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mardi 12 juillet 2016



Si l'hiver est l'occasion rêvée pour s'initier aux disciplines sportives les plus insolites , le printemps et l'été sont les saisons où l'on aime plus renouer avec des sports d'ado ou d'enfant : on aime  rejouer à la baballe, qu'elle soit petite ou grande . Ainsi après le solstice d'hiver , ceux qui veulent éviter de terminer la journée en faisant du macramé devant la télé se lancent dans les sports extrêmes en salle, du style crossfit ou TRX, histoire d'injecter une dose d'exotisme dans le paysage grisâtre de leur quotidien. Mais sitôt l'équinoxe de printemps et le retour des températures plus clémentes , l'énergie emmagasinée pendant les longs mois d'hibernation a besoin de se libérer , et leur goût de la compétition s'en trouve exacerbé . Les voilà repartis en quête d'hypothétiques conquêtes , à affronter d'autres accros de la balle sur tout  terrain . C'est aussi à cette période que se jouent les événements sportifs les plus courus de la planète terre qui élèvent balle et ballon au rang d'objets de dévotion.

En Mai , c'est la petite balle jaune qui est le centre de toutes les attentions . On fixe ses rebonds capricieux sur la terre ocre Roland Garrossienne . Pas difficile de saisir qui va marquer le point .Le but du jeu, c'est de faire en sorte que l'adversaire ne la rattrape pas , cette balle. Alors toutes les ruses sont employées pour faire courir le concurrent  d'un bout à l'autre du terrain. Et nos yeux de spectateur sont mis à rude épreuve à force de se promener de droite et de gauche . Pire qu'un séance chez l'orthoptiste.

En juin et juillet , on change de cadre . On préfère la fraîcheur des pelouses à la terre battue , et c'est le ballon rond qui devient l'objet de toutes les spéculations . Etrangement , il ne se trouve aucun Vert pour s'indigner du fait que le gazon soit martyrisé par des crampons .  C'est que tout vert qu'ils soient , les écolos ont un faible pour les bleus .De  la coupe du monde à l'Euro , c'est notre  fibre patriotique qui vibre . On prête allégeance  au coq tricolore , on apprend les paroles de la Marseillaise pour l'entonner en cœur avec les joueurs de l'équipe de l'Hexagone.On ne s'est jamais autant senti Français .
On publie des messages d'admiration sur le compte Twitter de nos favoris . Entre les bruns et les blonds, les supportrices ne savent plus où donner de la tête . Elles sont jalouses de leur WAGS. D'ailleurs elles se trouvent  plus SWAG qu'elles ... Ils ont beau être des As du ballon rond et avoir une personnalité très marquée sur le terrain , les joueurs de l'équipe de France ne font preuve d'aucune originalité quand ils choisissent leurs compagnes : ils les recrutent invariablement dans des agences de mannequins ...

Et quand arrive le Grand jour , le combat des Titans qu'on attend avec tant d'impatience , les footeux les plus  croyants prennent soin de prier le Tout-Puissant pour qu'il leur apporte son soutien  . Ceux adeptes de la magie blanche se peinturlurent la face du drapeau tricolore , endossent le maillot bleu brodé au dos du chiffre magique, font  des incantations en espérant qu'elles leur permettront de se livrer ad libitum à des libations jusqu'au petit matin . Ils emplissent  le stade ou les fanzones de leurs cris d'excitation et cèdent à l'exaltation quand le ballon s'emballe et cavale à vive allure vers la lucarne . Ils tempêtent de rage quand l'arbitre brandit le carton jaune  , retiennent leur souffle quand il prononce les mots " corner " ou " penalty", se tordent de douleur quand un but est marqué par l'équipe adverse .

