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vendredi 30 octobre 2020







Paris n’est plus une fête. Les restaurants et cafés, autrefois fleurons de l’exception française, sont devenus moribonds. Des serveurs désoeuvrés, à la mise impeccable, tentent de faire bonne figure en accomplissant des gestes mécaniques autour de guéridons endeuillés, ajustant la position d'une assiette ou d’un verre. L'heure avance et le client tant souhaité ne vient pas. Les quelques convives attablées présentent une mine abattue que l’absorption d’alcool ne parvient pas à égayer. Les mets qu’ils engloutissent à la hâte ont la saveur du repas du condamné. 


C’est que le couvre-feu va bientôt recouvrir de son linceul la Ville Lumière qui plongera une fois encore dans l’obscurité du confinement. Le rideau va tomber. Il faudra s’acheminer à contrecoeur vers son logis et se préparer pour une autre traversée des ténèbres, cette fois-ci automnale. La grisaille et le froid règnent en maître dans  le paysage mental et urbain. Ce n’est pas la peine de mort dont nous avons écopé, mais la peine de vie. 


Si nous avons tant de peine à vivre, si nous vivons avec tant de peine aussi, c’est que nous ne vivons plus vraiment. Nous ne faisons que survivre. Il est au moins une chose dont nous avons pris conscience, nous qui sommes blasés de tout, étourdis que nous sommes par le divertissement pascalien, c'est que nous sommes encore en vie ! Mais cette vie que nous tenions absolument pour acquise ne tient qu’au fil que le virus à tête couronnée agite de ses mains, faisant de nous les marionnettes de son vaste théâtre d’ombres. 


Acta est fabula! La pièce est finie. Nous qui voulions tenir un rôle à la mesure de notre grandeur ne sommes plus que de pauvres hères, décrivant des cercles erratiques dans ce cirque planétaire gangrené par l’hubris humaine. Dans la tragédie qui se joue, nous voilà contraints d’épouser le sort de comédiens sans rôle  dont la vie, que le roi maudit Macbeth a si justement dépeinte, se réduit à une ombre qui passe, un pauvre acteur qui parade et s’agite pendant un temps sur scène et  qu’on n’entend plus ensuite: « Life's but a walking shadow, a poor player, / That struts and frets his hour upon the stage, / And then is heard no more ».  


Shakespeare, par delà les légendes et les siècles, aura toujours le dernier mot…


vendredi 16 octobre 2020







    Covid, Le retour ! Voici le sequel du film catastrophe auquel toute la France avait été conviée au printemps dernier. Mais si le soleil avait réussi à nous faire avaler la pilule amère du confinement, son éclipse saisonnière durant ce couvre-feu va nous laisser un goût de cendre dans la bouche. Pas que le goût d’ailleurs, même la couleur. Grise sera notre mine comme gris est le ciel automnal. Et ce n’est pas  la tonalité de notre paysage audiovisuel qui nous éclaircira le teint... 

   En effet, on ne voit guère la vie en rose devant son petit écran. Epidémie, écologie, émeutes  et j’en oublie, se taillent la part du lion des sujets débattus. Certains producteurs, conscients de la morosité ambiante, ont parié sur l’amour et misé de nous faire rêver dans un pré. Mais hélas, le décor pastoral n’est qu’un leurre. Aucune poésie!  Adieu, veaux, vaches, cochons! l’amour est feint et l’humour défunt. Quant aux documentaires, ils font pleurer dans les chaumières : au lieu de nous revivifier, ils nous dévitalisent. Entre les réfugiés, les rescapés, et les réanimés, comment parviendrait-on à s’évader ?


    Au rayon fiction, bien évidemment. Mais là, rien de bien folichon. La sinistrose bat des records d’audience. La fiction dépasse la réalité. Les héros hauts en couleurs appartiennent au passé. Plus de plan large et d’épopée, mais des peuplades de victimes éplorées en plan serré. Vous l’aurez compris, les scripts sont des cryptosermons. On nous trouve trop égoïstes. Nous manquons d’empathie. Et, comme les temps changent, ce ne sont plus les curés en soutane qui se chargent de l’homélie, mais des scénaristes dysthymiques en mal d'endorphines, qui finiront, si nous n’y prenons garde, par asphyxier notre humeur bien avant que Covid n'asphyxie nos poumons….

mercredi 7 octobre 2020

   





 Qui l’eût cru ! Moi qui le vouais aux gémonies, je lui voue aujourd’hui un culte immodéré. Il est vrai que, sans lui, ma vie serait bien morne. Non seulement me permet-il de donner libre cours à ma fantaisie, mais aussi m’autorise-t-il à lui confier, dans un murmure, mes pensées les plus intimes. Que ce soit mes angoisses ou mes colères, il les reçoit avec l’equanimité d’un sage antique.


   Aussi je le lui rends bien. Dès le saut du lit, il accapare mon esprit. Je songe à lui  en inspectant ma garde-robe. Je m’interroge sur la tenue qui lui siérait le plus. Je ne voudrais pour rien au monde commettre d’impair vestimentaire et le froisser, lui qui varie de style et d’étoffe au gré de mes caprices. Il faut me comprendre. Il m’accompagne sur terre comme sous terre, sur la mer et dans les airs. Son attachement à ma personne est indéfectible. Qui eût pu rêver d’une abnégation aussi totale !


   Grâce à lui, toutes les portes s’ouvrent, les ailes me poussent. Protecteur à l'extrême et séducteur hors pair, il me procure le sentiment d’être invulnérable et inégalable. Il me suffit de pénétrer dans un lieu pour que tous les yeux convergent vers moi. Les femmes m’envient , les hommes m’implorent du regard. Je n’ai même pas besoin d’ouvrir la bouche pour faire des ravages. 


   Mais je lui dois trop le respect. Un gentleman m’aborde-t-il? Je passe mon chemin et garde obstinément le silence. Je ne pourrais  jamais commettre d’infidélité en me séparant de lui. Il est consubstantiel à ma survie. C’est grâce à lui que mon coeur  bat encore et que je respire à pleins poumons. Que ferais-je en effet sans toi, Ô masque béni !