Si j'avais tellement à coeur de défendre la liberté des
créatures de la nature , c'est que je la respirais à pleins poumons ,
cette liberté , dans mon royaume qui surplombait la mer .
J'attendais les mois d'été avec impatience pour déserter la forteresse
où les roses bercées par la brise marine croissaient avec vigueur , et
m'aventurer sur les rochers afin de contempler , au loin, le départ
quotidien de l'énorme navire chargé de nostalgie à destination du
"continent ". Pour cela , Il me suffisait de tourner la clé rongée par
les embruns du portail en bois tout au fond du jardin pour me retrouver
dans une nouvelle aire, minérale, presque sidérale tellement elle semblait s'opposer au soleil dans un face-à-face aveuglant:
la plage . Elle n'était accessible à l'époque qu'aux résidents du
chapelet de villas qui lui servaient de rempart. Aussi avais-je
l'impression d'en être l'unique propriétaire, vu qu'aucun autre humain
ne semblait en apprécier l'existence .
Ce n'était pas une étendue de sable fin, comme celle qui
alimente les fantasmes de tant de vacanciers . Il
s'agissait d'un sable dont la granulosité était plus épaisse. Sur la grève, gisaient, pèle-mêle, les minuscules spécimens d'un cabinet de curiosités à ciel ouvert: des
galets blancs veinés de noir que j'aimais faire rebondir sur la crête
des vagues; des bris de verre multicolore polis par le sel marin; des
tesselles de céramique, comme si des courants malins s'étaient amusés à
desceller d'hypothétiques mosaïques tapissant les profondeurs marines;
des coquillages marbrés, striés, ou nacrés, que je ramassais pour en
faire des colliers; et, quand survenaient des tempêtes et que la houle
lançait au galop sur la mer des vagues aux crinières échevelées, des
bouts de bois de taille variable, vestiges de naufrages imaginaires
comme ceux qui naissent dans l'esprit des enfants une fois qu'on leur a
fait lecture des tribulations maritimes d'un certain Robinson .
Cette plage, avec ses trésors étalés en plein soleil, son
enceinte de maisons qui la murait dans une solitude étincelante, avait
une poésie particulière que je n'ai jamais retrouvée par la suite. Sans
doute était-ce la poésie de l'enfance, celle qui jaillit
en nous quand on regarde le monde sans en comprendre encore le sens et
qu'on le croit peuplé de créatures merveilleuses aux destins fabuleux.
Cette plage devait être sans doute bien banale, comparée à d'autres, mais à mes yeux de petite fille ébahie, elle valait tous les palais des
mille et une nuits que j'ai pu visiter depuis .
"WE ARE SUCH STUFF AS DREAMS ARE MADE ON, AND OUR LITTLE LIFE IS ROUNDED WITH A SLEEP". La citation de Shakespeare qui inaugure mon blogue résume magistralement ma vision de l'existence humaine. Nous sommes faits de l'étoffe des songes, et notre courte vie se clôt par un long sommeil. Alors, plutôt que de rêver notre vie, vivons nos rêves! Et faisons éclater en infimes particules de sens jubilatoires le monde qui nous entoure.
mardi 29 mars 2016
samedi 5 mars 2016
Bien-sûr , comme tout maître de cérémonie qui se respecte , je n'allais qu'indirectement participer à l'opération . Je me contentais de guider mes deux recrues pour ce qui est du positionnement à adopter , car je pressentais que leur atterrissage rapide allait avoir des conséquences fâcheuses sur le massif d'hortensias à l'apogée de sa floraison . Fort heureusement , les rafales de vent cessèrent d'un coup , et mon projet Poppins tomba à l'eau .
Je ne me laissai pas abattre et avisai la volière au grillage doré qui avait pris place, en raison du radoucissement thermique, non loin des lauriers roses. Libérer les perruches de mes grands-parents me paraissait une noble cause . Je condamnais en effet toute forme d'enfermement et il me semblait tout-à-fait indiqué de permettre aux prisonnières à plumes de profiter des nombreux arbres qui déployaient leurs ramures dans la forteresse du jardin .
