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mardi 15 mars 2022



 

Comme pour mieux brouiller les pistes génériques entre film d’action et thriller, c’est à un jeu sur le langage que nous convie le réalisateur du nouveau film sur le célèbre Homme Chauve-Souris. Les énigmes de l’Homme-Mystère alias Le Sphinx, se font légion, concurrençant les cascades et déflagrations qui ponctuent l’intrigue. C’est que le Batman imaginé par Matt Reeves est avant tout un homme cérébral, un surhomme dont les pouvoirs physiques stratosphériques n’ont d’égal que son exponentiel quotient intellectuel. Quant à son adversaire, il n’est que mirage, pure existence verbale comme l’attestent les billets doux à l’attention de son rival qu’il se complaît à disséminer sur le lieu de ses crimes. 


Au gré de devinettes griffonnées  sur des cartes artistement décorées, le langage se déploie en obéissant à la logique sadique du principal antagoniste dont la signature se réduit à un point d’interrogation. De là une entreprise constante de décryptage à laquelle prend part le spectateur qui, sans cesse sollicité, se rend compte que tout signe linguistique appelle au  déchiffrage comme en témoigne l’alliance de l’onomastique et de  la polyglossie dans la plupart des  patronymes. Falcone, nom d’un gangster de Gotham City, mais aussi substantif  désignant le faucon en italien, ne nous éclaire-t-il pas sur la vraie nature de celui qui le porte?  


Au travers de cette dilection de l’Homme-Mystère pour les mots et les énigmes, se perçoit une rémanence du ludique infantile qui prend toute sa valeur une fois sondé le passé du personnage. C’est au fil d’une analepse narrative que le spectateur découvre le traumatisme fondateur à l’origine de la genèse du dénommé Sphinx. Orphelin dont l’enfance fut digne d’un héros de  Dickens, il jure de se venger des années de souffrance endurées dans une institution sordide que, pourtant, l’édile de l’époque, Thomas Wayne, avait fait le serment de rénover. C’est donc en croisade contre la corruption de ce monde qu’il part, et sa décision d’éliminer le fils Wayne acquiert une dimension ironique quand on sait que la cible visée est orphelin lui aussi et se présente comme son double inversé.  Bruce Wayne alias Batman, n’a-t-il pas  les attraits physiques et économiques qui lui font si cruellement défaut? 


Ainsi, bien que divergeant dans leur conception de rendre la justice, les deux figures de la vengeance masquée ont  en commun d’être nés à eux-même suite à la perte inconsolable de la figure paternelle. Pourtant, si l’on éprouve indubitablement de l’empathie pour la personnalité ténébreuse de Wayne, l’on ne peut nourrir le même sentiment vis-vis de son alter ego grotesque, petit geek binoclard et rigolard qui dissimule son visage derrière un masque à gaz. Le choix du réalisateur n’est d’ailleurs pas anodin: quand sonne l’heure de la justice poétique, on ne regrette pas vraiment l’internement de cet homme des plus banals. 


Certes, le raffinement dans la torture dont Le Sphinx était passé maître le condamnait d’avance. Mais est-ce à dire que l’intention qui l’animait d’éradiquer la corruption ambiante tombe inévitablement sous le coup de la folie ? Telle semble être la grinçante morale que l’on puisse tirer. Et les dernières images d’une aube naissante, synonyme d’espoir, sonnent bien faux quand on se remémore l'esthétique du clair-obscur qui domine la pellicule où les êtres humains, orphelins de toute humanité, sont les proies de faucons, penguins et chauves-souris qui leur racontent des fables à dormir debout.

lundi 3 janvier 2022





 Entre hommages et commémorations, cette année a été fertile en génuflexions oratoires au pied du tombeau des infortunés moissonnés par la pandémie. Cette pratique encomiastique post mortem est certes louable mais, tout bien considéré, elle n’apporte de reconnaissance qu’au thuriféraire qui l’exerce, puisque le dédicataire n’est plus présent pour en savourer le fruit. Aussi, pour clore l’année, je me propose de porter un toast à la vie : honorer une interprète dont l’existence a été et est encore vouée à un art qui, parce qu’il exige un don absolu du corps, de l’esprit et de l’âme, s’élève au-dessus de tous les autres arts.


