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mercredi 29 avril 2020








HOME SWEET HOME, tel est le nouveau refrain qu’entonnent les citoyens du monde, confinés dans leur logis en cette période de pandémie. A cause du Corona, il a bien fallu que la peuplade des terriens nomades se sédentarise. Le foyer est devenu l’épicentre de leurs activités. A la triade « métro , boulot,  dodo »,  a succédé celle du « Frigo , réseaux sociaux, dodo ». 

Pour les plus manuels, la cuisine, autrefois lieu de passage, s’est métamorphosée en un îlot paradisiaque avec son vivier inépuisable de recettes culinaires. Les grands chefs étoilés ont révélé quelques-uns de leurs secrets. Pour une fois, on les a vus mettre la main à la pâte en Live . Ils nous ont fait saliver devant des plats élaborés  aux saveurs du passé et aux ingrédients depuis longtemps oubliés : rutabagas, panais et topinambours . Ainsi, grâce à Covid, le micro-ondes a pour une fois été congédié, et avec lui les produits congelés. 

Quant aux plus cérébraux , ils ont élu le salon meilleure pièce de l’année. Nouveaux adeptes de la religion du canapé, ils n’oublient jamais, chaque matin, de bénir le dieu  invisible sans lequel aucune transcendance n’est possible: le WIFI. Viennent après les génuflexions devant l’instrument de leur culte : le laptop , ou sa version condensée, le smartphone, cordon ombilical qui les relie à la matrice digitale. De cet accouplement contre-nature est né un homme nouveau à l’hybridité paradoxale: si la technologie, grâce au don d’ubiquité qu’elle lui offre, lui confère la stature de « l’homme augmenté » qui voit tout et entend tout par delà les frontières et les mers, l’immobilité physique le réduit aussi au statut d ´« homme diminué » , condamné à végéter sur son divin canapé. 

Quand le danger de la sursollicitation numérique le guette à la fin de la journée, il devient renégat et oriente sa foi vers la déesse cathodique. Tenant de la mère nourricière et de la mère castratrice, celle-ci lui tend ses mamelles audiovisuelles réconfortantes tout autant qu'elle lui assène ses sermons moralisateurs. "Dieu te garde de croiser Lucifer Covid sur ton chemin !",  lui serine-t-elle. "Tu y laisserais ton âme!". 

Dépité, l’homme augmenté-diminué ne sait plus à quel saint se vouer, quand son oreille perçoit, à la tombée de la nuit, une cacophonie des plus étranges . Pythagore aurait-il eu raison,  et les sphères célestes feraient-elles entendre leur musique dissonante pour signifier à l’homme leur mécontentement ? Non, ce n’est que le voisin d’en face qui, pris d’un accès de solidarité subite, tape bruyamment sur une casserole dans un vacarme à réveiller les morts— qui ne se réveilleront pas …

vendredi 17 avril 2020





Covid 19, on ne peut le nier, est avant tout un globe-trotter hors-pair et un prestidigitateur de vies humaines. Mais ce qui le distingue de loin de ses congénères, c’est qu’il réunit à la fois les qualités d’un surdictateur et d’un surtrendsettter. En plus de redessiner, à une vélocité interstellaire, la carte démographique mondiale, le virus pangolinesque recèle le pouvoir inégalé d’uniformiser les discours ( qu’ils soient politiques ou médiatiques), les comportements mais aussi les habitudes vestimentaires de la population de la planète Terre. Dans son omnipotence, il impose sa loi à tous les chefs d’état et tous les citoyens du globe. Du jamais vu ! 

Pour nous en rendre compte, il suffit de nous tourner vers la médiasphère et surfer sur la vague des chaînes en continu de notre poste de télévision, cordon ombilical qui nous relie au monde. Le terme « vague » est bien trop faible dans le contexte présent, car c’est à une déferlante d’images et de sons que nous devons faire face. Quels que soient la nation concernée et le medium linguistique utilisé, le paysage audiovisuel se fait le véhicule d'une pensée unique: CONFINEMENT ! Pour garder la tête hors de l’eau face aux discours monolithiques qui manquent de nous submerger à quelque heure de la journée que ce soit, la seule bouée de sauvetage qui se présente métaphoriquement à notre esprit est—ironie suprême quand on connaît la pénurie des respirateurs artificiels— le masque à oxygène. La suffocation est en effet à son comble quand les Politiques de tous les continents se mettent à entonner en choeur le même refrain : Restez chez vous ! Stay at home ! Quédese en casa! Resta a casa! Bleiben vie zuhause! S’ensuit la litanie du bilan chiffré des combattants infortunés tombés au champ d’honneur, au cas où aurait germé dans notre cerveau la velléité d’enfreindre l’article 3 du décret d’état d’urgence. 