Mais il fallait pour cela que mon projet fût voté à l'unanimité , ce qui n'était pas encore le cas , car ma cousine , qui craignait beaucoup mon grand-père , émettait de fortes réserves. Je finis par remporter son adhésion en lui promettant que nous allions réaliser les copies conformes des perruches volatilisées dans la nature grâce au contenu du nécessaire de couture appartenant à ma grand-mère .
Nous voilà donc solennellement postées toutes les trois face à la volière , à entonner à l'unisson une chanson du répertoire français célébrant la libération des oiseaux de leur cage . A la suite de quoi j'ouvris la petite porte de la volière . Mais les perruches ne perçurent pas du tout la possibilité d'évasion que je leur offrais . Il me fallut donc entrer mon bras et saisir les oiseaux apeurés pour les extraire de leur prison dorée . J'y parvins non sans mal au prix de quelques griffures , et envoyai dans les airs les captives ailées.
Quand ma cousine inquiète me rappela que nous devions maintenant remplacer les oiseaux envolés , je m'en tirai avec une pirouette .Il valait bien mieux prétexter que la porte de la volière avait été mal fermée et qu'un coup de vent avait été l'auteur du fâcheux incident .Mais le soir même , je fus lâchement dénoncée par la couarde . On me sermonna comme il se doit , mais ce qui me marqua et me peina durablement , c'est le terrible sort qui échut aux victimes de mon humanité . Elles furent dévorées , le lendemain , alors qu'elles étaient à la recherche de graines sur les marches de l'escalier , par les deux chats siamois de la maisonnée !
mardi 1 mars 2016
En parlant de disparaître , j'ai toujours éprouvé une fascination pour le mythe de l'anneau de Gygés. La faculté de se volatiliser à l'envi , de se débarrasser d'un corps trop voyant et pesant comme parvenait à le faire l'envoutante Elizabeth Montgomery dans les rediffusions de Ma Sorcière Bien-Aimée , piquait ma curiosité au plus haut point . Je m'exerçai tant bien que mal à agiter le bout de mon nez , croyant naïvement parvenir à réaliser cet exploit contre-nature . Rien n'advint. Je restai désespérément clouée au plancher des vaches . Mais de nature espiègle , je convainquis ma sœur et ma cousine que j'avais trouvé la recette d'une potion magique dans l'un des grimoires mis sous clé dans la bibliothèque de mon grand-père .
Je devais avoir beaucoup d'éloquence et surtout un pouvoir de persuasion élevé . Car mes deux compagnes de jeu me crurent sur le champ.Un samedi après-midi , comme nous avions l'habitude de nous retrouver dans la villa au bord de mer de ma grand-mère , je les réunis dans la buanderie du rez-de-chaussée , après m'être assurée que mon aïeule paternelle était absorbée au premier étage par la lecture du quotidien local. Je commandai à mes deux cobayes de fermer les yeux ( ce qu'elles firent non sans anxiété ) et de me tendre la paume de leur main droite. Je déversai alors le premier produit que je trouvai à ma portée et complétai l'opération par l'adjonction d' une généreuse pincée de lessive en poudre .
La réaction fut immédiate . Elles crièrent de douleur avec une telle emphase que ma grand-mère épouvantée , escortée de la bonne , accoururent en grande hâte . Il s'avéra que le liquide incriminé était de l'ammoniaque , et que j'avais brûlé, sans le savoir, l'épiderme délicat de mes victimes sacrificielles . Autant dire que je fus punie ... de goûter . J'avais en effet plaidé ma cause avec une telle passion que j'en ressortis même couronnée de lauriers , cependant que les deux jeunes ingénues furent tancées vertement d'avoir cru une fois de plus à mes sornettes insensées .
