Avis à mes lecteurs
Comme vous avez pu le constater , j'ai mêlé récemment à mon blog des extraits du roman autobiographique dont j'ai amorcé l'écriture il y a quelques mois. Pour donner plus de cohérence à mes écrits, j'ai regroupé ces fragments dans un autre blog , dont l'adresse est la suivante: http://emmanuelledubuisson.blogspot.fr/.
En mettant en ligne les pages que j'écrirai au fur et à mesure, je propose ainsi de renouer avec la parution en feuilletons des romans du 19e siècle.
Cette expérience est certes périlleuse , car je travaille sans filet , mais elle me convient mieux que la mise en ligne d'une oeuvre romanesque achevée . A vous d'en apprécier le contenu et de me faire part de vos réflexions .
Bonnes vacances à tous et à toutes!
Emmanuelle Dubuisson
"WE ARE SUCH STUFF AS DREAMS ARE MADE ON, AND OUR LITTLE LIFE IS ROUNDED WITH A SLEEP". La citation de Shakespeare qui inaugure mon blogue résume magistralement ma vision de l'existence humaine. Nous sommes faits de l'étoffe des songes, et notre courte vie se clôt par un long sommeil. Alors, plutôt que de rêver notre vie, vivons nos rêves! Et faisons éclater en infimes particules de sens jubilatoires le monde qui nous entoure.
jeudi 11 août 2016
dimanche 31 juillet 2016
Rétrospectivement , le souvenir qu'elle me laissa fut celui du personnage balzacien le moins reluisant. Elle possédait tous les attributs de l'illustre tenancière de la pension Vauquer! Son âge avancé , sa corpulence avérée qui excusait sa lenteur à gravir les escaliers du lycée , ses lunettes à double foyer qu'elle retirait de temps en temps pour les essuyer avec un mouchoir d'une propreté douteuse , le pardessus marron dont les exhalaisons ne laissaient aucun doute sur sa prédilection pour les félins incontinents , tout dans son comportement et son accoutrement la désignait comme l'incarnation du personnage de fiction le plus repoussant de l'œuvre balzacienne.
Elle prenait en outre un malin plaisir à tester ma susceptibilité . Il faut dire que j'aimais briller autant que je le pouvais et que mon doigt était levé dès qu'une question était posée . Un jour , lui ayant tenu tête lors d'un cours de traduction d'un passage de l'Enéide , elle rentra dans une colère épique et décréta que puisque j'étais une "optima alumna" , il me fallait occuper seule le rang de droite de la classe , comme au temps de Charlemagne . Aussi enjoignit- elle à mes congénères décontenancés de quitter leur place afin de m'en laisser la jouissance exclusive .
Cela n'entama guère mon impétuosité . Ce qui , néanmoins , fut subi par moi comme une vexation, et qui eut un écho dans ma vie beaucoup lus tard, fut la remarque qu'elle me fit un jour qu'elle nous soumit le questionnaire de Proust . Alors qu'elle parcourait mes réponses , elle se figea soudain et me scruta d'un regard moqueur quand elle arriva à celle qui correspondait à la qualité que je préférais chez un homme . J'avais osé écrire "l'intelligence", ce qui lui fit dire d'un ton railleur empli de dédain: "Mais Mademoiselle , que faites-vous des qualités de cœur ?"
dimanche 24 juillet 2016
Faut-il être si mal gouverné ou si tragiquement spolié de notre droit de vivre pour qu'éclose en nous ce sentiment de solidarité ? Il n'en est rien . Ce qui fait le ciment d'un peuple libre, c'est sa capacité à se fédérer et exprimer son indignation face à des décisions prises par des hiérarques énarques qui ne prennent pas en considération leurs revendications . C'est aussi sa capacité à laisser libre cours à sa sensibilité quand des événements traumatiques le mettent face à face à ce que l'on nomme l'inhumanité. En somme, c'est quand notre avenir est assombri par la perte de nos acquis , que notre présent se voit anéanti par la disparition brutale de nos enfants chéris , et que ces actes sont le fait de groupes soit-disant dotés de raison ou de groupuscules qui en sont manifestement dépourvus, c'est à ce moment que se remet à germer avec vigueur ce que l'on croyait étouffé par les herbes folles de l'individualisme et de l'égoïsme collectifs : cet instinct grégaire si décrié mais qui signe néanmoins notre appartenance à l'HUMANITÉ.