Gloire aux vaincus ! Malheur aux vainqueurs quand ils sont ennemis ! Ils se disent que les bleus ont perdu la bataille , mais qu' ils n'ont pas perdu la guerre ! Ils feront mieux la prochaine fois . La victoire n'en sera que meilleure .Pour l'heure, ils troquent  le maillot bleu pour un jaune et se mettent à suivre les exploits des spécialistes de la petite reine. De paysage en paysage , de ville en village , Ils comprendront en regardant le tour de France que que ce n'est pas si mal d'être français , et se remettront de leurs émotions en regardant jouer les vieux à la pétanque ...

samedi 2 juillet 2016




"The lunatic, the lover, and the poet, are of imagination all compact." Oui , le grand Shakespeare  a bien cerné le propos quatre siècles plus tôt . Le point commun entre le le fou , le poète et l'amoureux , c'est bien l'imagination . Dans les trois cas , on fuit la forteresse sinistre de la réalité pour se retrancher dans un palais fait de gloire et d'illusions . Mais alors qu'on peut être fou et poète sans être touché par la flèche de Cupidon , l'amoureux transi , quant à lui , peut  à lui seul , parvenir à subsumer folie et poésie . Ne dit-on pas que l'on est fou d'amour ? N'écrit-on pas des déclarations insensées à celui ou celle que l'on "choisit "d'aimer ?

 Le paradoxe , c'est que moins on est aimé en retour , plus l'on enfourche Pégase et l'on développe sa créativité . Les sonnets de Petrarque en sont une éloquente illustration . La bien-aimée , figure féminine idéalisée , fait couler les larmes et aussi beaucoup d'encre de son soupirant auquel elle témoigne un  dédain souverain . Plus elle le repousse , plus il s'évertue à la séduire par ses quatrains . C'est sans doute là que réside la folie . Car n'est ce pas déraisonner que de persister à vouloir allumer la flamme en ne disposant que du verbe comme combustible ?

Mieux vaut être fou et nier la réalité que d'être amoureux et l'embellir , et ainsi se bercer d'illusions. Car si , par bonheur, l'amour offert  est partagé  , il finit par  se consumer et être réduit en cendres , tant l'imagination ardente qui l'a façonné en le parant de mille qualités nous a trompés. Quant à l'amour malheureux, c'est pourtant celui qui nous procure le plaisir esthétique le plus fastueux , enjambant les siècles de sa mélancolie majestueuse . Car , en  enfantant dans la douleur des œuvres à la gloire de l'Absent(e), ce sont les monuments  poétiques les plus émotionnellement vertigineux qu'il nous donne à contempler , comme un avant-goût d'éternité .

vendredi 17 juin 2016







De toutes les métaphores dont le corps peut se prévaloir , il en est une qui recueille  mes suffrages : celle du paysage .

D'abord succession de dunes sahariennes caressées par le suave sirocco et dont le grain de peau étincèle au soleil de la jeunesse  , le corps se métamorphose , à l'âge mûr, en plaines et vallées asséchées par les incendies de la vie ou ravinées par ses orages .

Peu à peu , les veines jusque-là souterraines affleurent et violentent l'épiderme en dévalant sur lui comme les coulées de lave du volcan qui se réveille dans nos entrailles . Les rides font de notre visage un canyon aux précipices vertigineux où se dissimule pudiquement le flot de  nos larmes .

Puis ce sont les fleurs de cimetière qui s'épanouissent et obscurcissent les carnations opalines de sombres présages , cependant que les os saillants de notre squelette obscène font brusquement surface, ébranlés par un violent séisme .

Ce sont les prémisses du froid hivernal à venir , la partie émergée de l'iceberg fatal qui finira par nous engloutir , dans un ultime naufrage   , dans les eaux glaciales du fleuve de l'oubli .

vendredi 20 mai 2016

Il est revenu , le temps des idoles , maintenant que le divin s'est retiré du monde . Et ce sont nos écrans de tablettes qui sont devenus les temples de ces divinités païennes qui s'exposent sous tous les angles à coup de selfies millimètrés pour susciter notre dévotion , nous qui errons dans un "No God's Land " métaphysique . Le primat est accordé à la vue au mépris des autres sens , nous qui faisons de notre globe oculaire l'instrument privilégié de cette culture iconophile. Les réseaux sociaux , nouveaux gourous des temps modernes , nous édictent leurs règles : il faut "Liker" et ainsi témoigner notre vénération à ces créatures virtuelles pourvoyeuses de fantasmes si salutaires dans un monde qui nous perfuse des images de chaos d'un bout de l'année à l'autre . 