Ma première expérience de la mort, je la vécus un beau matin de printemps , dans un parterre de roses baigné de soleil , derrière la pelouse où se dressait , dans un coin, un cactus gigantesque aux épines redoutables . Il semblait endormi, le chat noir aux yeux d'or , enroulé sur lui-même comme un rouleau de réglisse , déposé là par erreur . Il n'avait pas de nom . C'était un chat sauvage, de ceux qui ne franchissent jamais le seuil d'une maison, arrivé d'on ne sait où, mais qui s'était laissé séduire par l'hospitalité de ma mère . Probablement jalouse de l'attention que celle-ci lui prodiguait , je le tyrannisais souvent.Mais je devais l'aimer, malgré tout .Car je ressentis une grande tristesse le jour qu'il est parti , sans bruit, en dormant, emporté par les ans , dans un poudroiement de pollen et de lumière dorée .
Cela avait l'air si simple , de mourir . Des yeux qui se ferment pour ne plus jamais se rouvrir . Reste l'obscénité d'un corps sur lequel on n'a plus de prise et qu'on abandonne aux autres . La mort , en somme , est le cadeau le plus empoisonné de la vie . Qu'on la choisisse ou qu'on la subisse, elle impose sa présence guerrière aux vivants ubi et orbi. En fine stratège , elle envoie ses bataillons de vers invisibles à l'assaut de ses cadavres exquis . Le froid, la glace , voilà ses ennemis . Eux seuls osent se mesurer à elle pour diminuer ses outrages . Si j'avais à choisir , je m'ensevelirais dans les eaux glaciales de l'Antarctique face au désert blanc infini qui fait fuir les humains . On n'y meurt pas là-bas . On disparaît .
lundi 29 février 2016
Je considérais le piano à queue vernis noir étendu de tout son long sous les voûtes gothiques du salon comme un Léviathan sournois prêt à déchiqueter mes doigts de ses dents d'ivoire si je me hasardais à violenter ses touches dans un soudain accès de haine. C'est que je le détestais , cet hôte encombrant de bois et d'acier . On m'enjôla du mieux qu'on put pour me vanter les mérites de l'instrument , quand j'eus fait part de ma préférence pour le violon . Mais quoi que je pusse dire , on décréta que je serais pianiste .
Je me découvris alors soudain fort paresseuse . Il fallait sonner de l'olifant pour parvenir à m'extirper du cocon de ma chambre et me faire prendre place devant l'hydre assoupie.Et quand , finalement , j'avais épuisé toutes les excuses pour me dérober au tête-à tête-avec la bête, je prenais un malin plaisir à me venger sur elle en plaquant des accords tonitruants ou en faisant dévaler mes mains d'un bout du clavier à l'autre dans un déferlement sonore assourdissant . Mon ennemi juré faisait alors entendre des grognements sinistres qui faisaient trembler les murs et me remplissaient d'aise .
C'est ainsi que je pris conscience assez vite que , couvant au fond de moi comme un feu mal éteint, un enfant sadique aux yeux rougeoyants comme ceux des monstres de Hyeronymus Bosh attendait patiemment son heure . Les premières victimes de ma cruauté enfantine furent les fourmis noires besogneuses qui se déplaçaient en procession le long du muret d'un des jardins. Armée d'une bouteille plastique que je remplissais à moitié d'eau , j'introduisais par le goulot quelques fourmis mûrement choisies et agitais ensuite le tout comme s'il s'était agi d'un shaker . Après quoi je procédais au sauvetage in extremis des insectes agonisants en les étalant au soleil et en les regardant reprendre leurs forces puis s'enfuir comme des diables dans l'herbe folle.
dimanche 28 février 2016
La jeune héroïne ne m'était d'ailleurs guère inconnue. Très
tôt, j'avais eu entre les mains la traduction du roman éponyme ainsi
que celle du héros de Dickens, Oliver Twist. Il s'agissait de deux
livres brochés illustrés, adaptés à un jeune lectorat , qui m'avaient
été offerts par ma mère , sans savoir que j'allais plus tard m'orienter
vers le décryptage poussé des œuvres séminales de la littérature anglaise . Le sort des deux
enfants m'avait plutôt ébranlée . Orphelins ! Ce mot m'effrayait.
