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mardi 10 mai 2016



Dans le labyrinthe de la connexion sans fil qui architecture notre siècle , il est un fil d'Ariane auquel une large majorité d'internautes déboussolées se raccrochent : celui qui les relie aux it-girls du moment . A défaut d'être débordantes de vie "in real life ", ces instagrammeuses  crâneuses visent à les faire déborder d'envie dans leur "virtual life" en se mettant en scène sans trêve dans des endroits et des tenues de rêve. On en oublierait presque que , si elles arborent un teint de porcelaine et un corps de sirène , c'est parce qu'elles usent et abusent de logiciels de retouche high-tech .

Normal ! Nous vivons à l'ère du bricolage et du rafistolage des relations sentimentales qui ont fait naufrage , et notre image , devenue notre atout principal dans la sphère digitale des social media, se doit d'être irréprochable si nous voulons être bankable . Le dictat de la beauté à tout prix  amène même certaines d'entre nous à réduire  drastiquement leur indice de masse corporelle en s'astreignant à une ascèse nuisible à leur esprit et surtout à leur humeur . Crises de nerfs garanties aux moins aguerries ...

Cela ne veut pas dire , pour autant , qu'elles se trouvent à un clic de l'homme idéal . Car les spécimens mâles qui sont  le plus susceptibles de les Liker sont soit ceux envers qui la nature a témoigné peu de générosité , soit ceux qui , comme elles, façonnent leur image à coup de selfies en cascade et de hashtags à la positivité boostée. De sorte que des egos surdimensionnés par leurs prouesses physiques ou esthétiques s'entremêlent  sur cette Toile sans jamais fusionner dans la vraie vie , car comme chacun sait, quand on devient une icône dans cet empire de simulacres  , on ne peut tomber le masque sous peine de déchoir et de décevoir.

Peu importe ! Un jour ou l'autre , elles finissent par être détrônées par des rivales qui recèlent dans leur smartphone des filtres encore plus magiques qui les immortalisent dans des postures encore plus ridicules. Duckface , fishgape,  quoi d'autre encore ! Elles ne sont plus à une déshumanisation près . Avec leurs implants mammaires ou fessiers , n'ont-elles pas déjà créé une nouvelle espèce ? Mais la sélection naturelle aura raison d'elles, car elles ne sauront s'adapter à un nouvel environnement le jour où elles cesseront d'être le nombril d'un monde nouveau , lassé une fois pour toutes de cette surenchère de superficialité et d'artificialité. .

dimanche 17 avril 2016




 
Il est vrai que je ne l'ai jamais vue se plaindre et qu'elle détenait une force de caractère exceptionnelle pour faire face aux vicissitudes de la vie. Elle était une héroïne racinienne, une  Andromaque fidèle à son défunt Hector et dévouée à ses enfants. Sa vie était rythmée par des rituels immuables, qu'elle accomplissait toujours avec la même équanimité, sans ressentir jamais la monotonie pesante que la répétition du même souvent génère  chez le commun des mortels. 

Jamais je ne l'entendis jeter d'imprécations ni maudire son sort. L'acrimonie ne faisait pas partie de son vocabulaire. Pourtant la fatalité s'était abattue dès son enfance, quand sa mère fut rappelée auprès du Tout Puissant.Trois décennies plus tard, ce fut le tour de son mari. De là, sans doute, naquit sa familiarité avec la mort. Elle ne la craignait pas. Elle l'avait apprivoisée. Chaque jour, d'aussi loin que je m'en souvienne, elle ouvrait le journal local à la même page, celle de la rubrique nécrologique. Au cas où l'une de ces connaissances serait partie sans faire de bruit dans la clameur de ce monde .

De là aussi, son inlassable constance à honorer ses aïeux disparus. Chaque année, à la Toussaint, qu'il pleuve ou qu'il vent , elle partait sur les routes montagneuses qui frôlaient les précipices afin de se recueillir sur les  tombes. Elle se joignait en cela aux foules ferventes qui venaient pavoiser de couleurs les cimetières aux nuances automnales et leur offrir un festival de lumières en déposant, dans leurs allées, des pots de chrysanthèmes et des veilleuses tremblantes . 

