins poumons. Que ferais-je en effet sans toi, Ô masque béni !




dimanche 13 septembre 2020





Bien que nouvel accessoire de mode et de séduction, le masque anticovid, aussi élégant et aussi propice soit-il à entretenir le mystère, a tôt fait de se transformer,  au fil des heures, en instrument de mortification. Irrité, notre épiderme l’est tout autant que l’état de notre humeur, vu l’accumulation des bouffées de gaz carbonique que notre narine offusquée inhale à longueur de journée. Mais reprenez espoir! Voici quelques moyens imparables pour ne plus vous infliger, dans les espaces publics, le port de ce cilice.


 Le premier a trait à l’une de nos fonctions vitales : celui de se sustenter. Le quotient de désirabilité des terrasses de café et tables de restaurant a connu, de ce fait, une croissance inespérée. Que l’on soit seul ou accompagné, l’on ne craint plus d’attendre un temps relativement long pour poser son séant et déposer à l’abri des regards le rectangle de polypropylène détesté. Les Parisiens ne mangent plus sur le pouce, ils prennent enfin leur temps. La durée des repas s’allonge démesurément. On mastique avec lenteur, on savoure, on déglutit même à contrecœur, car plus vite se vide l’assiette, plus tôt doit-on céder sa place et remettre l’appendice buccal indésirable.


En contrepartie, l’embonpoint revient en force. Les poignées d’amour refont surface. On fulmine. Au lieu d’une taille de guêpe, nous voilà pourvu(e)s de celle d’un bourdon! Pris de remords, nous entrons dans un bureau de tabac et déchirons avec dépit la cellophane d’un paquet de cigarettes. Entre les calories et la nicotine, notre coeur ne balance pas : on  préfère cette dernière substance, d’autant que, Dieu soit loué, il nous est permis de retirer le satané masque pour porter à nos lèvres le réconfort momentané. Mais on ne tarde pas à concevoir que ce succédané n’est pas le plus approprié. Imaginez si Covid a la mauvaise idée de nous visiter. Il aurait vite fait de nous terrasser en s’attaquant à nos poumons atrophiés.


 Alors, pour éviter que notre vie ne parte en fumée, on pense à la troisième option, qui a la mérite, tout en contournant l’obligation d’arborer l’accessoire naso-buccal, de remédier à notre obésité naissante et de décrasser nos poumons : le vélo! Oui, la petite reine a détrôné la trottinette au grand galop et nous exonère du devoir auquel doit se plier tout piéton parisien. Alors on se remet en selle, on pédale, on pédale, on pédale jusqu’à n’en plus pouvoir, ivres de liberté , jusqu’à ce qu’une toux brutale nous arrête dans notre élan. Eh oui, à Paris, ce n’est pas tant Covid qui nous guette à vélo, mais les microparticules. En fin de compte, on n’échappe jamais, à Paris, au port d’un masque…

vendredi 28 août 2020





Fléau du ciel ou bienfait des dieux selon que l’on soit monothéiste ou polythéiste, à chacun son avis sur la pandémie Covid. Les partisans de Malthus doivent en tout cas se frotter les mains. Ce virus fait des miracles, démographiquement parlant . Surtout qu’il cible les populations dites improductives et qu’il faut, en plus, nourrir à nos frais. D’aucuns m’accuseront de cynisme, je l’avoue , mais moi j’affirme que hâter la mort de ceux qui ont eu une belle vie n’est rien en comparaison de l’ôter à ceux qui viennent seulement de voir le jour. 


Que mes détracteurs  emploient donc leur temps libre à  lire les préceptes prônés, au Siècle des Lumières, par le non moins cynique Jonathan Swift dans son traité  A Modest Proposal. Sans doute seront-ils horrifiés de découvrir que l’un des auteurs favoris de leur enfance fut en même temps l’instigateur du cannibalisme infantile. Qui eût pu penser que l’auteur des Voyages de Gulliver  aurait l’esprit assez tordu pour  proposer de savourer la chair tendre, je cite,  « d’ un  jeune enfant bien sain, bien nourri, qui , à l’âge d’un an, est un aliment délicieux, très-nourrissant et très-sain, bouilli, rôti, à l’étuvée ou au four, (…) en fricassée ou en ragoût. » Mais bien évidemment, tout cela n’est que pure satire, et Swift comme moi, en sommes férus. 