SI Covid 19 contribue à l’uniformisation de la parole des Politiques, il contribue aussi à celle des comportements et modes vestimentaires humains. En premier lieu, l’adoption d’un rituel très codifié a été érigé en principe universel : celui de l’hygiène des mains. Dans cette optique, plusieurs videos circulent sur la Toile pour initier le confiné à cet art. A lire les sous-titres destinés aux malentendants,  la description de la pratique s’apparente à une rencontre amoureuse entre vos deux mains . N’y est-il pas  fait mention de mouvements de « paume contre paume » et de « doigts entrelacés »?  En second lieu, l’article 3, dans sa grande bonté, pourvoit au sentiment de claustrophobie qui peut s’abattre sur le confiné ainsi qu’au gain pondéral que son immobilisation forcée pourra occasionner. En ce sens, Il lui octroie la permission de faire de l’exercice physique, à raison d’une heure par jour, dans un périmètre restreint. Mais certains confinés, surtout parmi les plus âgés, ont interprété cette permission comme une obligation. Il n’est donc pas rare que je croise, lors de mon périple pédestre quotidien, des têtes chenues au bord de l’asystolie, réclamant l’extrême onction à des pompiers ébahis .

Vu la frénésie sportive qui s’est emparée de la planète, l'on peut aisément comprendre que parmi les pièces de choix de la mode vestimentaire, les paires de runnings figurent en bonne place. On préconisera celles qui ne portent  pas le label « made in China »— lésiner sur le confort et la tenue du pied serait préjudiciable, surtout au vu de la durée extensible de l’isolation forcée. Les talons sont bien sûr à proscrire: ils éveilleraient la suspicion des services de police. Ne pas oublier que l’heure quotidienne dans un périmètre restreint est destiné à l’exercice physique individuel en plein air, et non pas l'activité physique à deux dans un espace privé. Quant aux accessoires les plus prisés de la collection de cette saison, on signalera le panier à provisions. Grâce à lui, le confiné peut bénéficier d’une autre autorisation de sortie de sa maison-prison. Les autorités ont en effet perçu qu’un ventre bien rempli est la condition indispensable à la non-infraction de l’article 3. 

Mais l’attribut inclassable du confiné, c’est quand même le masque de protection qu’il lui est vivement conseillé de porter. L’engouement que ce rectangle de tissu a suscité d’un continent à l’autre est pour le moins inédit. Si l’on en juge par la profusion de tutos dans toutes les langues sur une plateforme vidéo, on ne peut qu’admirer le degré d’inventivité et de créativité dont ont fait preuve les confinées. Mais  la machine à coudre n’est pas la seule à retrouver ses lettres de noblesse. A l’’imprimante 3D revient le rôle de produire sans répit des visières en plexiglass, complétant la panoplie du confiné paranoïaque . 

En fin de compte, Covid 19, tel un Dark Vador invisible, a réussi le prodige de transformer l’humanité en une armée de stormtroopers d’opérette, tout droit sortis d’un mauvais remake de Star wars. Faisant la loi sur les cinq continents, réduisant les humains à des bêtes qui se terrent et leurs dirigeants à des pantins ânonnant des  discours répétitifs, il nous fait prendre conscience de notre insignifiance sur terre. Au risque de choquer les croyants attendant le retour du messie , ne pourrait-on pas y voir plutôt un avatar de la transcendance divine descendu sur terre pour punir l’homme de son hubris ? 

samedi 11 avril 2020







Paris en temps de pandémie, c’est un peu Alésia assiégée par César. Encerclée, isolée, coupée des autres tribus gauloises par des fortifications invisibles, Paris pourtant tiendra bon et ne cédera pas à l’ennemi combattant Covid, dix-neuvième du nom. Car si Vercingétorix et les siens furent acculés à la capitulation par la faim, ses descendants ont de quoi se sustenter, et même avec délices, comme Hannibal en son temps à Capoue. 

Si chaque soir, tout chef de famille tient conseil autour de l’âtre, ce n’est pas pour échafauder un plan de bataille mais pour coucher sur papier libre, après moult cogitations, la liste des provisions de bouche des jours à venir. Sont à bannir les produits susceptibles de causer un dommage irréparable à l’organisme. Point de fromage à pâte molle, salmonellose oblige. Du lait pasteurisé surtout. Veto sur les fruits de mer, surtout les huitres. Il ne manquerait plus qu’une intoxication vînt couronner le tout ! Une fois n’est pas coutume, une incursion au rayon confiseries est tolérée, même fortement souhaitée. Non que Le paterfamilias fasse montre de largesse envers sa progéniture, mais il sait, par expérience, que le glucose est un allié infaillible pour prévenir toute tentative de guerre civile en son logis.  

Chose admirable, il ne délègue plus les corvées des courses alimentaires à sa concubine. Il veut, dit-il,  lui épargner les queues interminables devant l’unique supérette de sa rue. Le confinement lui aurait-il rendu la parcelle d’humanité qu’il avait perdue à force de livrer bataille sur son lieu de travail? La question reste à débattre. Mais une chose est indubitable : il a repris ses pleins pouvoirs de mâle alpha et maintient que respirer l’air extérieur peut être fatal à la maîtresse de maison. "Trop risqué", répète-t-il à l’envi. "Le covid serait bien capable de te choisir comme prochaine victime. As-tu pensé comment je ferais, moi, pour te remplacer auprès des multiples fruits de tes entrailles ?" 

