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dimanche 29 juillet 2018

A la mémoire d'Ellie Soutter

Je t’imagine, au réveil, en ce matin d’été resplendissant. Tu viens enfin d’avoir 18 ans . Personne ne pourra te reprocher ainsi d’avoir agi comme une enfant.

Tu parcours du regard ta chambre. Les draps froissés de ton lit dans lesquels tu as mûri ton projet au cours de ces longues nuits d’insomnie; le miroir de ton armoire où tu t’es regardée fixement en essayant vainement de savoir qui tu étais vraiment. Dans un soupir , tu ranges dans un tiroir les photos de tes exploits,  et tous ces formulaires qu’il t’a fallu remplir en vue de ces championnats à l’autre bout du monde . 

Tu sais qu’ils attendront de toi d’avoir rédigé une lettre. Mais tu préfères leur laisser couvrir la page blanche de leurs interrogations. Ils ne comprendraient pas, de toute façon, eux qui savouraient  tes prochaines victoires par procuration. Tu étais leur Reine des Neiges, l’honneur de leur nation. 

La seule trace que tu veux laisser de toi,  c’est l’empreinte de tes pas sur les sentiers de montagne de cette forêt qui t’a émerveillée quand tu l’as découverte, enfant , lors de ton exil en France. Ce fut ta première rencontre avec la fée Neige. Un paysage de contes. C’est cette forêt qui t’a accueillie les bras ouverts quand tu as voulu échapper à ce monde d’adultes qui avait décidé de ton avenir pour toi. 

Avant de partir, tu serres fort dans tes bras ton compagnon de ces huit dernières années, ce snowboard bleuté où s’épanouissent des roses. C’est ta fierté. Grâce à lui , tu as côtoyé les cimes et glissé comme par magie sur les versants immaculés, fendant la poudreuse encore vierge de toute présence humaine. 

Le soleil s’est levé depuis un bon moment déjà. Le village s’anime. Tu lui adresses un dernier regard avant de  diriger tes pas vers le Mont Chéry. Tu sais que le trajet sera long. Mais la vue en son sommet est de celles que l’on n'oublie jamais. 

Tu l’as enfin atteint, ton but ultime. Tu embrasses l’horizon vert émeraude avec des yeux emplis d’admiration, toi, l’enfant d’Albion qui a maintenant 18 ans. C’est ton plus bel anniversaire. Ton dernier aussi. Tel est ton choix. Tu bois une gorgée d’eau en attendant qu’une longue léthargie ne t’envahisse, et tu te dis que tu n’en veux plus de ce titre de Reine des Neiges . Tu as toujours préféré les princesses aux reines dans les contes qu’on te lisait, enfant . 

Sur la page blanche, ils inscriront maintenant : ci-gît la Belle au Bois Dormant . 



lundi 23 juillet 2018

On n’a jamais fini d’apprendre dans cette vie. Apprendre des choses sur le monde qui nous entoure, sur soi-même aussi . Mais pour ce qui est de comprendre, le mystère s’épaissit plus qu’il ne se dissipe. On peut certes saisir certains mécanismes grâce aux sciences. Archimède nous a renseignés sur la poussée exercée sur tout corps plongé dans un liquide. Newton a démontré, par la loi sur la gravitation universelle, pourquoi nous gardons les pieds sur terre . Mais l’on ne peut nier que beaucoup d’entre nous marchent sur la tête et se noient dans un verre d’eau .


C’est que l’esprit est aussi imprévisible que l’est le climat quand il se dérègle. De même qu’Il suffit du battement d’aile d’un papillon au Brésil pour que se déchaine une tornade au Texas, de même suffit-il d’un battement de cils pour que la raison vacille et commence à battre de l’aile. Point n’est de théorème pour expliquer ce phénomène. Pourtant ce n’est pas faute d’avoir cherché .
Depuis la nuit des temps , on a tenté de déceler la cause des agissements humains défiant l’entendement et de faire la lumière sur certaines attractions peu respectables ou addictions préjudiciables. On a scruté les astres à l’aide d’astrolabes, examiné le déploiement céleste des oiseaux, et même interprété les entrailles de bêtes sacrifiées.
Puis les temps ont changé. Après avoir exploré le vaste macrocosme, on a préféré se recentrer sur le microcosme de l’humain. On s’est hissé sur son arbre généalogique pour tenter de dénicher un trisaïeul à l’ADN identique, puis, plus récemment, on a cheminé sur les sentiers tortueux de sa petite enfance après l’avoir invité à s’allonger sur un divan. Véritable parcours du combattant que de se frayer un chemin entre le moi, le surmoi et le "ça" de son inconscient.
En fin de compte, qu’a-t-il appris sur lui, le bel énergumène? Des choses qui lui ont certainement retourné les entrailles et valu de consulter, non pas un haruspice, mais un diplômé en médecine. Il a dû aussi beaucoup lever les yeux au ciel, l’olibrius, non pas pour contempler le genre aviaire, mais pour honnir ce trisaïeul dont il partage honteusement le vice. Finalement, pour échapper au pugilat auquel se livrent son « ça » et son surmoi , il a décidé de bannir de son séjour tout divan pouvant raviver le souvenir de sa pénible anamnèse et de faire l’acquisition d’un tatami sur lequel il pourra s’adonner, à l'occasion, à la médiation de pleine conscience . Car , il l’a bien compris, au diable le passé et l’avenir: seul compte le présent!