mardi 12 juillet 2016
En Mai , c'est la petite balle jaune qui est le centre de toutes les attentions . On fixe ses rebonds capricieux sur la terre ocre Roland Garrossienne . Pas difficile de saisir qui va marquer le point .Le but du jeu, c'est de faire en sorte que l'adversaire ne la rattrape pas , cette balle. Alors toutes les ruses sont employées pour faire courir le concurrent d'un bout à l'autre du terrain. Et nos yeux de spectateur sont mis à rude épreuve à force de se promener de droite et de gauche . Pire qu'un séance chez l'orthoptiste.
En juin et juillet , on change de cadre . On préfère la fraîcheur des pelouses à la terre battue , et c'est le ballon rond qui devient l'objet de toutes les spéculations . Etrangement , il ne se trouve aucun Vert pour s'indigner du fait que le gazon soit martyrisé par des crampons . C'est que tout vert qu'ils soient , les écolos ont un faible pour les bleus .De la coupe du monde à l'Euro , c'est notre fibre patriotique qui vibre . On prête allégeance au coq tricolore , on apprend les paroles de la Marseillaise pour l'entonner en cœur avec les joueurs de l'équipe de l'Hexagone.On ne s'est jamais autant senti Français .
On publie des messages d'admiration sur le compte Twitter de nos favoris . Entre les bruns et les blonds, les supportrices ne savent plus où donner de la tête . Elles sont jalouses de leur WAGS. D'ailleurs elles se trouvent plus SWAG qu'elles ... Ils ont beau être des As du ballon rond et avoir une personnalité très marquée sur le terrain , les joueurs de l'équipe de France ne font preuve d'aucune originalité quand ils choisissent leurs compagnes : ils les recrutent invariablement dans des agences de mannequins ...
Et quand arrive le Grand jour , le combat des Titans qu'on attend avec tant d'impatience , les footeux les plus croyants prennent soin de prier le Tout-Puissant pour qu'il leur apporte son soutien . Ceux adeptes de la magie blanche se peinturlurent la face du drapeau tricolore , endossent le maillot bleu brodé au dos du chiffre magique, font des incantations en espérant qu'elles leur permettront de se livrer ad libitum à des libations jusqu'au petit matin . Ils emplissent le stade ou les fanzones de leurs cris d'excitation et cèdent à l'exaltation quand le ballon s'emballe et cavale à vive allure vers la lucarne . Ils tempêtent de rage quand l'arbitre brandit le carton jaune , retiennent leur souffle quand il prononce les mots " corner " ou " penalty", se tordent de douleur quand un but est marqué par l'équipe adverse .
Gloire aux vaincus ! Malheur aux vainqueurs quand ils sont ennemis ! Ils se disent que les bleus ont perdu la bataille , mais qu' ils n'ont pas perdu la guerre ! Ils feront mieux la prochaine fois . La victoire n'en sera que meilleure .Pour l'heure, ils troquent le maillot bleu pour un jaune et se mettent à suivre les exploits des spécialistes de la petite reine. De paysage en paysage , de ville en village , Ils comprendront en regardant le tour de France que que ce n'est pas si mal d'être français , et se remettront de leurs émotions en regardant jouer les vieux à la pétanque ...
samedi 2 juillet 2016
Le paradoxe , c'est que moins on est aimé en retour , plus l'on enfourche Pégase et l'on développe sa créativité . Les sonnets de Petrarque en sont une éloquente illustration . La bien-aimée , figure féminine idéalisée , fait couler les larmes et aussi beaucoup d'encre de son soupirant auquel elle témoigne un dédain souverain . Plus elle le repousse , plus il s'évertue à la séduire par ses quatrains . C'est sans doute là que réside la folie . Car n'est ce pas déraisonner que de persister à vouloir allumer la flamme en ne disposant que du verbe comme combustible ?