D’ailleurs sa femelle béta excelle dans tant d’autres domaines qu’il serait infiniment dommage qu’elle gaspille son énergie à remplir un caddie. Cela retarderait la préparation du repas, facteur de cohésion familiale ô combien important, surtout en temps de siège. La famille, il n’y a rien de plus sacré. Et pour cause : on ne peut même plus faire confiance à son voisin. Il cite le cas de délation dont a fait l’objet un certain soldat de sa troupe, célibataire bien malgré lui. Le pauvre hère, miné par la solitude, avait osé dépasser de cinq minutes la permission de sortie octroyée par le commandement gaulois suprême. Il lui en a coûté une forte retenue sur sa prébende qu’il désirait consacrer à l’achat du produit de la vigne de Montmartre renommée pour ses vertus thérapeutiques.


Vous l’aurez compris, le nerf de la guerre, face au Covid, c’est l’alimentation. D’ailleurs, ne nous  invite-t-on pas à investir seulement dans de comestibles biens de consommation? Les plus grandes perdantes, dans l’histoire qui s’écrit, ce sont celles dont le colocataire est assez malin pour les mettre seules à contribution. Celles qui s'en sortiront à moindres frais sont celles qui connaissent sur le bout des doigts le temps de cuisson d’un oeuf mollet. Les autres, quant à elles, commenceront enfin à montrer les dents et à entrer en rébellion après tant de semaines de confinement. Après tout, Jules César, en conquérant la Gaule, a aussi apporté aux femmes une certaine émancipation. Et le Covid est bien parti pour faire aboutir cette nouvelle révolution . 

jeudi 2 avril 2020

"The time is out of joint !": Le temps est hors de ses gonds. Nous nous faisons l’écho d’Hamlet d’un hémisphère à l’autre car, il faut bien le reconnaître, c’est une tragédie élisabéthaine qui se joue sur la scène du monde. Dans leur course effrénée, les mois du calendrier nous entraînent dans une mascarade qui se mue en danse macabre où la Camarde y tient le premier rôle. Le 1er avril a des allures de 1er Novembre. Ce ne sont plus les canulars mais les corbillards qui circulent dans les rues. Les poissons, d’ailleurs sont bannis des conversations— le virus aurait vu le jour sur un étal d'espèces aquatiques en Extrême-Orient. Ils ont été remplacés par les chrysanthèmes, denrée rare, car les fleurs ont elles aussi déserté nos salons. Seuls les biens de première nécessité sont accessibles en rayon, nous serine-t-on ...

Nécessité oblige,  il faut bien mettre le nez dehors, ne serait-ce que pour faire quelques provisions —des confiseries surtout, histoire de faire un pied de nez au confinement. Une règle d’or: se munir de l’attestation autorisant la sortie du territoire de notre habitation. Car nous sommes assignés à résidence, vingt-trois heures sur vingt-quatre. Pour respirer à l’air libre et risquer un oeil dans la rue, il faut se plier à un bon nombre de réglementations. Couvrir les parties du corps susceptibles d’attirer l’attention: le corona a un appétit féroce et n’est pas tant friand de nos mains, que de nos lèvres et de nos yeux. 

C’est mardi gras tous les jours, en somme, et le thème retenu, cette année, a une consonance militaire: Opération tempête du désert. Gants, foulards et verres polarisants font partie de notre panoplie de survie. Le désert à Paris est un désert de macadam et non de sable, et le soleil, sentinelle imperturbable, surveille de son promontoire céleste le théâtre des opérations.

 Une heure, c’est peu, surtout quand on est contraint de prendre part aux processions devant les magasins d’alimentation. Quelques escarmouches éclatent, quand un individu ne respecte pas les règles de distanciation. Hormis ces incidents, le silence est pesant, déchiré par moments par le cri lancinant des sirènes d’ambulances. Les patrouilles de forces de l’ordre quadrillent le quartier, nous rappelant que nous sommes tous, sans le savoir,  complices potentiels de l’ennemi viral en guerre contre l’humanité.

Les heures s’égrènent avec lenteur. Sous le pont Mirabeau, coule la Seine, mais la joie ne vient plus après la peine. La nature nous manque cruellement en ce printemps naissant. Elle offrait une richesse à nos sens dont nous n’étions plus conscients. Alors nous fixons le miroir noir de nos écrans pour éviter de soutenir le regard plein de désarroi que nous renvoie les surfaces miroitantes de notre prison. Ce n’est plus Shakespeare mais l’épitre de Paul aux Corinthiens qui nous revient en mémoire : « Aujourd'hui nous voyons au moyen d’un miroir, d'une manière obscure »…