Mais avons-nous pensé que ce qui est mis en croix sur ces autoportraits à l'artificialité savamment calculée , c'est le principe même de vie qui anime nos corps et donne un souffle à notre âme ? Car si l'on se prend au jeu et versons dans cette addiction à la sur-auto-exposition digitale , l' on se voit irrémédiablement figé à un instant T , et dépossédé de ce qui fait le sel même de la vie : le mouvement . C'est une mise à mort de notre spontanéité , une déssubstantiation sans transsubstantiation possible , une objurgation à nous montrer différents de ce que nous sommes en réalité et à gommer la négativité qui menace sans cesse de nous happer. Car ne le nions pas , vivre n'est pas facile, et il n'est pas si fréquent que nous affichions un sourire à l'adresse de nous -mêmes et encore moins à l'adresse des autres .

Nous nous mentons à nous-mêmes en nous astreignant à prendre des poses glamour d'icônes de papier glacé , comme si nous voulions séduire les autres , alors que ce qui sous-tend notre quête de la vérité selfique , c'est plus une exhortation à nous aimer nous -mêmes . Ne sommes-nous pas , en effet , insidieusement soumis à une auto-dépréciation constante , nous qui devons faire face aux injonctions que nous égrène la tyrannique déesse Perfection qui régit notre monde ? "Miroir, Ô mon beau miroir, dis-moi que je suis la plus belle!" , telle est la supplication réflexive que nous nous adressons , quand nous tendons à bout de bras et à nous-mêmes, l'objectif de notre smartphone . Ainsi l'autoportrait selfique relèverait -il beaucoup plus d'un manque d'amour de soi viscéral que d'un narcissisme congénital .

mardi 10 mai 2016



Dans le labyrinthe de la connexion sans fil qui architecture notre siècle , il est un fil d'Ariane auquel une large majorité d'internautes déboussolées se raccrochent : celui qui les relie aux it-girls du moment . A défaut d'être débordantes de vie "in real life ", ces instagrammeuses  crâneuses visent à les faire déborder d'envie dans leur "virtual life" en se mettant en scène sans trêve dans des endroits et des tenues de rêve. On en oublierait presque que , si elles arborent un teint de porcelaine et un corps de sirène , c'est parce qu'elles usent et abusent de logiciels de retouche high-tech .

Normal ! Nous vivons à l'ère du bricolage et du rafistolage des relations sentimentales qui ont fait naufrage , et notre image , devenue notre atout principal dans la sphère digitale des social media, se doit d'être irréprochable si nous voulons être bankable . Le dictat de la beauté à tout prix  amène même certaines d'entre nous à réduire  drastiquement leur indice de masse corporelle en s'astreignant à une ascèse nuisible à leur esprit et surtout à leur humeur . Crises de nerfs garanties aux moins aguerries ...

Cela ne veut pas dire , pour autant , qu'elles se trouvent à un clic de l'homme idéal . Car les spécimens mâles qui sont  le plus susceptibles de les Liker sont soit ceux envers qui la nature a témoigné peu de générosité , soit ceux qui , comme elles, façonnent leur image à coup de selfies en cascade et de hashtags à la positivité boostée. De sorte que des egos surdimensionnés par leurs prouesses physiques ou esthétiques s'entremêlent  sur cette Toile sans jamais fusionner dans la vraie vie , car comme chacun sait, quand on devient une icône dans cet empire de simulacres  , on ne peut tomber le masque sous peine de déchoir et de décevoir.

Peu importe ! Un jour ou l'autre , elles finissent par être détrônées par des rivales qui recèlent dans leur smartphone des filtres encore plus magiques qui les immortalisent dans des postures encore plus ridicules. Duckface , fishgape,  quoi d'autre encore ! Elles ne sont plus à une déshumanisation près . Avec leurs implants mammaires ou fessiers , n'ont-elles pas déjà créé une nouvelle espèce ? Mais la sélection naturelle aura raison d'elles, car elles ne sauront s'adapter à un nouvel environnement le jour où elles cesseront d'être le nombril d'un monde nouveau , lassé une fois pour toutes de cette surenchère de superficialité et d'artificialité. .

dimanche 17 avril 2016




 
Il est vrai que je ne l'ai jamais vue se plaindre et qu'elle détenait une force de caractère exceptionnelle pour faire face aux vicissitudes de la vie. Elle était une héroïne racinienne, une  Andromaque fidèle à son défunt Hector et dévouée à ses enfants. Sa vie était rythmée par des rituels immuables, qu'elle accomplissait toujours avec la même équanimité, sans ressentir jamais la monotonie pesante que la répétition du même souvent génère  chez le commun des mortels. 