Mieux vaut être fou et nier la réalité que d'être amoureux et l'embellir , et ainsi se bercer d'illusions. Car si , par bonheur, l'amour offert est partagé , il finit par se consumer et être réduit en cendres , tant l'imagination ardente qui l'a façonné en le parant de mille qualités nous a trompés. Quant à l'amour malheureux, c'est pourtant celui qui nous procure le plaisir esthétique le plus fastueux , enjambant les siècles de sa mélancolie majestueuse . Car , en enfantant dans la douleur des œuvres à la gloire de l'Absent(e), ce sont les monuments poétiques les plus émotionnellement vertigineux qu'il nous donne à contempler , comme un avant-goût d'éternité .
vendredi 17 juin 2016
D'abord succession de dunes sahariennes caressées par le suave sirocco et dont le grain de peau étincèle au soleil de la jeunesse , le corps se métamorphose , à l'âge mûr, en plaines et vallées asséchées par les incendies de la vie ou ravinées par ses orages .
Peu à peu , les veines jusque-là souterraines affleurent et violentent l'épiderme en dévalant sur lui comme les coulées de lave du volcan qui se réveille dans nos entrailles . Les rides font de notre visage un canyon aux précipices vertigineux où se dissimule pudiquement le flot de nos larmes .
Puis ce sont les fleurs de cimetière qui s'épanouissent et obscurcissent les carnations opalines de sombres présages , cependant que les os saillants de notre squelette obscène font brusquement surface, ébranlés par un violent séisme .
Ce sont les prémisses du froid hivernal à venir , la partie émergée de l'iceberg fatal qui finira par nous engloutir , dans un ultime naufrage , dans les eaux glaciales du fleuve de l'oubli .
vendredi 20 mai 2016
Il est revenu , le temps des idoles , maintenant que le divin s'est
retiré du monde . Et ce sont nos écrans de tablettes qui sont devenus
les temples de ces divinités païennes
qui s'exposent sous tous les angles à coup de selfies millimètrés pour
susciter notre dévotion , nous qui errons dans un "No God's Land "
métaphysique . Le primat est accordé à la vue au mépris des autres sens ,
nous qui faisons de notre globe oculaire l'instrument privilégié de
cette culture iconophile. Les réseaux sociaux , nouveaux gourous des
temps modernes , nous édictent leurs règles : il faut "Liker" et ainsi
témoigner notre vénération à ces créatures virtuelles pourvoyeuses de
fantasmes si salutaires dans un monde qui nous perfuse des images de
chaos d'un bout de l'année à l'autre .
Mais avons-nous pensé que ce qui est mis en croix sur ces autoportraits
à l'artificialité savamment calculée , c'est le principe même de vie
qui anime nos corps et donne un souffle à notre âme ? Car si l'on se
prend au jeu et versons dans cette addiction à la sur-auto-exposition
digitale , l' on se voit irrémédiablement figé à un instant T , et
dépossédé de ce qui fait le sel même de la vie : le mouvement . C'est
une mise à mort de notre spontanéité , une déssubstantiation sans
transsubstantiation possible , une objurgation à nous montrer différents de ce
que nous sommes en réalité et à gommer la négativité qui menace sans
cesse de nous happer. Car ne le nions pas , vivre n'est pas facile, et
il n'est pas si fréquent que nous affichions un sourire à l'adresse de
nous -mêmes et encore moins à l'adresse des autres .
Nous nous mentons à nous-mêmes en nous astreignant à prendre des poses glamour d'icônes de papier glacé , comme si nous voulions séduire les autres , alors que ce qui sous-tend notre quête de la vérité selfique , c'est plus une exhortation à nous aimer nous -mêmes . Ne sommes-nous pas , en effet , insidieusement soumis à une auto-dépréciation constante , nous qui devons faire face aux injonctions que nous égrène la tyrannique déesse Perfection qui régit notre monde ? "Miroir, Ô mon beau miroir, dis-moi que je suis la plus belle!" , telle est la supplication réflexive que nous nous adressons , quand nous tendons à bout de bras et à nous-mêmes, l'objectif de notre smartphone . Ainsi l'autoportrait selfique relèverait -il beaucoup plus d'un manque d'amour de soi viscéral que d'un narcissisme congénital .