Satire ou pas, on ne peut nier  que cette pandémie, si elle contribue au malheur de certains corps de métier, fait le bonheur d’autres professions dont les représentants, il faut bien le dire, s’engraissent à nos dépens. L’on ne peut nier que Covid fait les choux gras de l’industrie pharmaceutique. Masques jetables, gels désinfectants, gants chirurgicaux, visières de protection, voilà la manne tombée du ciel qui trône en tête de gondole dans toute pharmacie qui se respecte. Les entreprises funéraires ne sont pas en reste. Les croque-morts ont maintenant le teint frais et l’oeil pétillant. Finie l’époque de quatre mariages et un enterrement !  Les proportions sont inversées. 


D’ailleurs il faudrait être sot pour convoler en justes noces en ce moment. Distanciation sociale oblige, il faudrait un bras télescopique pour glisser l’anneau nuptial à sa promise. Sans compter que  les mariés seraient bien marris de faire lit à part dans la chambre nuptiale. Remarquez, à mariage non consommé, divorce bien mérité, et, par voie de conséquence, chute de la natalité assurée. N’est-ce pas aussi ce que préconisait Malthus? Mais si ce dernier se réjouirait de voir ses prédictions vérifiées, Swift serait bien en peine de proposer ses fricassées de bambins potelés, puisque de bambins, il n’y en aurait point. 


Covid programmerait-il l’extinction de la race humaine? Rien de cela. Entre  les vieillards mal en point et les bambins, il se trouvera toujours une population d’humains qui s’avanceront masqués au sens propre, comme ils l’ont été jusqu’ici au sens figuré. Partant, le paradoxe inhérent à Covid est qu’il met l’homme à nu en l’obligeant à porter un masque. Quel farceur, ce virus …

mercredi 29 avril 2020








HOME SWEET HOME, tel est le nouveau refrain qu’entonnent les citoyens du monde, confinés dans leur logis en cette période de pandémie. A cause du Corona, il a bien fallu que la peuplade des terriens nomades se sédentarise. Le foyer est devenu l’épicentre de leurs activités. A la triade « métro , boulot,  dodo »,  a succédé celle du « Frigo , réseaux sociaux, dodo ». 

Pour les plus manuels, la cuisine, autrefois lieu de passage, s’est métamorphosée en un îlot paradisiaque avec son vivier inépuisable de recettes culinaires. Les grands chefs étoilés ont révélé quelques-uns de leurs secrets. Pour une fois, on les a vus mettre la main à la pâte en Live . Ils nous ont fait saliver devant des plats élaborés  aux saveurs du passé et aux ingrédients depuis longtemps oubliés : rutabagas, panais et topinambours . Ainsi, grâce à Covid, le micro-ondes a pour une fois été congédié, et avec lui les produits congelés. 

Quant aux plus cérébraux , ils ont élu le salon meilleure pièce de l’année. Nouveaux adeptes de la religion du canapé, ils n’oublient jamais, chaque matin, de bénir le dieu  invisible sans lequel aucune transcendance n’est possible: le WIFI. Viennent après les génuflexions devant l’instrument de leur culte : le laptop , ou sa version condensée, le smartphone, cordon ombilical qui les relie à la matrice digitale. De cet accouplement contre-nature est né un homme nouveau à l’hybridité paradoxale: si la technologie, grâce au don d’ubiquité qu’elle lui offre, lui confère la stature de « l’homme augmenté » qui voit tout et entend tout par delà les frontières et les mers, l’immobilité physique le réduit aussi au statut d ´« homme diminué » , condamné à végéter sur son divin canapé. 