Jamais je ne l'entendis jeter d'imprécations ni maudire son sort. L'acrimonie ne faisait pas partie de son vocabulaire. Pourtant la fatalité s'était abattue dès son enfance, quand sa mère fut rappelée auprès du Tout Puissant.Trois décennies plus tard, ce fut le tour de son mari. De là, sans doute, naquit sa familiarité avec la mort. Elle ne la craignait pas. Elle l'avait apprivoisée. Chaque jour, d'aussi loin que je m'en souvienne, elle ouvrait le journal local à la même page, celle de la rubrique nécrologique. Au cas où l'une de ces connaissances serait partie sans faire de bruit dans la clameur de ce monde .

De là aussi, son inlassable constance à honorer ses aïeux disparus. Chaque année, à la Toussaint, qu'il pleuve ou qu'il vent , elle partait sur les routes montagneuses qui frôlaient les précipices afin de se recueillir sur les  tombes. Elle se joignait en cela aux foules ferventes qui venaient pavoiser de couleurs les cimetières aux nuances automnales et leur offrir un festival de lumières en déposant, dans leurs allées, des pots de chrysanthèmes et des veilleuses tremblantes . 

Ma grand-mère, dont le sourire à peine esquissé aurait certainement inspiré Léonard de Vinci, qui vénérait  le souvenir et adressait toujours ses prières à ceux qui avaient quitté la vie trop tôt, perdit peu à peu la faculté de se remémorer ses actes, puis les visages, puis le temps et l'espace. Elle qui avait consciencieusement tenu le registre des événements qui ponctuaient notre  petit univers s'éteignit en silence un matin d'hiver, face à la mer, emportant avec elle des bonheurs longtemps fanés et des douleurs secrètement gardées. Son exemple demeure, à ce jour,  mon meilleur rempart contre une des tentations de ce bas monde : l'oubli. 



lundi 11 avril 2016


Mis à part ses excès de surveillance qui me donnaient l'impression, parfois, d'être comme un oiseau en cage, elle avait pour moi une affection certaine et, je dois le dire, des attentions marquées . Même si sa nature ne la prédisposait pas aux épanchements, elle était soucieuse de mon bien-être, tant physique que moral. Les bonbons au miel étant ma friandise préférée , elle s'avisait d'en remplir un compotier en porcelaine de Sèvres placé sur une crédence en acajou dans l'antichambre contiguë au hall d'entrée.

Un jour pourtant, tout vola en éclats. Je veux parler du plat et, en conséquence, des bonnes dispositions de ma grand-mère à mon égard. Ma sœur et moi, qui nous entendions comme chien et chat, avions un différend diplomatique d'une telle ampleur qu'il nous obligea à en venir aux mains . Après moult pincements et poignées de cheveux arrachés, notre désaccord se prolongea en une course-poursuite effrénée dans toute la pièce, et, pour couronner le tout, par une bataille de coussins en tissu damassé qui en temps normal, ornaient l'un des canapés .

Il arriva ce qui devait arriver. L'un des coussins fut projeté malencontreusement contre le compotier qui se renversa avec fracas et répandit son contenu sur le parquet. Notre cavalcade s'arrêta net . Nous dressâmes l'oreille,  pétrifiées, conscientes que notre sentence allait porter le sceau de la sévérité . En détruisant le compotier, nous avions commis l'irréparable, car celui-ci était l'un des présents reçus par mes grands-parents le jour de leur mariage .

La porte s'ouvrit, et ma grand-mère entra dans la pièce, son regard bleu altéré par un voile d'inquiétude. Elle inspecta le sol, jonché d'éclats de porcelaine et de sucreries dorées, mais ne réagit pas. De sorte que la punition que je redoutais tant ne fut que le fruit de mon imagination. Ce que je vis affleurer sur son visage, ce ne fut pas un vent de colère, mais un nuage de peine.

Elle nous donna ensuite à goûter, en silence. Je me souviens  de la saveur amère de la barre de chocolat noir, de notre embarras, à ma soeur et à moi, de mon coeur noué à l'évocation du chagrin que je lui avais causé, à cette noble dame dont je ne compris jamais la docilité face au destin, moi qui m'insurgeais devant le moindre obstacle qui barrait mon chemin.