Avant de briller sur les scènes prestigieuses des théâtres chargés d'histoire qui parsèment le monde, c’est sur la scène ô combien plus précieuse de mon enfance que je t’ai vue évoluer pour la première fois. Précieuse, comme ces gemmes scintillantes que l’on conserve dans un écrin, comme l’émeraude du ballet "Joyaux" de Balanchine que tu interprétas plus tard sous les ors du palais Garnier. J’étais loin de me douter, quand, enfant,  je soulevais le couvercle d’un coffret et m’émerveillais à la vue d’une  ballerine miniature mue par un mécanisme ingénieux, que tu allais, toi, ma sœur, m’éblouir plus encore. Avec ton seul talent, sans aucun artifice, tu incarnerais les héroïnes nées sous la plume de Shakespeare, Pouchkine, Dumas, Proust,  Prévert ou Mérimée, dont les tourments parlent au coeur de tous. A l’instar de ces grands noms de la littérature, tu allais te forger un style et conter sans autre langage que celui de ta somptueuse danse le destin de Juliette, Tatiana, Marguerite , Albertine, Garance, Carmen , Manon, Nikiya et tant d’autres.


Bien avant que tu ne sois soliste, je n’eus aucun mal à discerner ta silhouette au sein du corps de ballet. La carnation diaphane de ton visage et de ton dos captait la lumière avec tant d’intensité que tu semblais nimbée d’une gloire comme ces créatures célestes figurant sur les vitraux des cathédrales. Ta légèreté éthérée quand tu t’élançais dans les airs a fait de toi une Sylphide mémorable. Quant à la douceur mélancolique inscrite dans les ports de bras de ta Giselle , elle n’a eu de cesse de nous émouvoir, ton public et moi, quand tu parvins enfin à soustraire Albrecht à la vindicte de la reine des Willis, au Royaume des Ombres. Que dire de tes jambes! Elle semblaient avoir été ciselées dans le marbre de Paros par les ciseaux d’un Phidias. 


Mon plus beau souvenir de toi, ce fut  le jour où tu fus nommée Etoile. Tu incarnais Tatiana dans le ballet Onéguine de John Cranko. Ta sensibilité avait séduit l'ayant droit du chorégraphe qui t’avait imposée comme soliste lors de la première de ce ballet qui faisait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris. C’était un soir d’avril  2009. Quand le rideau ne tomba pas comme à l’accoutumée à la fin du spectacle, je compris que ton nom s'apprêtait à être inscrit sur l'airain immatériel de la postérité. Toutes ces années passées dans ton ombre m’éclaboussaient enfin de ta lumière. C’est ce jour là, calfeutrée dans la loge tendue de velours  de l’impératrice, que je reçus de toi, sous les ovations du public en liesse, un salut empreint de majesté et de tendresse, qui semblait me dire : il faut toujours croire à sa bonne étoile …

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samedi 30 octobre 2021





 Dieu est  mort ! Voilà ce que proclamait, il y a plus d’un siècle, un certain philosophe d’outre-Rhin. La prophétie semble se réaliser aujourd’hui. La nouvelle vient de se répandre comme une trainée de poudre. Le créateur de l’univers vient de se faire détrôner par les apprentis démiurges de la Silicon Valley. Après une longue gestation cérébrale, ces derniers viennent de porter sur les fonts baptismaux leur tout dernier-né : le métavers ! 


Certains ont crié à l’outrage. Oser se comparer à Dieu ! Quel sacrilège! Le diable soit de l’Oculus Quest— pardon,  le Meta Quest!  D’autres, un peu plus raisonnables, accueillent cet univers à dimension humaine avec philosophie. Après tout, l’univers est beaucoup trop vaste, et que rapporte à l’homme de connaitre l’existence des exoplanètes sinon de le faire se détourner de la planète Terre. Au lieu de vouloir flotter dans l’atmosphère comme tant d’astronautes en herbe, mieux vaut s’occuper du trou dans sa stratosphère. L’Antarctique, quand même, mérite d'être préservé. Ce n'est plus le bout du monde, que je sache. 