Nous nous mentons à nous-mêmes en nous astreignant à prendre des poses glamour d'icônes de papier glacé , comme si nous voulions séduire les autres , alors que ce qui sous-tend notre quête de la vérité selfique , c'est plus une exhortation à nous aimer nous -mêmes . Ne sommes-nous pas , en effet , insidieusement soumis à une auto-dépréciation constante , nous qui devons faire face aux injonctions que nous égrène la tyrannique déesse Perfection qui régit notre monde ? "Miroir, Ô mon beau miroir, dis-moi que je suis la plus belle!" , telle est la supplication réflexive que nous nous adressons , quand nous tendons à bout de bras et à nous-mêmes, l'objectif de notre smartphone . Ainsi l'autoportrait selfique relèverait -il beaucoup plus d'un manque d'amour de soi viscéral que d'un narcissisme congénital .
mardi 10 mai 2016
Normal ! Nous vivons à l'ère du bricolage et du rafistolage des relations sentimentales qui ont fait naufrage , et notre image , devenue notre atout principal dans la sphère digitale des social media, se doit d'être irréprochable si nous voulons être bankable . Le dictat de la beauté à tout prix amène même certaines d'entre nous à réduire drastiquement leur indice de masse corporelle en s'astreignant à une ascèse nuisible à leur esprit et surtout à leur humeur . Crises de nerfs garanties aux moins aguerries ...
Cela ne veut pas dire , pour autant , qu'elles se trouvent à un clic de l'homme idéal . Car les spécimens mâles qui sont le plus susceptibles de les Liker sont soit ceux envers qui la nature a témoigné peu de générosité , soit ceux qui , comme elles, façonnent leur image à coup de selfies en cascade et de hashtags à la positivité boostée. De sorte que des egos surdimensionnés par leurs prouesses physiques ou esthétiques s'entremêlent sur cette Toile sans jamais fusionner dans la vraie vie , car comme chacun sait, quand on devient une icône dans cet empire de simulacres , on ne peut tomber le masque sous peine de déchoir et de décevoir.
Peu importe ! Un jour ou l'autre , elles finissent par être détrônées par des rivales qui recèlent dans leur smartphone des filtres encore plus magiques qui les immortalisent dans des postures encore plus ridicules. Duckface , fishgape, quoi d'autre encore ! Elles ne sont plus à une déshumanisation près . Avec leurs implants mammaires ou fessiers , n'ont-elles pas déjà créé une nouvelle espèce ? Mais la sélection naturelle aura raison d'elles, car elles ne sauront s'adapter à un nouvel environnement le jour où elles cesseront d'être le nombril d'un monde nouveau , lassé une fois pour toutes de cette surenchère de superficialité et d'artificialité. .
dimanche 17 avril 2016
Il
est vrai que je ne l'ai jamais vue se plaindre et qu'elle détenait
une force de caractère exceptionnelle pour faire face aux
vicissitudes de la vie. Elle était une héroïne racinienne,
une Andromaque fidèle à son défunt Hector et dévouée
à ses enfants. Sa vie était rythmée par des rituels immuables,
qu'elle accomplissait toujours avec la même équanimité, sans
ressentir jamais la monotonie pesante que la répétition du même
souvent génère chez le commun des mortels.
Jamais
je ne l'entendis jeter d'imprécations ni maudire son sort.
L'acrimonie ne faisait pas partie de son vocabulaire. Pourtant la
fatalité s'était abattue dès son enfance, quand sa mère fut
rappelée auprès du Tout Puissant.Trois décennies plus tard, ce fut
le tour de son mari. De là, sans doute, naquit sa familiarité avec
la mort. Elle ne la craignait pas. Elle l'avait apprivoisée. Chaque
jour, d'aussi loin que je m'en souvienne, elle ouvrait le journal
local à la même page, celle de la rubrique nécrologique. Au cas où
l'une de ces connaissances serait partie sans faire de bruit dans la
clameur de ce monde .
De
là aussi, son inlassable constance à honorer ses aïeux disparus.