Quand le danger de la sursollicitation numérique le guette à la fin de la journée, il devient renégat et oriente sa foi vers la déesse cathodique. Tenant de la mère nourricière et de la mère castratrice, celle-ci lui tend ses mamelles audiovisuelles réconfortantes tout autant qu'elle lui assène ses sermons moralisateurs. "Dieu te garde de croiser Lucifer Covid sur ton chemin !",  lui serine-t-elle. "Tu y laisserais ton âme!". 

Dépité, l’homme augmenté-diminué ne sait plus à quel saint se vouer, quand son oreille perçoit, à la tombée de la nuit, une cacophonie des plus étranges . Pythagore aurait-il eu raison,  et les sphères célestes feraient-elles entendre leur musique dissonante pour signifier à l’homme leur mécontentement ? Non, ce n’est que le voisin d’en face qui, pris d’un accès de solidarité subite, tape bruyamment sur une casserole dans un vacarme à réveiller les morts— qui ne se réveilleront pas …

vendredi 17 avril 2020





Covid 19, on ne peut le nier, est avant tout un globe-trotter hors-pair et un prestidigitateur de vies humaines. Mais ce qui le distingue de loin de ses congénères, c’est qu’il réunit à la fois les qualités d’un surdictateur et d’un surtrendsettter. En plus de redessiner, à une vélocité interstellaire, la carte démographique mondiale, le virus pangolinesque recèle le pouvoir inégalé d’uniformiser les discours ( qu’ils soient politiques ou médiatiques), les comportements mais aussi les habitudes vestimentaires de la population de la planète Terre. Dans son omnipotence, il impose sa loi à tous les chefs d’état et tous les citoyens du globe. Du jamais vu ! 

Pour nous en rendre compte, il suffit de nous tourner vers la médiasphère et surfer sur la vague des chaînes en continu de notre poste de télévision, cordon ombilical qui nous relie au monde. Le terme « vague » est bien trop faible dans le contexte présent, car c’est à une déferlante d’images et de sons que nous devons faire face. Quels que soient la nation concernée et le medium linguistique utilisé, le paysage audiovisuel se fait le véhicule d'une pensée unique: CONFINEMENT ! Pour garder la tête hors de l’eau face aux discours monolithiques qui manquent de nous submerger à quelque heure de la journée que ce soit, la seule bouée de sauvetage qui se présente métaphoriquement à notre esprit est—ironie suprême quand on connaît la pénurie des respirateurs artificiels— le masque à oxygène. La suffocation est en effet à son comble quand les Politiques de tous les continents se mettent à entonner en choeur le même refrain : Restez chez vous ! Stay at home ! Quédese en casa! Resta a casa! Bleiben vie zuhause! S’ensuit la litanie du bilan chiffré des combattants infortunés tombés au champ d’honneur, au cas où aurait germé dans notre cerveau la velléité d’enfreindre l’article 3 du décret d’état d’urgence. 

SI Covid 19 contribue à l’uniformisation de la parole des Politiques, il contribue aussi à celle des comportements et modes vestimentaires humains. En premier lieu, l’adoption d’un rituel très codifié a été érigé en principe universel : celui de l’hygiène des mains. Dans cette optique, plusieurs videos circulent sur la Toile pour initier le confiné à cet art. A lire les sous-titres destinés aux malentendants,  la description de la pratique s’apparente à une rencontre amoureuse entre vos deux mains . N’y est-il pas  fait mention de mouvements de « paume contre paume » et de « doigts entrelacés »?  En second lieu, l’article 3, dans sa grande bonté, pourvoit au sentiment de claustrophobie qui peut s’abattre sur le confiné ainsi qu’au gain pondéral que son immobilisation forcée pourra occasionner. En ce sens, Il lui octroie la permission de faire de l’exercice physique, à raison d’une heure par jour, dans un périmètre restreint. Mais certains confinés, surtout parmi les plus âgés, ont interprété cette permission comme une obligation. Il n’est donc pas rare que je croise, lors de mon périple pédestre quotidien, des têtes chenues au bord de l’asystolie, réclamant l’extrême onction à des pompiers ébahis .