Mais laissons-là les verts, et revenons au métavers, qui, pardonnez-moi l'image, me fait immanquablement penser au jardin d’Eden. En se coiffant d’un casque à réalité virtuelle, l’on se retrouve immergé dans un monde onirique comme celui généré par la pilule bleue dans Matrix. Un coup de blues dans la grisaille hivernale et vous voilà évoluant telle une hirondelle dans un azur printanier, ou virevoltant dans la salle de bal d’un palais princier. La réalité est morte, vive la réalité ( virtuelle)! 


Mais comme dans tout jardin d’Eden, le ver se dissimule dans la pomme du métavers. Le casque high-tech du chevalier des temps numériques ne sert qu’à cacher la triste réalité dans laquelle il vit. On nous promet de nous retrouver en communauté dans des espaces virtuels partagés ; mais il ne faut pas omettre que nous ne bougerons jamais de notre tanière et que si nous communiquons, ce ne sera jamais qu’avec d’autres nous-mêmes, avatars désincarnés  « sans teeth, sans eyes, sans taste, sans everything ». Ainsi disait  le mélancolique Jacques , et par son entremise,  son divin créateur Shakespeare. 


Le métavers, ce n'est pas seulement la mort de Dieu, c'est la mort de l'homme.

vendredi 9 avril 2021




A la faveur de la pandémie, le champ lexicographique s’élargit : d’un printemps à l’autre, non seulement le virus papillonne et rebourgeonne, mais il donne conjointement lieu à la refloraison d’anciens vocables et à l’éclosion de nouveaux

Avec leur étymologie latine, les mots "quarantaine" et  "confinement" sont brusquement sortis de leur pénombre historique. Cela faisait plus d’un siècle qu’ils attendaient leur résurrection, depuis que la grippe espagnole, qui  ne devait pas aimer les poètes, s’en était prise à Apollinaire. 

Les Héllénistes sont aussi ravis que le terme  pédant d’ "agueusie", à la consonance néanmoins si peu poétique, soit préféré à la périphrase "perte de goût" pour définir l’un des symptômes observés. Il m’est avis que ce choix lexical n’est pas anodin : l’on craignait que l’acception gustative du mot " goût" ne soit pas perçu par les esprits chagrins, et que ce soit le tedium vitae, ou perte du goût de la vie, qui ne s’implante plutôt dans l’inconscient collectif.

Nouveauté de ce siècle où la science médicale a permis de mieux cerner la dangerosité virale, la prolifération des noms composés à visée didactique. Les "gestes barrières" désignent ainsi  le comportement à adopter pour éviter de devenir un "cas contact". Il est vrai que d’un point de vue phonologique, la séquence monosyllabe-dissyllabe s’avère un outil efficace pour vendre la prudence. Elle se grave dans la mémoire bien plus vite qu’une glose interminable.

La langue de Shakespeare, quant à elle, n’est pas en reste. On parle de "cluster" pour designer un foyer d’infection,  et on use et abuse de l’acronyme  PCR  sans même savoir qu’il est l’abréviation de  "polymerase chain reaction". 

Mais j’ai gardé pour la fin le néologisme qui fait fureur depuis le mois dernier en France. Mot hybride qui contentera Latinistes et Hellénistes, puisqu’il consacre l’union des deux étymologies, voici qu’est né  le "vaccinodrome" ! Je l’admets, le terme est d’une grande lourdeur et un peu trop racoleur, mais la réalité qu’il recouvre possède-t-elle tellement d’attraits ? 

Comme les pop stores qui rassasient notre appétit de nouveauté, le vaccinodrome n’aura qu’une existence éphémère. La guerre anticovid autorisant les réquisitions, ce sont les stades qui ont été sélectionnés. Les footeux sont maintenant réconciliés avec les gouvernants. Quel honneur pour eux de fouler le gazon  réservé aux prodiges du ballon rond! 