Chaque année, à la Toussaint, qu'il pleuve ou qu'il vent , elle
partait sur les routes montagneuses qui frôlaient les précipices
afin de se recueillir sur les tombes. Elle se joignait en
cela aux foules ferventes qui venaient pavoiser de couleurs les
cimetières aux nuances automnales et leur offrir un festival de
lumières en déposant, dans leurs allées, des pots de chrysanthèmes
et des veilleuses tremblantes .
Ma
grand-mère, dont le sourire à peine esquissé aurait certainement
inspiré Léonard de Vinci, qui vénérait le souvenir et
adressait toujours ses prières à ceux qui avaient quitté la vie
trop tôt, perdit peu à peu la faculté de se remémorer ses actes,
puis les visages, puis le temps et l'espace. Elle qui avait
consciencieusement tenu le registre des événements qui ponctuaient
notre petit univers s'éteignit en silence un matin
d'hiver, face à la mer, emportant avec elle des bonheurs longtemps
fanés et des douleurs secrètement gardées. Son exemple demeure, à
ce jour, mon meilleur rempart contre une des tentations de ce
bas monde : l'oubli.
lundi 11 avril 2016
Un jour pourtant, tout vola en éclats. Je veux parler du plat et, en conséquence, des bonnes dispositions de ma grand-mère à mon égard. Ma sœur et moi, qui nous entendions comme chien et chat, avions un différend diplomatique d'une telle ampleur qu'il nous obligea à en venir aux mains . Après moult pincements et poignées de cheveux arrachés, notre désaccord se prolongea en une course-poursuite effrénée dans toute la pièce, et, pour couronner le tout, par une bataille de coussins en tissu damassé qui en temps normal, ornaient l'un des canapés .
Il arriva ce qui devait arriver. L'un des coussins fut projeté malencontreusement contre le compotier qui se renversa avec fracas et répandit son contenu sur le parquet. Notre cavalcade s'arrêta net . Nous dressâmes l'oreille, pétrifiées, conscientes que notre sentence allait porter le sceau de la sévérité . En détruisant le compotier, nous avions commis l'irréparable, car celui-ci était l'un des présents reçus par mes grands-parents le jour de leur mariage .
La porte s'ouvrit, et ma grand-mère entra dans la pièce, son regard bleu altéré par un voile d'inquiétude. Elle inspecta le sol, jonché d'éclats de porcelaine et de sucreries dorées, mais ne réagit pas. De sorte que la punition que je redoutais tant ne fut que le fruit de mon imagination. Ce que je vis affleurer sur son visage, ce ne fut pas un vent de colère, mais un nuage de peine.
Elle nous donna ensuite à goûter, en silence. Je me souviens de la saveur amère de la barre de chocolat noir, de notre embarras, à ma soeur et à moi, de mon coeur noué à l'évocation du chagrin que je lui avais causé, à cette noble dame dont je ne compris jamais la docilité face au destin, moi qui m'insurgeais devant le moindre obstacle qui barrait mon chemin.
samedi 9 avril 2016
Car c'était une femme très pieuse . Je pense que la foi lui fut un dictame indispensable quand son mari aimant perdit la vie dans la fleur de l'âge , emporté par une maladie incurable. Je n'ai jamais osé aborder ce sujet douloureux avec elle . Mais ce que j'ai toujours su , c'est que ce grand-père au doux regard , que je voyais éternellement sourire dans le portrait sur la commode en marqueterie près de son lit , fut l'unique amour de sa vie .
Ma grand-mère m'inspirait du respect autant que de la crainte . Car mon tempérament fougueux , qui s'épanouissait avec les années , se heurtait souvent à sa sévérité qui , je dois le dire , était fort méritée .Alors que du côté paternel , c'est-à-dire du côté mer , je ne rencontrais aucun frein à mes espiègleries , il n'en était pas de même du côté terre . Malgré l'étendue de la demeure familiale , malgré la démesure des plantations d'orangers et de vignes dont ma grand-mère était l'héritière , je ne pouvais me soustraire à son regard bleu outremer qui anticipait toutes mes facéties et me figeait dans une attitude contre-nature de petite fille modèle dont on me félicitait bien à tort quand on venait lui rendre visite .