Vu la frénésie sportive qui s’est emparée de la planète, l'on peut aisément comprendre que parmi les pièces de choix de la mode vestimentaire, les paires de runnings figurent en bonne place. On préconisera celles qui ne portent  pas le label « made in China »— lésiner sur le confort et la tenue du pied serait préjudiciable, surtout au vu de la durée extensible de l’isolation forcée. Les talons sont bien sûr à proscrire: ils éveilleraient la suspicion des services de police. Ne pas oublier que l’heure quotidienne dans un périmètre restreint est destiné à l’exercice physique individuel en plein air, et non pas l'activité physique à deux dans un espace privé. Quant aux accessoires les plus prisés de la collection de cette saison, on signalera le panier à provisions. Grâce à lui, le confiné peut bénéficier d’une autre autorisation de sortie de sa maison-prison. Les autorités ont en effet perçu qu’un ventre bien rempli est la condition indispensable à la non-infraction de l’article 3. 

Mais l’attribut inclassable du confiné, c’est quand même le masque de protection qu’il lui est vivement conseillé de porter. L’engouement que ce rectangle de tissu a suscité d’un continent à l’autre est pour le moins inédit. Si l’on en juge par la profusion de tutos dans toutes les langues sur une plateforme vidéo, on ne peut qu’admirer le degré d’inventivité et de créativité dont ont fait preuve les confinées. Mais  la machine à coudre n’est pas la seule à retrouver ses lettres de noblesse. A l’’imprimante 3D revient le rôle de produire sans répit des visières en plexiglass, complétant la panoplie du confiné paranoïaque . 

En fin de compte, Covid 19, tel un Dark Vador invisible, a réussi le prodige de transformer l’humanité en une armée de stormtroopers d’opérette, tout droit sortis d’un mauvais remake de Star wars. Faisant la loi sur les cinq continents, réduisant les humains à des bêtes qui se terrent et leurs dirigeants à des pantins ânonnant des  discours répétitifs, il nous fait prendre conscience de notre insignifiance sur terre. Au risque de choquer les croyants attendant le retour du messie , ne pourrait-on pas y voir plutôt un avatar de la transcendance divine descendu sur terre pour punir l’homme de son hubris ? 

samedi 11 avril 2020







Paris en temps de pandémie, c’est un peu Alésia assiégée par César. Encerclée, isolée, coupée des autres tribus gauloises par des fortifications invisibles, Paris pourtant tiendra bon et ne cédera pas à l’ennemi combattant Covid, dix-neuvième du nom. Car si Vercingétorix et les siens furent acculés à la capitulation par la faim, ses descendants ont de quoi se sustenter, et même avec délices, comme Hannibal en son temps à Capoue. 

Si chaque soir, tout chef de famille tient conseil autour de l’âtre, ce n’est pas pour échafauder un plan de bataille mais pour coucher sur papier libre, après moult cogitations, la liste des provisions de bouche des jours à venir. Sont à bannir les produits susceptibles de causer un dommage irréparable à l’organisme. Point de fromage à pâte molle, salmonellose oblige. Du lait pasteurisé surtout. Veto sur les fruits de mer, surtout les huitres. Il ne manquerait plus qu’une intoxication vînt couronner le tout ! Une fois n’est pas coutume, une incursion au rayon confiseries est tolérée, même fortement souhaitée. Non que Le paterfamilias fasse montre de largesse envers sa progéniture, mais il sait, par expérience, que le glucose est un allié infaillible pour prévenir toute tentative de guerre civile en son logis.  

