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dimanche 26 juin 2022


Depuis l’antiquité, nous inclinons à concevoir notre existence en termes de navigation, de traversée maritime s’achevant sur le rivage de notre finitude. Quant à la trajectoire entre notre berceau et notre tombeau, nous en laissons le fantasque tracé des contours au cartographe suprême. Ainsi certains, dotés du feu qui anime les conquistadors, voguent de méridien en méridien. D’autres, moins aventuriers, se contentent de tracer leur sillon dans un périmètre de quelques empans. Mais quelle que soit l’étendue de leurs pérégrinations, les êtres humains aussi divers soient-ils, ne se construisent ou ne se détruisent que dans le rapport qu’ils entretiennent avec l’Autre, humain ou non humain.

 En tant que première interface avec le monde, notre corps est ce que nous offrons à la perception de cet autre, ami ou ennemi. Amphore de nos émotions d'où débordent souvent nos sentiments, c’est en lui que s’écoule le précipité de notre expérience. A cet autre, que l'on nommera ami, l'amphore communiquera, par sa porosité, le vécu intime qu'elle garde jalousement contre son flanc, tandis que de sa friction avec l'autre, désigné comme ennemi, surgiront progressivement des fissures sur son galbe qui, exposé aux éléments que sont les circonstances, se transmueront en brisures comme autant de déchirures de l'âme.

 Mais que l'on se rassure! Comme cet art venu du Soleil Levant qui ourle de filaments d'or les fêlures des vases précieux, notre devenir métamorphique teindra d'argent nos tempes; et lorsque notre corps-amphore tombera en poussière, une fois atteint le rivage inconnu, les souvenirs que nous léguerons à ces autres que nous avons tant aimés se déposeront, comme le limon fertile de l'Orénoque, au fond de l'urne de nos funérailles.