Ma grand-mère, dont le sourire à peine esquissé aurait certainement inspiré Léonard de Vinci, qui vénérait  le souvenir et adressait toujours ses prières à ceux qui avaient quitté la vie trop tôt, perdit peu à peu la faculté de se remémorer ses actes, puis les visages, puis le temps et l'espace. Elle qui avait consciencieusement tenu le registre des événements qui ponctuaient notre  petit univers s'éteignit en silence un matin d'hiver, face à la mer, emportant avec elle des bonheurs longtemps fanés et des douleurs secrètement gardées. Son exemple demeure, à ce jour,  mon meilleur rempart contre une des tentations de ce bas monde : l'oubli. 



lundi 11 avril 2016


Mis à part ses excès de surveillance qui me donnaient l'impression, parfois, d'être comme un oiseau en cage, elle avait pour moi une affection certaine et, je dois le dire, des attentions marquées . Même si sa nature ne la prédisposait pas aux épanchements, elle était soucieuse de mon bien-être, tant physique que moral. Les bonbons au miel étant ma friandise préférée , elle s'avisait d'en remplir un compotier en porcelaine de Sèvres placé sur une crédence en acajou dans l'antichambre contiguë au hall d'entrée.

Un jour pourtant, tout vola en éclats. Je veux parler du plat et, en conséquence, des bonnes dispositions de ma grand-mère à mon égard. Ma sœur et moi, qui nous entendions comme chien et chat, avions un différend diplomatique d'une telle ampleur qu'il nous obligea à en venir aux mains . Après moult pincements et poignées de cheveux arrachés, notre désaccord se prolongea en une course-poursuite effrénée dans toute la pièce, et, pour couronner le tout, par une bataille de coussins en tissu damassé qui en temps normal, ornaient l'un des canapés .

Il arriva ce qui devait arriver. L'un des coussins fut projeté malencontreusement contre le compotier qui se renversa avec fracas et répandit son contenu sur le parquet. Notre cavalcade s'arrêta net . Nous dressâmes l'oreille,  pétrifiées, conscientes que notre sentence allait porter le sceau de la sévérité . En détruisant le compotier, nous avions commis l'irréparable, car celui-ci était l'un des présents reçus par mes grands-parents le jour de leur mariage .

La porte s'ouvrit, et ma grand-mère entra dans la pièce, son regard bleu altéré par un voile d'inquiétude. Elle inspecta le sol, jonché d'éclats de porcelaine et de sucreries dorées, mais ne réagit pas. De sorte que la punition que je redoutais tant ne fut que le fruit de mon imagination. Ce que je vis affleurer sur son visage, ce ne fut pas un vent de colère, mais un nuage de peine.

Elle nous donna ensuite à goûter, en silence. Je me souviens  de la saveur amère de la barre de chocolat noir, de notre embarras, à ma soeur et à moi, de mon coeur noué à l'évocation du chagrin que je lui avais causé, à cette noble dame dont je ne compris jamais la docilité face au destin, moi qui m'insurgeais devant le moindre obstacle qui barrait mon chemin.

samedi 9 avril 2016


Le premier mois de l'été , je le passais sur la côte orientale de mon île natale , sur l'immense fief de ma grand-mère maternelle , qui vivait dans une bâtisse blanche monumentale , répartie en quatre ailes desservies par un escalier en colimaçon menant aux différents étages . Ce qui me frappait toujours , chez ma grand -mère , c'était son air digne , sa silhouette longiligne et le bichromatisme de ses tenues , du gris réhaussé de parme, qui faisaient d'elle une dame élégante mais discrète . Elle menait une vie saine , réglée comme du papier à musique et qui ne laissait aucune place à la fantaisie . Tout était équilibre , chez elle : ses émotions , son comportement , sa dévotion religieuse .

Car c'était une femme très pieuse . Je pense que la foi lui fut un dictame  indispensable quand son mari aimant perdit la vie dans la fleur de l'âge , emporté par une maladie incurable. Je n'ai jamais osé aborder ce sujet douloureux  avec elle . Mais ce que j'ai toujours su , c'est que ce grand-père au doux regard , que je voyais éternellement sourire dans le portrait sur la commode en marqueterie près de son lit , fut l'unique amour de sa vie .

Ma grand-mère m'inspirait du respect autant que de la crainte . Car mon tempérament fougueux , qui s'épanouissait avec les années , se heurtait souvent à sa sévérité qui , je dois le dire , était fort méritée .Alors que du côté paternel , c'est-à-dire  du côté mer , je ne rencontrais aucun frein à mes espiègleries , il n'en était pas de même du côté terre . Malgré l'étendue de la demeure familiale , malgré la démesure des plantations d'orangers et de vignes dont ma grand-mère était l'héritière , je ne pouvais me soustraire à son regard bleu outremer qui anticipait toutes mes facéties et me figeait dans une attitude contre-nature de petite fille modèle dont on me félicitait bien à tort quand on venait lui rendre visite .