Comment un enfant pouvait-il vivre sainement en n'étant pas le nombril
du monde de ses parents ?
Pour me rassurer , je me dis que la littérature n'était qu'un fatras de mensonges , que la petite Jane et le jeune Oliver n'avaient jamais existé , et que donc les orphelins avaient été inventés par des écrivains cruels pour terrifier l'enfant choyée que j'étais . Je dois dire qu'en contrepartie de la satisfaction de mes caprices divers et variés , j'étais astreinte à une rude discipline éducative . Il me fallait exceller en toutes les matières , ce que, par bonheur , je n'avais aucun mal à faire . Seules les sciences naturelles plus tard ne m'inspirèrent guère d'attrait , mais je me rattrapais en buvant comme du petit lait les paroles du professeur , dont je m'étais enamourée pour une raison obscure .
Je dus aussi , dès l'âge de cinq ans, m'atteler avec une feinte ferveur à l'exploration du solfège . Il y avait , en particulier , un fascicule dont la couverture portait un nom honni : la théorie ! A l'intérieur de ce livret étaient consignés des portées , des clés de toutes sortes , et surtout des signes cabalistiques noirs qu'il me fallait apprendre à reproduire, et que ma mère , pédagogue en théorie mais peu patiente en pratique, essayait de m'inculquer. Le pire était quand je me rendais au conservatoire , et que le professeur , d'une sévérité à faire frémir l'enfant terrible le plus endurci et d'une perversité enracinée, m'interrogeait et ne manquait jamais de relater à ma génitrice mes défaillances constatées .
Vous comprendrez donc que je nourrissais pour le vaste édifice qui accueillait le conservatoire, avec son escalier de marbre d'apparat et ses couloirs interminables aux plafonds démesurés , des sentiments de méfiance et de crainte . Je rentrais dans la salle de solfège tenaillée par l'angoisse , et j'en ressortais soit crispée soit enthousiasmée , selon que mes performances avaient été lamentables ou louables . Il en fut de même pour les cours de piano . Il me fallait être aussi virtuose à six ans que Mozart , sous prétexte que dans ma famille, une aïeule avait été concertiste , et que donc , je ne pouvais décemment déchoir en agressant le clavier comme une révoltée - révoltée que j'étais déjà par nature , et qui n'allait cesser , bien évidemment, de s'affirmer .
Pour me rassurer , je me dis que la littérature n'était qu'un fatras de mensonges , que la petite Jane et le jeune Oliver n'avaient jamais existé , et que donc les orphelins avaient été inventés par des écrivains cruels pour terrifier l'enfant choyée que j'étais . Je dois dire qu'en contrepartie de la satisfaction de mes caprices divers et variés , j'étais astreinte à une rude discipline éducative . Il me fallait exceller en toutes les matières , ce que, par bonheur , je n'avais aucun mal à faire . Seules les sciences naturelles plus tard ne m'inspirèrent guère d'attrait , mais je me rattrapais en buvant comme du petit lait les paroles du professeur , dont je m'étais enamourée pour une raison obscure .
Je dus aussi , dès l'âge de cinq ans, m'atteler avec une feinte ferveur à l'exploration du solfège . Il y avait , en particulier , un fascicule dont la couverture portait un nom honni : la théorie ! A l'intérieur de ce livret étaient consignés des portées , des clés de toutes sortes , et surtout des signes cabalistiques noirs qu'il me fallait apprendre à reproduire, et que ma mère , pédagogue en théorie mais peu patiente en pratique, essayait de m'inculquer. Le pire était quand je me rendais au conservatoire , et que le professeur , d'une sévérité à faire frémir l'enfant terrible le plus endurci et d'une perversité enracinée, m'interrogeait et ne manquait jamais de relater à ma génitrice mes défaillances constatées .