Finalement, le concept a du bon. Une visite au stade de France, ça ne se refuse pas. Le tourisme vaccinal est lancé ! Dans un ultime paradoxe, Covid a fait le vide dans les stades, mais c’est aux stades maintenant de faire le vide de Covid. La boucle est enfin  bouclée.

mercredi 24 mars 2021

 





On l’attendait impatiemment, il est enfin là ! Le variant français a débarqué sans tambour ni trompette sur notre territoire. Les paris étaient ouverts : où diantre allait-il faire sa première apparition ? Certains misaient sur le Sud, mais c’est en Bretagne qu’il a établi sa garnison, histoire de narguer son rival anglo-saxon dont il a pu mesurer la présomption en lisant un ouvrage sur la Guerre de Cent Ans.  La triste fin de la Pucelle d’Orléans l’a ému aux larmes. Il s’est promis de réparer l’outrage. Pour l’heure, volant tel Pégase de région en région,  il fait ses premières armes dans le royaume des Francs. 


Franc, il ne l’est certes pas. Le variant breton s’immisce dans les poumons avec une traitrise consommée. Ses premières victimes n’en reviennent  pas : son opime discrétion lui vaut d’être indétectable! La nouvelle a mis en émoi  les épidémiologistes de notre nation. Le malicieux mutant, devançant tous ses concurrents, tire la langue et fait un pied de nez aux prélèvements salivaire et nasal. 


L’affolement dans l’Hexagone est à son comble. Pour combattre la fièvre, on prie avec ferveur. Mais le variant est un mécréant. Il n’a ni foi, ni loi. Le pire est encore à venir. Une dépêche du Royaume Uni vient de nous parvenir: dans la pouponnière des variants, un virus hybride a vu le jour. Quelle malédiction ! Que les humains s’accouplent, passe encore. Mais que des  variants de souche différente le fasse, c’en est trop !


Le sinistre sire fulmine et tourne son regard vers la Perfide Albion. Un avorton hybride anglo-saxon! Hors de question ! Avec un peu de chance, il va y avoir de la baston. Et nous  connaitrons peut-être enfin la fin de nos tourments. 

mardi 16 février 2021






Qui se frotte à Covid 19 doit se faire piquer. Mais bon nombre d’entre nous trainent la patte. On se tâte. D’ailleurs entre les vaccins AstraZeneca, Pfizer, Moderna, sans parler du Chinois et du Russe, on en perd son latin. On craint les effets secondaires, on doute de l’efficacité de l’injection face à la prolifération des variants. Bref on se trouve toutes sortes d’excuses pour éviter la piqûre.

Il y a toujours eu des sceptiques, me direz-vous . La perfide Albion, avant que le corona ne colonise ses terres, nous a d’ailleurs tenus en haleine il n’y a pas si longtemps , Euroscepticisme oblige. Quant aux climatosceptiques, ils sont de toute nationalité. Certains ont même renié la science pour se tourner vers la lecture de l’Ancien Testament et arguent que si la banquise fond, c’est que le Tout-Puissant punit les descendants d’Adam.

En attendant, les ours polaires boivent la tasse et nous, pandémie oblige,  on ne peut plus se taper la cloche au restaurant. Les cloches, on les entend sonner, par contre, mais pas celles que l’on voudrait. Une lecture s’impose : Pour qui Sonne le Glas. Mais à vous dire, je préfère Les Neiges du Kilimandjaro, du même auteur. Sans doute parce que j’aime le grand froid, moi qui ai le sang chaud. 