Je profitais alors de l'arrivée de  ce beau monde pour  dévaler les escaliers et dépenser mon énergie contenue jusqu'alors en figures acrobatiques sur l'un des trapèzes de l'aire de jeu en contrebas de la terrasse à balustrades . Si par hasard , l'on venait à se pencher pour surveiller mes excentricités , car il arrivait que ma grand-mère , prise d'anxiété , abandonnât quelques minutes ses visiteurs pour vérifier que je ne commettais aucune imprudence , je glissais subrepticement  du trapèze à la balançoire et me mettais sagement à osciller d'avant en arrière en lui souriant de l'air le plus innocent qui soit .

dimanche 3 avril 2016


Quand je ne fixais pas le sillage du transméditerranée qui s'arrachait avec peine au littoral en faisant retentir sa corne de brume , je concentrais mon attention sur les anfractuosités des rochers, dans l'espoir de débusquer un crabe . Mais ce n'était pas une mince affaire, car la locomotion erratique de ces créatures diaboliques me donnait fort à faire, et il était plutôt rare que l'une d'entre elles vienne garnir le fond de mon épuisette. D'autant qu'il s'en trouvait toujours une pour m'obliger à lui courir après sur les rochers calcinés par le soleil et constellés de patelles. Au final , le crabe réussissait toujours à m'échapper, et moi j'écopais de vilaines cloques au pied . 

J'avais pourtant de jolies tongs ornées, au mitan du pied, d'une marguerite mutante, qui aurait pu préserver ma délicate voûte plantaire. Mais je ne voulais pas leur réserver une fonction bassement utilitaire. J'étais déjà esthète, voyez-vous ! Et vu qu'elles m'avaient été rapportées d'une lointaine contrée exotique , je ne voulais les arborer qu'en des occasions choisies . C'était surtout leur semelle qui ravissait ma vue. Elles étaient décorées d'espèces florales colorées et variées, ce qui me donnait l'impression , quand je les chaussais , d'avancer sur un tapis végétal luxuriant .

Un jour pourtant , ma sœur et ma cousine s'avisèrent de me jouer un vilain tour . Elles subtilisèrent l'une de mes tongs et la lancèrent dans les flots aussi loin qu'elles le purent . La vue de ma tong flottant désespérément au gré des courants me terrassa . J'étais désemparée comme Cendrillon sans sa pantoufle , mais une Cendrillon sans prince charmant qui se fût empressé de la lui rapporter . D'une voix tonitruante , je sommai les deux coupables de regravir quatre à quatre les marches de l' escalier qui menaient de la plage au jardin fortifié , et d'en ramener l'énorme râteau qui servait à entretenir les allées .Ce qu'elles firent promptement , sentant l'orage sourdre dans ma voix . Puis , pointant d'un doigt menaçant la tong dérivant dangereusement vers le large , je leur intimai l'ordre de se poster sur un rocher et de ratisser l'eau pour la récupérer .

Les deux complices n'en menaient pas large . Elles savaient que je ne les laisserais pas repartir bredouille sous peine de représailles . Heureusement Poséidon eut pitié d'elles , ou plutôt Éole , car grâce à son concours , la tong à la marguerite protubérante fut récupérée par le râteau et retrouva sa place de choix sur mon pied . C'est à partir de ce jour que je décidai de ne plus jamais m'en séparer , et que je fis mien ce précepte : joindre l'utile à l'agréable . Dès lors , plus de cloques aux pieds , et beaucoup plus de crabes dans mon panier !

mardi 29 mars 2016

Si j'avais tellement à coeur de défendre la liberté des créatures de la nature , c'est que je la respirais à pleins poumons , cette liberté , dans mon royaume qui surplombait  la mer . J'attendais les mois d'été avec impatience pour déserter la forteresse où les roses bercées par la brise marine croissaient avec vigueur , et m'aventurer sur les rochers afin de contempler , au loin, le départ quotidien de l'énorme navire chargé de nostalgie à destination du "continent ". Pour cela , Il me suffisait de tourner la clé rongée par les embruns du portail en bois tout au fond du jardin pour me retrouver dans une nouvelle aire, minérale, presque sidérale tellement elle semblait s'opposer au soleil dans un face-à-face aveuglant: la plage . Elle n'était accessible à l'époque qu'aux résidents du chapelet de villas qui lui servaient de rempart. Aussi avais-je l'impression d'en être l'unique propriétaire, vu qu'aucun autre humain ne semblait en apprécier l'existence .