Vous comprendrez donc que je nourrissais pour le vaste édifice qui accueillait le conservatoire, avec son escalier de marbre d'apparat et ses couloirs interminables aux plafonds démesurés , des sentiments de méfiance et de crainte . Je rentrais dans la salle de solfège tenaillée par l'angoisse , et j'en ressortais soit crispée soit enthousiasmée , selon que mes performances avaient été lamentables ou louables . Il en fut de même pour les cours de piano . Il me fallait être aussi virtuose à six ans que Mozart , sous prétexte que dans ma famille, une aïeule avait été concertiste , et que donc , je ne pouvais décemment déchoir en agressant le clavier comme une révoltée - révoltée que j'étais déjà par nature , et qui n'allait cesser , bien évidemment, de s'affirmer .
samedi 27 février 2016
Je me souviens aussi d'une Lady anglaise , d'un âge fort avancé , botaniste réputée qui m'avait fait l'honneur de m'accompagner une fois lors de mes pérégrinations sylvestres . Avec son accent britannique si distingué, elle déclinait le nom compliqué de toutes les espèces végétales écloses sur notre passage , et j'étais étonnée que certaines d'entre elles , aux proportions et à l'apparence si modestes, pussent s'enorgueillir de porter un nom de baptême aussi prétentieux .
Lady Conrad est décédée depuis. Mais j'ai souvent l'impression , quand je longe la maisonnette qui lui servait de repaire les mois d'été où je m'esbaudissais sauvagement dans cette nature emplie de magie et de mystères , que le fantôme de la noble dame aux mains finement veinées de bleu continue , sans relâche , d'herboriser et de remercier le ciel de lui avoir permis de choisir , comme terre d'exil, ce royaume odoriférant à nul autre pareil.
Mes étés montagnards rimaient avec liberté . J'étais la souveraine de la maisonnée , confiée à une grand-mère bon-enfant et à une bonne d'enfants des plus indulgentes. En bref, je n'en faisais qu'à ma tête . On exauçait le moindre de mes souhaits , sous peine de me voir fortement contrariée . Il faut dire , qu'au grand dam de certains membres de ma famille , j'avais un tempérament des plus affirmés pour mon jeune âge , dont d'ailleurs , il faut le dire , je ne me suis guère départie avec les années .
Ma sœur et ma cousine craignaient de me déplaire tout autant qu'elles respectaient mes talents de metteur en scène . Car des spectacles , j'en montais . Je donnais des directives à l'une et à l'autre pour ce qui était de la confection des costumes , réalisés à partie de foulards en soie dérobés dans une certaine armoire d'un étage élevé , et surtout de paillettes , que mes deux séides se pressaient de coudre avec application sous mon oeil impérieux de dernière reine d'Egypte.
Point n'est besoin de préciser que je nourrissais pour Cléopâtre une admiration hyperbolique . Il me revient en mémoire des séances secrètes de maquillage improvisé avec du feutre noir ( le khôl eût été plus approprié , mais comment aurais-je pu formuler une demande aussi déplacée à un adulte , même acquis à ma cause, à l'âge de huit ans?) , devant la psyché d'une des chambre d'invités jamais occupée , et dont l'ameublement en bois sombre ainsi que les tentures incarnat semblaient avoir servi d'inspiration à Charlotte Bronte quand elle écrivit la scène de la chambre rouge de Jane Eyre.
jeudi 25 février 2016
J'ai découvert Proust à l'âge de treize ans, dans une imposante demeure familiale aux pièces innombrables où je passais mes étés , face à une montagne magique au nom étincelant : le Monte d'Oro . Je ne comprenais pas, à l'époque, pourquoi un Charles Swann aussi lettré pouvait éprouver autant d'émois pour une catin aussi peu éduquée. C'est que je n'avais pas encore découvert l'asservissement que peuvent procurer les sens, et dont nombre d'humains sont victimes au dépens de leur raison .