Vous vous demandez certainement pour quel vaccin mon coeur balance... Eh bien, sachez que mon coeur est trop bien accroché pour osciller de droite ou de gauche. Je ne suis pas sceptique non plus. Je n’aime tout simplement pas les seringues. Déjà qu’un écouvillon dans le nez m'arrache des cris d'orfraie, imaginez ce que serait pour moi une aiguille sur mon bras. Un supplice chinois, à moins qu’il ne soit russe ! Car, à entendre ce qui se passe par delà l’Oural, on préfère garder son masque et faire le signe de croix…




lundi 11 janvier 2021









Après Les Métamorphoses d’Ovide, les métamorphoses de Covid. Voilà que le virus persiste et signe, faisant un pied de nez à la déferlante de vaccins tout juste mis au point. Après avoir colonisé les poumons  des Anglo-Saxons  et  Sud-Africains, ses rejetons mutants visent à élargir leur éventail linguistique. L’anglais, lingua franca, ne leur a pas suffi. Ils veulent briller par leur polyglossie. La deuxième génération Covid s’est donc mise à l’italien , l’espagnol , l’allemand et même le scandinave! Aux dernières nouvelles elle s’initie au dialecte corse. 


Du côté des humains, la course contre la montre a commencé. On s’élance chez les médecins pour devancer l’arrivée des  polyglottes en herbe. Enfin, pas tout le monde, à vrai dire. Les plus téméraires, dirons-nous. Ceux qui  sentent vibrer en eux la fibre héroïque au point de servir de cobaye à la science médicale. Victimes sacrificielles, ils tendent leur bras dénudé pour recevoir l’injection aux vertus miraculeuses. Et rien de mieux que d’immortaliser l’acte en public pour propager l’envie…. ou son contraire.


Et nous qui croyions à notre bonne étoile quand les douze coups de minuit ont retenti. 2020, Annus Horribilis, n’a pas été sitôt inhumée que 2021 nous promet tout sauf monts et merveilles. Nous voilà repartis pour de nouvelles mascarades. Heureusement que, même si nos bouches sont bâillonnées, il nous reste nos yeux pour nous exprimer. Mais gare aux coeurs mal accrochés. On peut aussi tuer d’un regard. Quoi qu'on fasse, ce satané Covid ne cesse de faire des ravages ! 





lundi 21 décembre 2020





J’eusse préféré que l’année commençât un 1er Avril, comme aux temps anciens, avant que Charles IX n’en décide autrement. Nous nous éveillerions dans les bruissements du printemps. Le soleil, lassé de la torpeur hivernale, commencerait plus tôt son ascension, essuyant d’un revers de rayon les larmes de rosée, miroirs convexes où se reflète notre monde.

Convexe, notre monde l’est déjà. Pas besoin de miroir sorcière pour créer de reflet monstrueux. Le ver était dans la pomme bien avant que le virus ne la croque à pleines dents. Pollution , corruption, perversion, trahison , extermination, la liste des méfaits de l’homme est universelle et intemporelle. La distanciation sociale ne peut rien contre la schizophrénie du pouvoir qui gangrène les nations. L’homme est un loup pour l’homme, et les loups vivent en meute, dissimulés dans les interstices du World Wide Web.

Bien mal en a pris à ceux qui ont accueilli les ondes électroniques comme une bénédiction. Ils n’ont pas mesuré que face à leur écran, ils étaient face à un miroir sans tain, derrière lequel se tapissaient les agents invisibles de leur asservissement. Ainsi, de confinés, les internautes se sont retrouvés condamnés à cliquer à perpétuité. L’outil numérique, autrefois si ludique, s’est mué en engin explosif dynamitant le plaisir que nous avions à cueillir les jours.

La dictature du digital, voilà l’empreinte que l’année finissante laissera à la postérité. Le toucher des claviers ou des écrans tactiles, c’est à quoi s’est réduite notre fonction haptique depuis le printemps dernier. La machine est venue s’interposer entre les humains. Le lien hypertexte a supplanté le lien social. L’enfer, ce n’est plus les autres, mais bien soi-même. La nuit tombée, nos visages pixélisés se reflètent sur des écrans obscurs, miroirs convexes de notre humanité à jamais morcelée.




vendredi 30 octobre 2020







Paris n’est plus une fête. Les restaurants et cafés, autrefois fleurons de l’exception française, sont devenus moribonds. Des serveurs désoeuvrés, à la mise impeccable, tentent de faire bonne figure en accomplissant des gestes mécaniques autour de guéridons endeuillés, ajustant la position d'une assiette ou d’un verre. L'heure avance et le client tant souhaité ne vient pas. Les quelques convives attablées présentent une mine abattue que l’absorption d’alcool ne parvient pas à égayer. Les mets qu’ils engloutissent à la hâte ont la saveur du repas du condamné. 