Je profitais alors de l'arrivée de ce beau monde pour dévaler les escaliers et dépenser mon énergie contenue jusqu'alors en figures acrobatiques sur l'un des trapèzes de l'aire de jeu en contrebas de la terrasse à balustrades . Si par hasard , l'on venait à se pencher pour surveiller mes excentricités , car il arrivait que ma grand-mère , prise d'anxiété , abandonnât quelques minutes ses visiteurs pour vérifier que je ne commettais aucune imprudence , je glissais subrepticement du trapèze à la balançoire et me mettais sagement à osciller d'avant en arrière en lui souriant de l'air le plus innocent qui soit .
dimanche 3 avril 2016
J'avais pourtant de jolies tongs ornées, au mitan du pied, d'une
marguerite mutante, qui aurait pu préserver ma délicate voûte plantaire.
Mais je ne voulais pas leur réserver une fonction bassement utilitaire.
J'étais déjà esthète, voyez-vous ! Et vu qu'elles m'avaient été
rapportées d'une lointaine contrée exotique , je ne voulais les arborer
qu'en des occasions choisies . C'était surtout leur semelle qui
ravissait ma vue. Elles étaient décorées d'espèces florales colorées et
variées, ce qui me donnait l'impression , quand je les chaussais ,
d'avancer sur un tapis végétal luxuriant .
Un jour pourtant , ma sœur et ma cousine s'avisèrent de me jouer un vilain tour . Elles subtilisèrent l'une de mes tongs et la lancèrent dans les flots aussi loin qu'elles le purent . La vue de ma tong flottant désespérément au gré des courants me terrassa . J'étais désemparée comme Cendrillon sans sa pantoufle , mais une Cendrillon sans prince charmant qui se fût empressé de la lui rapporter . D'une voix tonitruante , je sommai les deux coupables de regravir quatre à quatre les marches de l' escalier qui menaient de la plage au jardin fortifié , et d'en ramener l'énorme râteau qui servait à entretenir les allées .Ce qu'elles firent promptement , sentant l'orage sourdre dans ma voix . Puis , pointant d'un doigt menaçant la tong dérivant dangereusement vers le large , je leur intimai l'ordre de se poster sur un rocher et de ratisser l'eau pour la récupérer .
Les deux complices n'en menaient pas large . Elles savaient que je ne les laisserais pas repartir bredouille sous peine de représailles . Heureusement Poséidon eut pitié d'elles , ou plutôt Éole , car grâce à son concours , la tong à la marguerite protubérante fut récupérée par le râteau et retrouva sa place de choix sur mon pied . C'est à partir de ce jour que je décidai de ne plus jamais m'en séparer , et que je fis mien ce précepte : joindre l'utile à l'agréable . Dès lors , plus de cloques aux pieds , et beaucoup plus de crabes dans mon panier !
Un jour pourtant , ma sœur et ma cousine s'avisèrent de me jouer un vilain tour . Elles subtilisèrent l'une de mes tongs et la lancèrent dans les flots aussi loin qu'elles le purent . La vue de ma tong flottant désespérément au gré des courants me terrassa . J'étais désemparée comme Cendrillon sans sa pantoufle , mais une Cendrillon sans prince charmant qui se fût empressé de la lui rapporter . D'une voix tonitruante , je sommai les deux coupables de regravir quatre à quatre les marches de l' escalier qui menaient de la plage au jardin fortifié , et d'en ramener l'énorme râteau qui servait à entretenir les allées .Ce qu'elles firent promptement , sentant l'orage sourdre dans ma voix . Puis , pointant d'un doigt menaçant la tong dérivant dangereusement vers le large , je leur intimai l'ordre de se poster sur un rocher et de ratisser l'eau pour la récupérer .
Les deux complices n'en menaient pas large . Elles savaient que je ne les laisserais pas repartir bredouille sous peine de représailles . Heureusement Poséidon eut pitié d'elles , ou plutôt Éole , car grâce à son concours , la tong à la marguerite protubérante fut récupérée par le râteau et retrouva sa place de choix sur mon pied . C'est à partir de ce jour que je décidai de ne plus jamais m'en séparer , et que je fis mien ce précepte : joindre l'utile à l'agréable . Dès lors , plus de cloques aux pieds , et beaucoup plus de crabes dans mon panier !
mardi 29 mars 2016
Si j'avais tellement à coeur de défendre la liberté des
créatures de la nature , c'est que je la respirais à pleins poumons ,
cette liberté , dans mon royaume qui surplombait la mer .