Chose admirable, il ne délègue plus les corvées des courses alimentaires à sa concubine. Il veut, dit-il,  lui épargner les queues interminables devant l’unique supérette de sa rue. Le confinement lui aurait-il rendu la parcelle d’humanité qu’il avait perdue à force de livrer bataille sur son lieu de travail? La question reste à débattre. Mais une chose est indubitable : il a repris ses pleins pouvoirs de mâle alpha et maintient que respirer l’air extérieur peut être fatal à la maîtresse de maison. "Trop risqué", répète-t-il à l’envi. "Le covid serait bien capable de te choisir comme prochaine victime. As-tu pensé comment je ferais, moi, pour te remplacer auprès des multiples fruits de tes entrailles ?" 

D’ailleurs sa femelle béta excelle dans tant d’autres domaines qu’il serait infiniment dommage qu’elle gaspille son énergie à remplir un caddie. Cela retarderait la préparation du repas, facteur de cohésion familiale ô combien important, surtout en temps de siège. La famille, il n’y a rien de plus sacré. Et pour cause : on ne peut même plus faire confiance à son voisin. Il cite le cas de délation dont a fait l’objet un certain soldat de sa troupe, célibataire bien malgré lui. Le pauvre hère, miné par la solitude, avait osé dépasser de cinq minutes la permission de sortie octroyée par le commandement gaulois suprême. Il lui en a coûté une forte retenue sur sa prébende qu’il désirait consacrer à l’achat du produit de la vigne de Montmartre renommée pour ses vertus thérapeutiques.


Vous l’aurez compris, le nerf de la guerre, face au Covid, c’est l’alimentation. D’ailleurs, ne nous  invite-t-on pas à investir seulement dans de comestibles biens de consommation? Les plus grandes perdantes, dans l’histoire qui s’écrit, ce sont celles dont le colocataire est assez malin pour les mettre seules à contribution. Celles qui s'en sortiront à moindres frais sont celles qui connaissent sur le bout des doigts le temps de cuisson d’un oeuf mollet. Les autres, quant à elles, commenceront enfin à montrer les dents et à entrer en rébellion après tant de semaines de confinement. Après tout, Jules César, en conquérant la Gaule, a aussi apporté aux femmes une certaine émancipation. Et le Covid est bien parti pour faire aboutir cette nouvelle révolution . 

jeudi 2 avril 2020

"The time is out of joint !": Le temps est hors de ses gonds. Nous nous faisons l’écho d’Hamlet d’un hémisphère à l’autre car, il faut bien le reconnaître, c’est une tragédie élisabéthaine qui se joue sur la scène du monde. Dans leur course effrénée, les mois du calendrier nous entraînent dans une mascarade qui se mue en danse macabre où la Camarde y tient le premier rôle. Le 1er avril a des allures de 1er Novembre. Ce ne sont plus les canulars mais les corbillards qui circulent dans les rues. Les poissons, d’ailleurs sont bannis des conversations— le virus aurait vu le jour sur un étal d'espèces aquatiques en Extrême-Orient. Ils ont été remplacés par les chrysanthèmes, denrée rare, car les fleurs ont elles aussi déserté nos salons. Seuls les biens de première nécessité sont accessibles en rayon, nous serine-t-on ...

Nécessité oblige,  il faut bien mettre le nez dehors, ne serait-ce que pour faire quelques provisions —des confiseries surtout, histoire de faire un pied de nez au confinement. Une règle d’or: se munir de l’attestation autorisant la sortie du territoire de notre habitation. Car nous sommes assignés à résidence, vingt-trois heures sur vingt-quatre. Pour respirer à l’air libre et risquer un oeil dans la rue, il faut se plier à un bon nombre de réglementations. Couvrir les parties du corps susceptibles d’attirer l’attention: le corona a un appétit féroce et n’est pas tant friand de nos mains, que de nos lèvres et de nos yeux. 

C’est mardi gras tous les jours, en somme, et le thème retenu, cette année, a une consonance militaire: Opération tempête du désert. Gants, foulards et verres polarisants font partie de notre panoplie de survie. Le désert à Paris est un désert de macadam et non de sable, et le soleil, sentinelle imperturbable, surveille de son promontoire céleste le théâtre des opérations.