Ce n'était pas une étendue de sable fin, comme celle qui alimente les fantasmes de tant de vacanciers . Il s'agissait d'un sable dont la granulosité était plus épaisse. Sur la grève, gisaient, pèle-mêle, les minuscules spécimens d'un cabinet de curiosités à ciel ouvert: des galets blancs veinés de noir que j'aimais faire rebondir sur la crête des vagues; des bris de verre multicolore polis par le sel marin; des tesselles de céramique, comme si des courants malins s'étaient amusés à desceller d'hypothétiques mosaïques tapissant les profondeurs marines; des coquillages marbrés, striés, ou nacrés, que je ramassais pour en faire des colliers; et, quand survenaient des tempêtes et que la houle lançait au galop sur la mer des vagues aux crinières échevelées,  des bouts de bois de taille variable, vestiges de naufrages imaginaires comme ceux qui naissent dans l'esprit des enfants une fois qu'on leur a fait lecture des tribulations maritimes d'un certain Robinson .

Cette plage, avec ses trésors étalés en plein soleil, son enceinte de maisons qui la murait dans une solitude étincelante, avait une poésie particulière que je n'ai jamais retrouvée par la suite. Sans doute était-ce  la poésie de l'enfance, celle qui jaillit en nous quand on regarde le monde sans en comprendre encore le sens et qu'on le croit peuplé de créatures merveilleuses aux destins fabuleux. Cette plage devait être sans doute bien banale, comparée à d'autres, mais à mes yeux de petite fille ébahie, elle valait tous les palais des mille et une nuits que j'ai pu visiter depuis .



samedi 5 mars 2016


Il y eut bien d'autres épisodes à inscrire au palmarès de ma sottise, notamment celui du saut en parapluie , par un après-midi de grand vent, depuis le rebord du salon de musique . Celui-ci se trouvait à droite de l'escalier en granit rose qui menait à l'enceinte du jardin en surplomb des rochers et de la mer . J'avais , encore une fois, convaincu mes deux acolytes que la météorologie du jour était parfaitement adéquate pour un envol dans les airs digne de Mary Poppins grâce aux larges parapluies noirs aux baleines indestructibles dont mon grand-père faisait la collection .

Bien-sûr , comme tout maître de cérémonie qui se respecte , je n'allais qu'indirectement  participer à l'opération . Je me contentais de guider mes deux recrues pour ce qui est du positionnement à adopter , car je pressentais que leur atterrissage rapide allait avoir  des conséquences fâcheuses sur le massif d'hortensias à l'apogée de sa floraison . Fort heureusement , les rafales de vent  cessèrent d'un coup , et mon projet Poppins tomba à l'eau .

Je ne me laissai pas abattre et avisai la volière au grillage doré qui avait pris place, en raison du radoucissement thermique, non loin des lauriers roses. Libérer les perruches de mes grands-parents me paraissait une noble cause . Je condamnais en effet toute forme d'enfermement et il me semblait tout-à-fait indiqué de permettre aux prisonnières à plumes de profiter des nombreux arbres qui déployaient  leurs ramures dans la forteresse du jardin .

Mais il fallait pour cela que mon projet fût voté à l'unanimité , ce qui n'était pas encore le cas , car ma cousine , qui craignait beaucoup mon grand-père , émettait de fortes réserves. Je finis par remporter son adhésion en lui promettant que nous allions  réaliser les copies conformes des perruches volatilisées dans la nature  grâce au contenu du nécessaire de couture appartenant à ma grand-mère .

Nous voilà  donc solennellement postées toutes les trois face à la volière , à entonner à l'unisson une chanson du répertoire français célébrant la libération des oiseaux de leur cage . A la suite de quoi j'ouvris la petite porte de la volière . Mais les perruches ne perçurent pas du tout la possibilité d'évasion que je leur offrais . Il me fallut donc entrer mon bras et saisir les oiseaux apeurés pour les extraire de leur prison dorée . J'y parvins non  sans mal au prix de quelques griffures , et envoyai dans les airs les captives ailées.

Quand ma cousine inquiète me rappela que nous devions maintenant remplacer les oiseaux envolés , je m'en tirai avec une pirouette .Il valait bien mieux prétexter que la porte de la volière avait été mal fermée et qu'un coup de vent avait été l'auteur du fâcheux incident .Mais le soir même , je fus lâchement dénoncée par la couarde . On me sermonna comme il se doit , mais ce qui me marqua et me peina durablement , c'est le terrible sort qui échut aux victimes de mon humanité . Elles furent dévorées , le lendemain , alors qu'elles étaient à la recherche de graines sur les marches de l'escalier , par les deux chats siamois de la maisonnée !