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lundi 13 août 2018



«  I’m a broken guy. I’ve got a few screws loose ». Si l’on s’en tient aux propos inquiétants tenus, le 10 aout 2018, par Richard Russel, bagagiste de 29 ans aux commandes d’un bimoteur sans passagers qu’il a « volé » sur le tarmac de l’aéroport de Seattle, on serait tenté de qualifier de geste désespéré l’acte transgressif dont il s’est rendu l’auteur. Surtout que son escapade dans les airs a eu volontairement une issue tragique, ce qui nous donne tout lieu de croire qu’il avait décidé que ce vol serait le premier, mais aussi le dernier de sa courte vie. 

Le dernier, certes, mais le premier aussi, ce qui ne laisse pas de nous étonner quand on sait que le seul bagage technique qu’il possédait dans le domaine de l’aéronautique provenait de sa pratique assidue des jeux en ligne . Nous étonner, et même plus, nous émerveiller ! Car quand on constate,  sur les séquences filmées d’un amateur, son expertise en matière de pilotage et  sa maîtrise spectaculaire de l’appareil quand il s’agit de réaliser des cascades acrobatiques (pics et loopings), on tend plutôt à réviser son jugement. Geste désespéré ou revanche sur sa vie ? 

A examiner les quelques éléments biographiques que Beebo (tel est son surnom) met à notre disposition sur la page d’accueil de son blog, on peut tout d’abord mesurer le grand écart géographique qu’il a dû réaliser en passant de la Floride de sa naissance à l’Alaska de son enfance avant d’atterrir, si l’on peut dire , à Seattle. On perçoit surtout son attachement pour la contrée du Grand Nord où il affectionnait de se rendre en vacances. L’Alaska, c’est aux antipodes de la Floride tant du point de vue géographique et climatique que du point de vue environnemental. C’est la nature préservée qui tire orgueil de sa biodiversité face à la nature saccagée au profit d’une artificialité humaine revendiquée. 

Un soupçon de frustration pour son métier de bagagiste affleure-t-il au tout début de la vidéo qu’il a réalisée sur une plateforme web? Il est vite balayé par la succession de clichés de paysages découverts au gré de ses pérégrinations de par le monde, pérégrinations rendues possibles, précisément, par la compagnie aérienne qui l’emploie . Ni dans ses écrits, ni dans la tonalité de sa voix n’est-il possible de déceler une quelconque volonté d’en finir avec ce monde dont il apprécie tant la diversité et la saveur, comme celle des pâtisseries dont il est passé maître dans l’art de la confection .

Alors qu’est-ce qui a pu motiver un tel acte? Comment un homme profondément croyant, présenté comme un mari, un fils et un ami aimé de tous, a-t-il pu soudain se déclarer brisé, au point de faire décoller un avion sans autorisation, et de vouloir mourir à son bord, en provoquant son crash dans une île boisée? Sans doute que, sous sa jovialité apparente, l’ancien boulanger condamné à n’être que bagagiste nourrissait une ambition secrète. Mais il savait aussi que sa vocation lui étant venue trop tard, il lui faudrait trop de temps, trop d’argent aussi avant de parvenir à toucher les commandes de l’avion dont il n’avait en charge que la soute . Et puis lui, si épris de liberté et de grands espaces, comment aurait-il pu endurer les années d’emprisonnement qui l’attendaient s’il avait obéi aux aiguilleurs du ciel et posé l’appareil sans causer de dégâts?

 Une de tes dernières pensées, Beebo, aura été pour la maman orque inconsolable qui transportait inlassablement le corps de son bébé sans vie. Tu aurais voulu qu’on t’indique ses coordonnées géographiques pour faire, j'en suis certaine, un plongeon dans les airs et frôler l’océan, histoire de la réconforter un peu.  Comme le cétacé en deuil, tu en transportais un, de cadavre : celui de tes espoirs . A nous, maintenant , de nous en émouvoir. 

dimanche 29 juillet 2018

A la mémoire d'Ellie Soutter

Je t’imagine, au réveil, en ce matin d’été resplendissant. Tu viens enfin d’avoir 18 ans . Personne ne pourra te reprocher ainsi d’avoir agi comme une enfant.

Tu parcours du regard ta chambre. Les draps froissés de ton lit dans lesquels tu as mûri ton projet au cours de ces longues nuits d’insomnie; le miroir de ton armoire où tu t’es regardée fixement en essayant vainement de savoir qui tu étais vraiment. Dans un soupir , tu ranges dans un tiroir les photos de tes exploits,  et tous ces formulaires qu’il t’a fallu remplir en vue de ces championnats à l’autre bout du monde . 

Tu sais qu’ils attendront de toi d’avoir rédigé une lettre. Mais tu préfères leur laisser couvrir la page blanche de leurs interrogations. Ils ne comprendraient pas, de toute façon, eux qui savouraient  tes prochaines victoires par procuration. Tu étais leur Reine des Neiges, l’honneur de leur nation. 

La seule trace que tu veux laisser de toi,  c’est l’empreinte de tes pas sur les sentiers de montagne de cette forêt qui t’a émerveillée quand tu l’as découverte, enfant , lors de ton exil en France. Ce fut ta première rencontre avec la fée Neige. Un paysage de contes. C’est cette forêt qui t’a accueillie les bras ouverts quand tu as voulu échapper à ce monde d’adultes qui avait décidé de ton avenir pour toi. 