Mon Combray à moi, c'était ce hameau niché au cœur d'une forêt domaniale avec ses vastes étendues de pins géants et ce torrent qui bondissait joyeusement dans un fracas désordonné de roches jetées avec rage par un Titan blessé. C'est depuis un petit pont de bois, au tablier de rondins irréguliers , que mon oreille enchantée s'imprégnait de l'allégresse de ses eaux vives. J'y retourne en pèlerinage chaque été .
Rien n'a changé . Le soleil transperce toujours de sa rapière dorée les frondaisons des hêtres centenaires qui côtoient les pins à l'écorce rugueuse . Les mousses et les lichens tapissent toujours les murets de pierres qui longent le sentier forestier . Et surtout, à l'abri des regards, dans les coins ombragés, des cyclamens apeurés , couronnés de rosée , devisent en aparté comme les vieilles dévotes que je voyais le dimanche , une fois l'office célébré, quitter la chapelle de granit qui se dressait , dans sa minuscule majesté , à l'orée de la forêt de mon enfance tant aimée .
A SUIVRE ...
samedi 20 février 2016
Certaines d'entre nous, partisanes des solutions radicales, brisent alors leurs chaînes et se lancent à corps perdu à l'aventure sur les man's lands inconnus. D'autres, moins effrontées et surtout plus vénales, n'osent pas lâcher la proie pour l'ombre et flirtent avec l'adultère dans des Love Hotels où, de love, il n'y a que le nom. Jusqu'au jour où l'amour-propre de leur mari leur fait payer au prix fort les souillures qu'elles ont infligées à son nom.
Chez Laclos , si Tourvel meurt d'avoir goûté à ce qu'était vraiment l'amour, Merteuil s'enterre dans un couvent pour avoir fabriqué cet amour de façon contre-nature. Quant au divin vicomte , il périt tout autant en victime qu'en bourreau. Victime , car il a sous-estimé les élans de son coeur; bourreau , car il a brisé le cœur pour laquelle , cependant , le sien , de coeur, battait .
Faut-il pour autant vouer la marquise aux gémonies , et pleurer sur la tombe de la présidente? Merteuil avait un coeur elle aussi . Mais elle avait trop d'orgueil pour le laisser régner sur son esprit . Pire encore , elle aimait un libertin , qui , cruelle ironie , s'éprit de celle qu'elle avait projeté de perdre.
Qui pourrait la blâmer d'avoir voulu panser ses plaies en visant une dévote sacrifiant sa vertu sur l'autel de la chair? Ne vivait-elle pas en un siècle où les femmes n'avaient pas leur mot à dire ? Pour exister au siècle des Lumières, le sexe faible devait agir dans l'ombre des alcôves . La veuve noire tissa sa toile, et l'épouse adultère tomba, comme une mouche .
Même si nous ne vivons plus à l'ère de la raison triomphante mais à celle de la déraison collective , nous sommes néanmoins assujetties aux diktats de notre raison, aussi perverse soit-elle. Car les ressources de notre esprit sont notre seul garde-fou contre les aléas des affects qui gouvernent nos vies intimes. Nous sommes toutes, tour à tour, des Tourvel extasiées et des Merteuil blessées. La raison en est que nous avons un coeur , et qu'il finit toujours par nous terrasser si nous le laissons parler ...
dimanche 7 février 2016
C'est qu'à force de faire des ratures sur le brouillon de nos relations , on n'essaie plus d'en corriger les erreurs . De sorte qu'année après année , le palimpseste de nos amours devient risible tant il est illisible. Peu importe d'ailleurs . Car si l'on parvenait à le déchiffrer , il se révélerait des plus cryptiques.
