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vendredi 9 avril 2021




A la faveur de la pandémie, le champ lexicographique s’élargit : d’un printemps à l’autre, non seulement le virus papillonne et rebourgeonne, mais il donne conjointement lieu à la refloraison d’anciens vocables et à l’éclosion de nouveaux

Avec leur étymologie latine, les mots "quarantaine" et  "confinement" sont brusquement sortis de leur pénombre historique. Cela faisait plus d’un siècle qu’ils attendaient leur résurrection, depuis que la grippe espagnole, qui  ne devait pas aimer les poètes, s’en était prise à Apollinaire. 

Les Héllénistes sont aussi ravis que le terme  pédant d’ "agueusie", à la consonance néanmoins si peu poétique, soit préféré à la périphrase "perte de goût" pour définir l’un des symptômes observés. Il m’est avis que ce choix lexical n’est pas anodin : l’on craignait que l’acception gustative du mot " goût" ne soit pas perçu par les esprits chagrins, et que ce soit le tedium vitae, ou perte du goût de la vie, qui ne s’implante plutôt dans l’inconscient collectif.

Nouveauté de ce siècle où la science médicale a permis de mieux cerner la dangerosité virale, la prolifération des noms composés à visée didactique. Les "gestes barrières" désignent ainsi  le comportement à adopter pour éviter de devenir un "cas contact". Il est vrai que d’un point de vue phonologique, la séquence monosyllabe-dissyllabe s’avère un outil efficace pour vendre la prudence. Elle se grave dans la mémoire bien plus vite qu’une glose interminable.

La langue de Shakespeare, quant à elle, n’est pas en reste. On parle de "cluster" pour designer un foyer d’infection,  et on use et abuse de l’acronyme  PCR  sans même savoir qu’il est l’abréviation de  "polymerase chain reaction". 

Mais j’ai gardé pour la fin le néologisme qui fait fureur depuis le mois dernier en France. Mot hybride qui contentera Latinistes et Hellénistes, puisqu’il consacre l’union des deux étymologies, voici qu’est né  le "vaccinodrome" ! Je l’admets, le terme est d’une grande lourdeur et un peu trop racoleur, mais la réalité qu’il recouvre possède-t-elle tellement d’attraits ? 

Comme les pop stores qui rassasient notre appétit de nouveauté, le vaccinodrome n’aura qu’une existence éphémère. La guerre anticovid autorisant les réquisitions, ce sont les stades qui ont été sélectionnés. Les footeux sont maintenant réconciliés avec les gouvernants. Quel honneur pour eux de fouler le gazon  réservé aux prodiges du ballon rond! 

Finalement, le concept a du bon. Une visite au stade de France, ça ne se refuse pas. Le tourisme vaccinal est lancé ! Dans un ultime paradoxe, Covid a fait le vide dans les stades, mais c’est aux stades maintenant de faire le vide de Covid. La boucle est enfin  bouclée.