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vendredi 7 février 2020





La vengeance est un plat qui se mange froid. La peste soit de la vengeance! me direz-vous. Ne nous apprend-on pas, dans les livres sacrés, à pardonner notre prochain? Et pourquoi, par ailleurs, puiser dans le répertoire culinaire pour la métaphoriser, cette vengeance ?

Pour tout vous  dire, il y a des années lumières que le sacré a migré sous d’autres cieux—pas chrétiens du tout, ceux-là—et que, lorsque l’on se donne la peine de lire, notre choix se porte sur d’autres œuvres que les Saintes Écritures. Quant à manger froid, quelle hérésie! Ne nous mortifions pas plus qu’il ne se doit. A l’heure du micro-onde et des plaques à induction, les mets glacés appartiennent à l’ère quaternaire, bien avant que l’idée ingénieuse de frotter deux silex n’ait germé dans le cortex d’un hominidé curieux .

Si je prône la vengeance, elle doit avoir la saveur d’un festin, comme l’hypotypose suivante vous en convaincra. Imaginez une table dressée avec des cratères en argent ciselé et incrustés de rubis dans lesquels un Ganymède expert verserait à l’envi le nectar de Bacchus; un maître d’hôtel à l’exigence insubmersible, qui accueillerait mon hôte avec l’onctuosité d’une crème anglaise. Un chef de rang à la démarche chaloupée qui le précèderait  jusqu’à sa table; un serveur au pas cadencé qui ferait pirouetter des assiettes au fumet délicat sous son nez avant de les déposer sur une nappe damassée. Puis, pour clore ces agapes, une farandole de desserts: pâtes brisées ,coulis de fruits rouges, amandes pilées, galettes de blé concassé , crème fouettée, éclairs et forêts noires, le tout accompagné d’un Ruinart millésimé.

Mais où se trouve votre vengeance, me direz-vous? Vous offrez à votre hôte un banquet des plus fastes. Rien qui puisse le refroidir. Bien au contraire, vous échauffez ses sens. Avez-vous donc perdu le sens? Vous ruiner pour votre ennemi , est-ce bien raisonnable ?

A quoi je rétorquerai: s’il est une personne dont  je veuille bien me venger, c’est de vous, lecteur aveugle qui ne vous arrêtez qu’a la lisière des mots. Votre acidité n’a d’égale que la douceur sucrée des mets linguistiques que j’offre à votre palais, mais votre fiel ne peut qu’être emporté par les coulées de miel de mon langage.

Sachez qu’il n’y a pas de meilleure vengeance que celle que l’on conçoit par les mots, dont la violence cachée vous a échappé. Il n’y avait pas de cerise sur le gâteau proposé à mon hôte. Si vous aviez observé la post-modification adjectivale des pâtes, crèmes, amandes et galettes proposées, vous auriez sans doute décelé  le sous-texte suppliciel qui lui était infligé.

Soyons moins gourmands à l’avenir .La vengeance, si elle existe, ne sera jamais un plat. Seule la mort peut nous venger des affronts subis. Mais on ne sait jamais à quelle sauce l’on sera mangé...