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vendredi 1 juillet 2022


Ce temps qui défigure, je le guette chaque matin au réveil, devant mon miroir. C’est dans une confrontation avec moi-même, lorsque mon visage fait face à mon propre visage dans un duel sans armes, que je mesure ce que ce flux impalpable et pourtant implacable inflige à mon image. Oui, le temps a passé. Je ne suis plus ce que j’étais. Mais ai-je un jour voulu être ce que j’ai vraiment été? 

Les traces visuelles éparses qui jonchent les albums de mon passé me répondent que non. Elles sont comme les feuilles d’un herbier que j'eus tôt fait d’oublier au fond d’une malle, dans le grenier de ma mémoire. D’ailleurs, ces moments immortalisés sur du papier glacé ne m’appartiennent pas. Ils m’ont été volés. En témoigne mon regard froid, distant, celui d'une enfant qui exprime sans un mot le désaccord le plus retentissant. Pourquoi ne pas bouger et à tout prix sourire?

Dans mon refus de jouer l'enfant modèle devant l'objectif d'un parent aimant, rien de bien alarmant. Je fus bien plus heureuse que ces clichés ne le laissent entendre. La prescience enfantine de ce que la vie recèle en creux, les constantes oscillations de la sensibilité qu'elle imprime à la conscience, telle serait plutôt la clé de lecture de ce regard d'enfant qui peut sembler étrange. 

L'enfant a mûri. L'adulte maintenant esquisse un infime sourire. A elle-même. Et surtout pour les autres. Elle a enfin saisi la raison des séances de pose savamment orchestrées : dans cette joute inégale entre le temps et nous-mêmes, c'est l'éphémère glorieux qu'elles se sont ingéniées à célébrer. Alors détournons-nous des miroirs peu flatteurs et laissons tous ces obturateurs crépiter de par le monde. Pour qu'une trace de nous demeure sur terre et fasse naître des étoiles dans les yeux de ceux qui nous survivront.