 Une heure, c’est peu, surtout quand on est contraint de prendre part aux processions devant les magasins d’alimentation. Quelques escarmouches éclatent, quand un individu ne respecte pas les règles de distanciation. Hormis ces incidents, le silence est pesant, déchiré par moments par le cri lancinant des sirènes d’ambulances. Les patrouilles de forces de l’ordre quadrillent le quartier, nous rappelant que nous sommes tous, sans le savoir,  complices potentiels de l’ennemi viral en guerre contre l’humanité.

Les heures s’égrènent avec lenteur. Sous le pont Mirabeau, coule la Seine, mais la joie ne vient plus après la peine. La nature nous manque cruellement en ce printemps naissant. Elle offrait une richesse à nos sens dont nous n’étions plus conscients. Alors nous fixons le miroir noir de nos écrans pour éviter de soutenir le regard plein de désarroi que nous renvoie les surfaces miroitantes de notre prison. Ce n’est plus Shakespeare mais l’épitre de Paul aux Corinthiens qui nous revient en mémoire : « Aujourd'hui nous voyons au moyen d’un miroir, d'une manière obscure »… 



lundi 23 mars 2020





Paris vidé, pari gagné! L’Empire du Milieu, à défaut de te conquérir, a néanmoins répandu la terreur en exportant de ses frontières l’agent de la destruction humaine. Depuis, ta population terrifiée a déserté tes rues pour se barricader chez elle, et le souvenir des fléaux anciens hante les consciences.Toute l’iconographie médiévale de la Peste Noire refait surface. La nouvelle mode, c’est de porter des masques chirurgicaux—pour mieux respirer ses propres miasmes. Certains contemplent avec envie les appendices en forme de bec d’oiseau qu’arboraient les médecins du Moyen Age. Si l’on en portait de tels, la distance sociale serait respectée, se disent-ils. Ironiquement, ce sont ceux à l’instinct le plus grégaire et qui postillonnent à longueur de phrase qui se fendent de tels commentaires…

Une envie soudaine de prendre l’air? Malheur à celui qui, pris d’une toux subite, vous oblige à le dévisager d’un air furibond et à  faire un bond de côté incontrôlé. Sans y prendre garde, vous écrasez la patte d’un specimen de l'espèce canine que tout l’arrondissement a promené. Pauvre bête ! Il est bien mal payé des services qu’il rend aux habitants du quartier. Son statut a évolué, sans que personne ne s’en émeuve, d’ailleurs. D’animal de compagnie, il est devenu bête de somme, sauf que de somme, il n’en fait jamais. Il se prend à rêver quelquefois et à imaginer qu’il est réincarné en chat. On dit qu’il a neuf vies, celui-là…

 L’enfer, c’est les autres, vous dites-vous. Cette phrase, n’importe qui aurait pu l’inventer. Pourquoi donc a-t-il fallu qu’un philosophe s’en approprie la paternité! Vous voulez en avoir le coeur net. Vous rentrez chez vous, évitez surtout la concierge qui, sous prétexte de prendre de vos nouvelles, est bien capable de vous contaminer, et, après vous être frotté vigoureusement les mains avec un précieux liquide d’une manière compulsive tout autant que répulsive, vous vous ruez sur votre laptop. Merci Google! Lui seul parvient à calmer l’agitation due à vos émotions. Enfin, une réponse à vos cogitations. L’enfer, c’est les autres : « Cette citation est une des plus fameuses de Jean-Paul Sartre. Elle achève la pièce de théâtre Huis Clos. », lisez-vous. Tiens, une pièce de théâtre. Vous voulez en savoir plus. Et si vous vous plongiez dans sa lecture? 