J'attendais les mois d'été avec impatience pour déserter la forteresse
où les roses bercées par la brise marine croissaient avec vigueur , et
m'aventurer sur les rochers afin de contempler , au loin, le départ
quotidien de l'énorme navire chargé de nostalgie à destination du
"continent ". Pour cela , Il me suffisait de tourner la clé rongée par
les embruns du portail en bois tout au fond du jardin pour me retrouver
dans une nouvelle aire, minérale, presque sidérale tellement elle semblait s'opposer au soleil dans un face-à-face aveuglant:
la plage . Elle n'était accessible à l'époque qu'aux résidents du
chapelet de villas qui lui servaient de rempart. Aussi avais-je
l'impression d'en être l'unique propriétaire, vu qu'aucun autre humain
ne semblait en apprécier l'existence .
Ce n'était pas une étendue de sable fin, comme celle qui alimente les fantasmes de tant de vacanciers . Il s'agissait d'un sable dont la granulosité était plus épaisse. Sur la grève, gisaient, pèle-mêle, les minuscules spécimens d'un cabinet de curiosités à ciel ouvert: des galets blancs veinés de noir que j'aimais faire rebondir sur la crête des vagues; des bris de verre multicolore polis par le sel marin; des tesselles de céramique, comme si des courants malins s'étaient amusés à desceller d'hypothétiques mosaïques tapissant les profondeurs marines; des coquillages marbrés, striés, ou nacrés, que je ramassais pour en faire des colliers; et, quand survenaient des tempêtes et que la houle lançait au galop sur la mer des vagues aux crinières échevelées, des bouts de bois de taille variable, vestiges de naufrages imaginaires comme ceux qui naissent dans l'esprit des enfants une fois qu'on leur a fait lecture des tribulations maritimes d'un certain Robinson .
Cette plage, avec ses trésors étalés en plein soleil, son enceinte de maisons qui la murait dans une solitude étincelante, avait une poésie particulière que je n'ai jamais retrouvée par la suite. Sans doute était-ce la poésie de l'enfance, celle qui jaillit en nous quand on regarde le monde sans en comprendre encore le sens et qu'on le croit peuplé de créatures merveilleuses aux destins fabuleux. Cette plage devait être sans doute bien banale, comparée à d'autres, mais à mes yeux de petite fille ébahie, elle valait tous les palais des mille et une nuits que j'ai pu visiter depuis .
Ce n'était pas une étendue de sable fin, comme celle qui alimente les fantasmes de tant de vacanciers . Il s'agissait d'un sable dont la granulosité était plus épaisse. Sur la grève, gisaient, pèle-mêle, les minuscules spécimens d'un cabinet de curiosités à ciel ouvert: des galets blancs veinés de noir que j'aimais faire rebondir sur la crête des vagues; des bris de verre multicolore polis par le sel marin; des tesselles de céramique, comme si des courants malins s'étaient amusés à desceller d'hypothétiques mosaïques tapissant les profondeurs marines; des coquillages marbrés, striés, ou nacrés, que je ramassais pour en faire des colliers; et, quand survenaient des tempêtes et que la houle lançait au galop sur la mer des vagues aux crinières échevelées, des bouts de bois de taille variable, vestiges de naufrages imaginaires comme ceux qui naissent dans l'esprit des enfants une fois qu'on leur a fait lecture des tribulations maritimes d'un certain Robinson .
Cette plage, avec ses trésors étalés en plein soleil, son enceinte de maisons qui la murait dans une solitude étincelante, avait une poésie particulière que je n'ai jamais retrouvée par la suite. Sans doute était-ce la poésie de l'enfance, celle qui jaillit en nous quand on regarde le monde sans en comprendre encore le sens et qu'on le croit peuplé de créatures merveilleuses aux destins fabuleux. Cette plage devait être sans doute bien banale, comparée à d'autres, mais à mes yeux de petite fille ébahie, elle valait tous les palais des mille et une nuits que j'ai pu visiter depuis .
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