C’est que le couvre-feu va bientôt recouvrir de son linceul la Ville Lumière qui plongera une fois encore dans l’obscurité du confinement. Le rideau va tomber. Il faudra s’acheminer à contrecoeur vers son logis et se préparer pour une autre traversée des ténèbres, cette fois-ci automnale. La grisaille et le froid règnent en maître dans  le paysage mental et urbain. Ce n’est pas la peine de mort dont nous avons écopé, mais la peine de vie. 


Si nous avons tant de peine à vivre, si nous vivons avec tant de peine aussi, c’est que nous ne vivons plus vraiment. Nous ne faisons que survivre. Il est au moins une chose dont nous avons pris conscience, nous qui sommes blasés de tout, étourdis que nous sommes par le divertissement pascalien, c'est que nous sommes encore en vie ! Mais cette vie que nous tenions absolument pour acquise ne tient qu’au fil que le virus à tête couronnée agite de ses mains, faisant de nous les marionnettes de son vaste théâtre d’ombres. 


Acta est fabula! La pièce est finie. Nous qui voulions tenir un rôle à la mesure de notre grandeur ne sommes plus que de pauvres hères, décrivant des cercles erratiques dans ce cirque planétaire gangrené par l’hubris humaine. Dans la tragédie qui se joue, nous voilà contraints d’épouser le sort de comédiens sans rôle  dont la vie, que le roi maudit Macbeth a si justement dépeinte, se réduit à une ombre qui passe, un pauvre acteur qui parade et s’agite pendant un temps sur scène et  qu’on n’entend plus ensuite: « Life's but a walking shadow, a poor player, / That struts and frets his hour upon the stage, / And then is heard no more ».  


Shakespeare, par delà les légendes et les siècles, aura toujours le dernier mot…


vendredi 16 octobre 2020







    Covid, Le retour ! Voici le sequel du film catastrophe auquel toute la France avait été conviée au printemps dernier. Mais si le soleil avait réussi à nous faire avaler la pilule amère du confinement, son éclipse saisonnière durant ce couvre-feu va nous laisser un goût de cendre dans la bouche. Pas que le goût d’ailleurs, même la couleur. Grise sera notre mine comme gris est le ciel automnal. Et ce n’est pas  la tonalité de notre paysage audiovisuel qui nous éclaircira le teint... 

   En effet, on ne voit guère la vie en rose devant son petit écran. Epidémie, écologie, émeutes  et j’en oublie, se taillent la part du lion des sujets débattus. Certains producteurs, conscients de la morosité ambiante, ont parié sur l’amour et misé de nous faire rêver dans un pré. Mais hélas, le décor pastoral n’est qu’un leurre. Aucune poésie!  Adieu, veaux, vaches, cochons! l’amour est feint et l’humour défunt. Quant aux documentaires, ils font pleurer dans les chaumières : au lieu de nous revivifier, ils nous dévitalisent. Entre les réfugiés, les rescapés, et les réanimés, comment parviendrait-on à s’évader ?


