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jeudi 2 avril 2020

"The time is out of joint !": Le temps est hors de ses gonds. Nous nous faisons l’écho d’Hamlet d’un hémisphère à l’autre car, il faut bien le reconnaître, c’est une tragédie élisabéthaine qui se joue sur la scène du monde. Dans leur course effrénée, les mois du calendrier nous entraînent dans une mascarade qui se mue en danse macabre où la Camarde y tient le premier rôle. Le 1er avril a des allures de 1er Novembre. Ce ne sont plus les canulars mais les corbillards qui circulent dans les rues. Les poissons, d’ailleurs sont bannis des conversations— le virus aurait vu le jour sur un étal d'espèces aquatiques en Extrême-Orient. Ils ont été remplacés par les chrysanthèmes, denrée rare, car les fleurs ont elles aussi déserté nos salons. Seuls les biens de première nécessité sont accessibles en rayon, nous serine-t-on ...

Nécessité oblige,  il faut bien mettre le nez dehors, ne serait-ce que pour faire quelques provisions —des confiseries surtout, histoire de faire un pied de nez au confinement. Une règle d’or: se munir de l’attestation autorisant la sortie du territoire de notre habitation. Car nous sommes assignés à résidence, vingt-trois heures sur vingt-quatre. Pour respirer à l’air libre et risquer un oeil dans la rue, il faut se plier à un bon nombre de réglementations. Couvrir les parties du corps susceptibles d’attirer l’attention: le corona a un appétit féroce et n’est pas tant friand de nos mains, que de nos lèvres et de nos yeux. 

C’est mardi gras tous les jours, en somme, et le thème retenu, cette année, a une consonance militaire: Opération tempête du désert. Gants, foulards et verres polarisants font partie de notre panoplie de survie. Le désert à Paris est un désert de macadam et non de sable, et le soleil, sentinelle imperturbable, surveille de son promontoire céleste le théâtre des opérations.

 Une heure, c’est peu, surtout quand on est contraint de prendre part aux processions devant les magasins d’alimentation. Quelques escarmouches éclatent, quand un individu ne respecte pas les règles de distanciation. Hormis ces incidents, le silence est pesant, déchiré par moments par le cri lancinant des sirènes d’ambulances. Les patrouilles de forces de l’ordre quadrillent le quartier, nous rappelant que nous sommes tous, sans le savoir,  complices potentiels de l’ennemi viral en guerre contre l’humanité.

Les heures s’égrènent avec lenteur. Sous le pont Mirabeau, coule la Seine, mais la joie ne vient plus après la peine. La nature nous manque cruellement en ce printemps naissant. Elle offrait une richesse à nos sens dont nous n’étions plus conscients. Alors nous fixons le miroir noir de nos écrans pour éviter de soutenir le regard plein de désarroi que nous renvoie les surfaces miroitantes de notre prison. Ce n’est plus Shakespeare mais l’épitre de Paul aux Corinthiens qui nous revient en mémoire : « Aujourd'hui nous voyons au moyen d’un miroir, d'une manière obscure »… 



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