Il faut se faire une raison . On perd à tous les coups au jeu de l'amour et du hasard . Parce qu'on oublie trop volontiers qu'il n'y a jamais de hasard en amour . On n'est jamais libre de ses choix . Quelque part , dans le dédale synaptique de nos connexions neuronales , se cache la clé de nos défaites présentes , mais aussi , il faut y croire , de nos réussites futures!
dimanche 31 janvier 2016
Quand j'étais enfant , je ne comprenais pas pourquoi les grandes personnes passaient leurs journées à se plaindre et à déplorer que le temps passe si vite . Ma perception temporelle était tout autre . Je les trouvais longues, ces années de collège , longues ces années de lycée . C'est d'ailleurs à ce moment là que je me suis mise à rêver , à bâtir mes châteaux en Espagne avec le plus beau cancre de la classe à qui je réservais une place au premier rang, à côté de moi , pour qu'il ait tout loisir de copier mes réponses lors des contrôles de maths.
Je ne sais pas vraiment ce qu'il est devenu , ce beau blond qui se faisait toujours remarquer en entrant dans la classe , un sourire ravageur en guise d'excuse, longtemps après la dernière sonnerie . S'il me fascinait tant , c'est sans doute qu'il osait braver l'interdit . Il n'avait peur de décevoir personne , ni sa mère , ni ses pairs . C'est qu'il les portait avec panache , ses résultats médiocres et ses retards chroniques, quand il fumait ses Lucky Strike à la sortie des classes.
Je le regardais , d'un oeil émerveillé , enfourcher sa moto aux chromes rutilants et partir dans un nuage de fumée vers une destination inconnue . J'ai beaucoup pleuré quand j'ai su qu'il avait jeté son dévolu sur l'apprentie coiffeuse de son quartier . Une blonde , comme lui , à qui il permettait de grimper derrière lui sur son destrier rouge sang. Peut-être l'a-t-il épousée ? Qui sait !
Je ne l'ai jamais revu . Prise dans le tourbillon de mes études , je l'ai oublié . Jusqu'à aujourd'hui . C'est vrai , le temps passe vite ! On ne s'en rend vraiment compte que les jours de grande nostalgie . Et je repense à ces années lycée où je guettais son arrivée et où je m'enivrais , quand il prenait place à mes côtés , de son parfum Guerlain , jusqu'à ce qu'il abandonne , une fois le cours fini, loin derrière lui, cette odeur de tabac blond aussi fugace et insaisissable que cette année de terminale qui mit un point final au premier chapitre de ma vie .
Je ne sais pas vraiment ce qu'il est devenu , ce beau blond qui se faisait toujours remarquer en entrant dans la classe , un sourire ravageur en guise d'excuse, longtemps après la dernière sonnerie . S'il me fascinait tant , c'est sans doute qu'il osait braver l'interdit . Il n'avait peur de décevoir personne , ni sa mère , ni ses pairs . C'est qu'il les portait avec panache , ses résultats médiocres et ses retards chroniques, quand il fumait ses Lucky Strike à la sortie des classes.
Je le regardais , d'un oeil émerveillé , enfourcher sa moto aux chromes rutilants et partir dans un nuage de fumée vers une destination inconnue . J'ai beaucoup pleuré quand j'ai su qu'il avait jeté son dévolu sur l'apprentie coiffeuse de son quartier . Une blonde , comme lui , à qui il permettait de grimper derrière lui sur son destrier rouge sang. Peut-être l'a-t-il épousée ? Qui sait !
Je ne l'ai jamais revu . Prise dans le tourbillon de mes études , je l'ai oublié . Jusqu'à aujourd'hui . C'est vrai , le temps passe vite ! On ne s'en rend vraiment compte que les jours de grande nostalgie . Et je repense à ces années lycée où je guettais son arrivée et où je m'enivrais , quand il prenait place à mes côtés , de son parfum Guerlain , jusqu'à ce qu'il abandonne , une fois le cours fini, loin derrière lui, cette odeur de tabac blond aussi fugace et insaisissable que cette année de terminale qui mit un point final au premier chapitre de ma vie .
jeudi 31 décembre 2015
L'obscurité a toujours été stigmatisée dans le monde occidental . C'est qu'on la craint . Elle pointe toujours une absence , une privation ,une frustration même . Manque de lumière , au sens physique, manque de clarté , au sens intellectuel. Dans un cas comme dans l'autre , nous sommes délogés de notre zone de confort . Il nous faut procéder à tâtons avec le risque de nous cogner à la réalité concrète ou abstraite .