    Au rayon fiction, bien évidemment. Mais là, rien de bien folichon. La sinistrose bat des records d’audience. La fiction dépasse la réalité. Les héros hauts en couleurs appartiennent au passé. Plus de plan large et d’épopée, mais des peuplades de victimes éplorées en plan serré. Vous l’aurez compris, les scripts sont des cryptosermons. On nous trouve trop égoïstes. Nous manquons d’empathie. Et, comme les temps changent, ce ne sont plus les curés en soutane qui se chargent de l’homélie, mais des scénaristes dysthymiques en mal d'endorphines, qui finiront, si nous n’y prenons garde, par asphyxier notre humeur bien avant que Covid n'asphyxie nos poumons….

mercredi 7 octobre 2020

   





 Qui l’eût cru ! Moi qui le vouais aux gémonies, je lui voue aujourd’hui un culte immodéré. Il est vrai que, sans lui, ma vie serait bien morne. Non seulement me permet-il de donner libre cours à ma fantaisie, mais aussi m’autorise-t-il à lui confier, dans un murmure, mes pensées les plus intimes. Que ce soit mes angoisses ou mes colères, il les reçoit avec l’equanimité d’un sage antique.


   Aussi je le lui rends bien. Dès le saut du lit, il accapare mon esprit. Je songe à lui  en inspectant ma garde-robe. Je m’interroge sur la tenue qui lui siérait le plus. Je ne voudrais pour rien au monde commettre d’impair vestimentaire et le froisser, lui qui varie de style et d’étoffe au gré de mes caprices. Il faut me comprendre. Il m’accompagne sur terre comme sous terre, sur la mer et dans les airs. Son attachement à ma personne est indéfectible. Qui eût pu rêver d’une abnégation aussi totale !


   Grâce à lui, toutes les portes s’ouvrent, les ailes me poussent. Protecteur à l'extrême et séducteur hors pair, il me procure le sentiment d’être invulnérable et inégalable. Il me suffit de pénétrer dans un lieu pour que tous les yeux convergent vers moi. Les femmes m’envient , les hommes m’implorent du regard. Je n’ai même pas besoin d’ouvrir la bouche pour faire des ravages. 


   Mais je lui dois trop le respect. Un gentleman m’aborde-t-il? Je passe mon chemin et garde obstinément le silence. Je ne pourrais  jamais commettre d’infidélité en me séparant de lui. Il est consubstantiel à ma survie. C’est grâce à lui que mon coeur  bat encore et que je respire à pleins poumons. Que ferais-je en effet sans toi, Ô masque béni !




dimanche 13 septembre 2020





Bien que nouvel accessoire de mode et de séduction, le masque anticovid, aussi élégant et aussi propice soit-il à entretenir le mystère, a tôt fait de se transformer,  au fil des heures, en instrument de mortification. Irrité, notre épiderme l’est tout autant que l’état de notre humeur, vu l’accumulation des bouffées de gaz carbonique que notre narine offusquée inhale à longueur de journée. Mais reprenez espoir! Voici quelques moyens imparables pour ne plus vous infliger, dans les espaces publics, le port de ce cilice.


 Le premier a trait à l’une de nos fonctions vitales : celui de se sustenter. Le quotient de désirabilité des terrasses de café et tables de restaurant a connu, de ce fait, une croissance inespérée. Que l’on soit seul ou accompagné, l’on ne craint plus d’attendre un temps relativement long pour poser son séant et déposer à l’abri des regards le rectangle de polypropylène détesté. Les Parisiens ne mangent plus sur le pouce, ils prennent enfin leur temps. La durée des repas s’allonge démesurément. On mastique avec lenteur, on savoure, on déglutit même à contrecœur, car plus vite se vide l’assiette, plus tôt doit-on céder sa place et remettre l’appendice buccal indésirable.


En contrepartie, l’embonpoint revient en force. Les poignées d’amour refont surface. On fulmine. Au lieu d’une taille de guêpe, nous voilà pourvu(e)s de celle d’un bourdon! Pris de remords, nous entrons dans un bureau de tabac et déchirons avec dépit la cellophane d’un paquet de cigarettes. Entre les calories et la nicotine, notre coeur ne balance pas : on  préfère cette dernière substance, d’autant que, Dieu soit loué, il nous est permis de retirer le satané masque pour porter à nos lèvres le réconfort momentané. Mais on ne tarde pas à concevoir que ce succédané n’est pas le plus approprié. Imaginez si Covid a la mauvaise idée de nous visiter. Il aurait vite fait de nous terrasser en s’attaquant à nos poumons atrophiés.