Mais le bruit assourdissant du poste de télé de votre voisin sourd a tôt fait de mettre vos nerfs à rude épreuve. Vous regrettez le temps de votre enfance où les journaux télévisés en boucle n’avaient pas encore contaminé votre espace sonore.Les discours répétitifs des politiques qui psalmodient, sur un ton monocorde, les recommandations sanitaires les plus élémentaires vous rappellent les télécrans de la dystopie d’Orwell. Alors, excédé par ce lavage de cerveaux médiatique,  vous ouvrez la première page de 1984: « C’était une journée d’avril froide et claire. Les horloges sonnaient treize heures. » Enfin quelqu’un qui a compris que le monde est une horloge détraquée. Mais où trouver son grand horloger? 

samedi 14 mars 2020




N’ayons pas peur des mots: nous vivons en ce moment sous le régime de la terreur. Terreur de notre prochain. Terreur de nos propres mains qui peuvent se retourner contre nous et se transformer en armes meurtrières. Il a suffi d’un virus levantin pour abolir non seulement les frontières géographiques mais aussi celles de la sagesse humaine.

Il suffit d’adopter l’œil amusé d’un entomologiste pour observer l’agitation de nos congénères qui prennent d’assaut, telle une nuée d’insectes, les rayons des savonnettes ou brandissent leur baïonnette courroucée quand les stocks de gel antiseptique sont épuisés. Face à cet ennemi impalpable, qui se joue des précautions prophylactiques, l’homme, aussi puissant qu’il soit, baisse les armes et se révèle un couard.

C’est que la mort a pris cet hiver un autre visage. Elle ne se contente plus de planer au-dessus des champs de bataille, de récompenser le crime ou de donner un coup de grâce à la vieillesse et à la maladie. Elle sert plus que jamais les desseins obscurs d’un destin aveugle.Celle que certains redoutent sans penser qu’elle n’est que la compagne invisible de leur vie a eu le temps de fourbir ses armes et de mettre au point un plan de bataille transcontinental. Alliée des airs et des mers , elle trace son sillon létal sur la planète apeurée et choisit le poumon de l’homme comme théâtre de ses opérations fatales.

Vous comme moi , serons peut-être le combustible de sa nouvelle machine de guerre. Alors , pendant qu’il est encore temps, respirons la vie à pleins poumons. Faisons  front,  et offrons à cet ennemi sans visage l’image d’un peuple conquérant et impavide, confiant et serein. Il n’y a pas de plus grande victoire que celle que l’on remporte sur soi-même .

vendredi 7 février 2020





La vengeance est un plat qui se mange froid. La peste soit de la vengeance! me direz-vous. Ne nous apprend-on pas, dans les livres sacrés, à pardonner notre prochain? Et pourquoi, par ailleurs, puiser dans le répertoire culinaire pour la métaphoriser, cette vengeance ?

Pour tout vous  dire, il y a des années lumières que le sacré a migré sous d’autres cieux—pas chrétiens du tout, ceux-là—et que, lorsque l’on se donne la peine de lire, notre choix se porte sur d’autres œuvres que les Saintes Écritures. Quant à manger froid, quelle hérésie! Ne nous mortifions pas plus qu’il ne se doit. A l’heure du micro-onde et des plaques à induction, les mets glacés appartiennent à l’ère quaternaire, bien avant que l’idée ingénieuse de frotter deux silex n’ait germé dans le cortex d’un hominidé curieux .

Si je prône la vengeance, elle doit avoir la saveur d’un festin, comme l’hypotypose suivante vous en convaincra. Imaginez une table dressée avec des cratères en argent ciselé et incrustés de rubis dans lesquels un Ganymède expert verserait à l’envi le nectar de Bacchus; un maître d’hôtel à l’exigence insubmersible, qui accueillerait mon hôte avec l’onctuosité d’une crème anglaise. Un chef de rang à la démarche chaloupée qui le précèderait  jusqu’à sa table; un serveur au pas cadencé qui ferait pirouetter des assiettes au fumet délicat sous son nez avant de les déposer sur une nappe damassée. Puis, pour clore ces agapes, une farandole de desserts: pâtes brisées ,coulis de fruits rouges, amandes pilées, galettes de blé concassé , crème fouettée, éclairs et forêts noires, le tout accompagné d’un Ruinart millésimé.