Avant de partir, tu serres fort dans tes bras ton compagnon de ces huit dernières années, ce snowboard bleuté où s’épanouissent des roses. C’est ta fierté. Grâce à lui , tu as côtoyé les cimes et glissé comme par magie sur les versants immaculés, fendant la poudreuse encore vierge de toute présence humaine. 

Le soleil s’est levé depuis un bon moment déjà. Le village s’anime. Tu lui adresses un dernier regard avant de  diriger tes pas vers le Mont Chéry. Tu sais que le trajet sera long. Mais la vue en son sommet est de celles que l’on n'oublie jamais. 

Tu l’as enfin atteint, ton but ultime. Tu embrasses l’horizon vert émeraude avec des yeux emplis d’admiration, toi, l’enfant d’Albion qui a maintenant 18 ans. C’est ton plus bel anniversaire. Ton dernier aussi. Tel est ton choix. Tu bois une gorgée d’eau en attendant qu’une longue léthargie ne t’envahisse, et tu te dis que tu n’en veux plus de ce titre de Reine des Neiges . Tu as toujours préféré les princesses aux reines dans les contes qu’on te lisait, enfant . 

Sur la page blanche, ils inscriront maintenant : ci-gît la Belle au Bois Dormant . 



lundi 23 juillet 2018

On n’a jamais fini d’apprendre dans cette vie. Apprendre des choses sur le monde qui nous entoure, sur soi-même aussi . Mais pour ce qui est de comprendre, le mystère s’épaissit plus qu’il ne se dissipe. On peut certes saisir certains mécanismes grâce aux sciences. Archimède nous a renseignés sur la poussée exercée sur tout corps plongé dans un liquide. Newton a démontré, par la loi sur la gravitation universelle, pourquoi nous gardons les pieds sur terre . Mais l’on ne peut nier que beaucoup d’entre nous marchent sur la tête et se noient dans un verre d’eau .


C’est que l’esprit est aussi imprévisible que l’est le climat quand il se dérègle. De même qu’Il suffit du battement d’aile d’un papillon au Brésil pour que se déchaine une tornade au Texas, de même suffit-il d’un battement de cils pour que la raison vacille et commence à battre de l’aile. Point n’est de théorème pour expliquer ce phénomène. Pourtant ce n’est pas faute d’avoir cherché .
Depuis la nuit des temps , on a tenté de déceler la cause des agissements humains défiant l’entendement et de faire la lumière sur certaines attractions peu respectables ou addictions préjudiciables. On a scruté les astres à l’aide d’astrolabes, examiné le déploiement céleste des oiseaux, et même interprété les entrailles de bêtes sacrifiées.
Puis les temps ont changé. Après avoir exploré le vaste macrocosme, on a préféré se recentrer sur le microcosme de l’humain. On s’est hissé sur son arbre généalogique pour tenter de dénicher un trisaïeul à l’ADN identique, puis, plus récemment, on a cheminé sur les sentiers tortueux de sa petite enfance après l’avoir invité à s’allonger sur un divan. Véritable parcours du combattant que de se frayer un chemin entre le moi, le surmoi et le "ça" de son inconscient.
En fin de compte, qu’a-t-il appris sur lui, le bel énergumène? Des choses qui lui ont certainement retourné les entrailles et valu de consulter, non pas un haruspice, mais un diplômé en médecine. Il a dû aussi beaucoup lever les yeux au ciel, l’olibrius, non pas pour contempler le genre aviaire, mais pour honnir ce trisaïeul dont il partage honteusement le vice. Finalement, pour échapper au pugilat auquel se livrent son « ça » et son surmoi , il a décidé de bannir de son séjour tout divan pouvant raviver le souvenir de sa pénible anamnèse et de faire l’acquisition d’un tatami sur lequel il pourra s’adonner, à l'occasion, à la médiation de pleine conscience . Car , il l’a bien compris, au diable le passé et l’avenir: seul compte le présent!



samedi 6 janvier 2018

L’arc-en ciel , c’est un peu comme les licornes. On en entend souvent parler , mais on ne le voit jamais . C’est à croire que l’on ne se trouve jamais au bon endroit quand il se matérialise . 
Mais avouons que l’on a tous besoin de croire en son existence : il est une page lumineuse dans la partition des orages qui secouent notre atmosphère. C’est le pied de nez multicolore que fait le soleil à la pluie , un arlequin acrobate qui fait le pont , ou , comme les poètes de l’antiquité l’ont dépeint , l’écharpe que la déesse Iris déroule lorsqu’elle descend sur terre . 
La métaphore en a fait son véhicule privilégié pour signifier la renaissance et l’espérance . Héraut de la couleur , il nous donne le courage de nous arc-bouter pour repousser la fadeur du quotidien et porter le regard de notre esprit vers un avenir plus prometteur . 
Mais , de même la magie semble-t-elle présider à sa naissance , de même nous le ravit-elle à la vue , évitant ainsi que l’on se grise de cet hôte haut en couleurs . 
La magie ... ou peut-être le divin ! Car , pour ma part , je ne l’ai contemplé que deux fois . La première , lors de la mise en terre de l’une de mes grands-mères , quand l’arche lumineuse se dessina soudain sur l’horizon de cendres comme pour oblitérer ma peine . La seconde ? Peu importe . Le divin est affaire personnelle , après tout , et le mien préfère l’ombre à la lumière , fût-elle celle d’un arc-en-ciel .