 Alors, pour éviter que notre vie ne parte en fumée, on pense à la troisième option, qui a la mérite, tout en contournant l’obligation d’arborer l’accessoire naso-buccal, de remédier à notre obésité naissante et de décrasser nos poumons : le vélo! Oui, la petite reine a détrôné la trottinette au grand galop et nous exonère du devoir auquel doit se plier tout piéton parisien. Alors on se remet en selle, on pédale, on pédale, on pédale jusqu’à n’en plus pouvoir, ivres de liberté , jusqu’à ce qu’une toux brutale nous arrête dans notre élan. Eh oui, à Paris, ce n’est pas tant Covid qui nous guette à vélo, mais les microparticules. En fin de compte, on n’échappe jamais, à Paris, au port d’un masque…

vendredi 28 août 2020





Fléau du ciel ou bienfait des dieux selon que l’on soit monothéiste ou polythéiste, à chacun son avis sur la pandémie Covid. Les partisans de Malthus doivent en tout cas se frotter les mains. Ce virus fait des miracles, démographiquement parlant . Surtout qu’il cible les populations dites improductives et qu’il faut, en plus, nourrir à nos frais. D’aucuns m’accuseront de cynisme, je l’avoue , mais moi j’affirme que hâter la mort de ceux qui ont eu une belle vie n’est rien en comparaison de l’ôter à ceux qui viennent seulement de voir le jour. 


Que mes détracteurs  emploient donc leur temps libre à  lire les préceptes prônés, au Siècle des Lumières, par le non moins cynique Jonathan Swift dans son traité  A Modest Proposal. Sans doute seront-ils horrifiés de découvrir que l’un des auteurs favoris de leur enfance fut en même temps l’instigateur du cannibalisme infantile. Qui eût pu penser que l’auteur des Voyages de Gulliver  aurait l’esprit assez tordu pour  proposer de savourer la chair tendre, je cite,  « d’ un  jeune enfant bien sain, bien nourri, qui , à l’âge d’un an, est un aliment délicieux, très-nourrissant et très-sain, bouilli, rôti, à l’étuvée ou au four, (…) en fricassée ou en ragoût. » Mais bien évidemment, tout cela n’est que pure satire, et Swift comme moi, en sommes férus. 


Satire ou pas, on ne peut nier  que cette pandémie, si elle contribue au malheur de certains corps de métier, fait le bonheur d’autres professions dont les représentants, il faut bien le dire, s’engraissent à nos dépens. L’on ne peut nier que Covid fait les choux gras de l’industrie pharmaceutique. Masques jetables, gels désinfectants, gants chirurgicaux, visières de protection, voilà la manne tombée du ciel qui trône en tête de gondole dans toute pharmacie qui se respecte. Les entreprises funéraires ne sont pas en reste. Les croque-morts ont maintenant le teint frais et l’oeil pétillant. Finie l’époque de quatre mariages et un enterrement !  Les proportions sont inversées. 


D’ailleurs il faudrait être sot pour convoler en justes noces en ce moment. Distanciation sociale oblige, il faudrait un bras télescopique pour glisser l’anneau nuptial à sa promise. Sans compter que  les mariés seraient bien marris de faire lit à part dans la chambre nuptiale. Remarquez, à mariage non consommé, divorce bien mérité, et, par voie de conséquence, chute de la natalité assurée. N’est-ce pas aussi ce que préconisait Malthus? Mais si ce dernier se réjouirait de voir ses prédictions vérifiées, Swift serait bien en peine de proposer ses fricassées de bambins potelés, puisque de bambins, il n’y en aurait point. 


Covid programmerait-il l’extinction de la race humaine? Rien de cela. Entre  les vieillards mal en point et les bambins, il se trouvera toujours une population d’humains qui s’avanceront masqués au sens propre, comme ils l’ont été jusqu’ici au sens figuré. Partant, le paradoxe inhérent à Covid est qu’il met l’homme à nu en l’obligeant à porter un masque. Quel farceur, ce virus …