Mais où se trouve votre vengeance, me direz-vous? Vous offrez à votre hôte un banquet des plus fastes. Rien qui puisse le refroidir. Bien au contraire, vous échauffez ses sens. Avez-vous donc perdu le sens? Vous ruiner pour votre ennemi , est-ce bien raisonnable ?

A quoi je rétorquerai: s’il est une personne dont  je veuille bien me venger, c’est de vous, lecteur aveugle qui ne vous arrêtez qu’a la lisière des mots. Votre acidité n’a d’égale que la douceur sucrée des mets linguistiques que j’offre à votre palais, mais votre fiel ne peut qu’être emporté par les coulées de miel de mon langage.

Sachez qu’il n’y a pas de meilleure vengeance que celle que l’on conçoit par les mots, dont la violence cachée vous a échappé. Il n’y avait pas de cerise sur le gâteau proposé à mon hôte. Si vous aviez observé la post-modification adjectivale des pâtes, crèmes, amandes et galettes proposées, vous auriez sans doute décelé  le sous-texte suppliciel qui lui était infligé.

Soyons moins gourmands à l’avenir .La vengeance, si elle existe, ne sera jamais un plat. Seule la mort peut nous venger des affronts subis. Mais on ne sait jamais à quelle sauce l’on sera mangé...



jeudi 30 janvier 2020








  Il est des soirs qui sonnent comme le tocsin de la défaite. Quand le bataillon interminable des heures, transperçant  de leur baïonnette le pâle soleil d’hiver, le jettent dans la Seine complice qui le glisse furtivement dans les plis de son corsage de moire. 

L’espoir courageux a pourtant livré bataille , croisant le fer avec son ennemi juré et brandissant son étendard au dessus de la mêlée, mais rien n’a pu empêcher la débâcle : la victoire tomba inéluctablement aux mains du désespoir.


 Plus aucune étoile n’éclaire le ciel aussi noir que l’ ardoise vierge d’un écolier enfui. Drapée dans son linceul, la lune morte en couche gît dans l’obscurité, veillée par la sentinelle de la nuit, en pleurs.

dimanche 19 janvier 2020





Allée des cygnes. Du pont de Grenelle à celui de Bir Hakeim, tu offres ton îlot de quiétude au promeneur solitaire en quête de plénitude.

La nuit, tu déroules ton tapis d’ombre parcouru de part en part du frémissant scintillement des réverbères, vigiles dociles et impassibles montant la garde au bord de la Seine au sein aussi sombre que l’Erèbe.

Puis le jour pointe. Plus matinaux que les autres, des sportifs isolés dont le cœur bat plus vite à défaut de battre plus fort, effleurent tes dalles de leurs pieds ailés, inhalant ton air frais et exhalant la frayeur d’une nuit sans sommeil. Ils évitent du regard ceux dont le cœur bat pour deux,  venus cadenasser leur amour au pied de la dame à la couronne drapée de vert, sœur cadette de celle qui brandit le flambeau du Nouveau Monde.

Viennent ensuite les âmes esseulées: vieillards désemparés, chiens muselés, ados déboussolés juchés sur des bancs déglingués, SDF chargés de sacs pleins du  vide de leur existence, et moi, que plus aucune amarre ne retient à ce monde depuis que mon cœur exsangue s’est emmuré vivant dans un tombeau sans nom.

Mais, ne voilà-t-il pas que, à mi-chemin de mon pèlerinage, fière et hiératique, souveraine sans trône mais indétrônable, la majestueuse dame de fer transperce le ciel lourd de mauvais présages de l’éperon de son casque?

J’attendrai la venue du crépuscule, ce moment magique où elle déposera les armes et où son armure d’acier se transmuera en tenue étoilée. Puis je reviendrai vers toi, allée aux cygnes depuis longtemps envolés, et ton ruban de terre bordé d’arbres dénudés portera mes pas jusqu’à ton extrémité où , prenant un nouveau départ, je viendrai, peut-être, décadenasser le fantôme d’un amour qui n’a jamais existé .