Mais à y bien réfléchir , l'obscurité fait partie du grand cycle de la nature . Si le jour existe , c'est bien parce que la nuit lui donne naissance . Notre gestation dans la matrice maternelle s'est aussi effectuée dans l'obscurité la plus complète . Et la vie organique ne serait pas possible sans la mise en sommeil des photons . Pour permettre à la nature de se régénérer ou tout simplement de se développer , l'obscurité est donc indispensable .
Le domaine des inventions techniques en a d'ailleurs tiré amplement partie . La photographie n'aurait jamais vu le jour sans la mise au point de la chambre noire . Et le cinématographe nous attire bien dans des salles obscures pour que prennent vie sur un écran les destinées les plus variées . Il en est de même pour les salles de spectacles : que ce soit au théâtre ou à l'opéra , pour que la magie opère , la lumière de la salle doit s'éteindre pour que celle de la scène nous illumine .
Si le divertissement la courtise, si elle est un composant inaliénable de la vie , il serait enfin temps que nous cessions de la redouter , voire même de la diaboliser . On oublie trop qu 'elle est plus proche de nous qu'il n y paraît . Il n'est qu'à sonder notre moi profond pour y dénicher notre part d'ombre . Tapie au fond de nous , elle attend que nous l'apprivoisions .La fuir reviendrait à se renier soi même , à se détruire ou , pire encore , détruire les autres. L'obscurantisme , voilà ce qu'il faut combattre . Car il a pour seule fin de plonger le monde dans les ténèbres en lui fermant les portes de l'avenir .
lundi 21 décembre 2015
C'est toujours un peu la même histoire, ces grands méchants sur grand écran qui font le mal pour le mal. Ils ont toujours raté quelque chose dans leur enfance. Soit ils ont grandi dans l'ombre intergalactique d'une mère qui a tout fait pour leur faire oublier leur père . Soit ils ont grandi dans le vide sidéral laissé par une mère démissionnaire en prise avec un père tortionnaire.
Comment leur reprocher ensuite d'être bancals , eux qui n'ont appris à se tenir debout qu'en s'agrippant au mât de leur lit, spectateurs du naufrage parental et cherchant plus tard leur bonne étoile dans le ciel de leurs délits? Quand on est privé d'un centre , ballotés entre un besoin d'amour immense et un sentiment d'abandon , peut-on faire autre chose que de se tourner vers le côté obscur?
Comme ces fruits que l'on cueille des arbres avant qu'ils n'aient mûri, ils pourrissent en leur coeur en se gorgeant de rancoeur. Ils se nourrissent de leur rage et s'enivrent de pouvoir. Ils aiment d'un amour malsain , martyrisent leur entourage , se méprisent tout autant qu'ils s'admirent. Ils veulent prendre leur revanche sur la vie, se venger d'avoir été trop aimé ou pas assez . Ils vendent leur âme au diable , se consument dans les supplices du mal car ils n'ont jamais goûté de meilleurs délices.
Puis ils croisent les pas du héros, celui qui leur tend le miroir de leur conscience et fissure leur carapace de remords intenses. Le feu qui les dévore se transforme en minuscule flamme . Le chaos qu'ils ont semé leur laisse un goût de cendre dans les entrailles. Ils repensent à leur enfance, à leurs premiers bonheurs vite étouffés par le malheur, mais aussi à tout cet amour qu'ils ont emprisonné dans leur coeur pour laisser libre cours à leur fureur.
Et comme il faut bien une morale à toutes ces histoires , le bien finit par triompher du mal . Les héros doivent bien servir à quelque chose. Mais au fond, le méchant doit se réjouir plus qu'autre chose de tomber sous les coups de ces hérauts d'un monde meilleur. Parce que , vraiment, passer toute une vie à faire le mal , ça ne doit pas être toujours rose . Ils le méritent bien , leur repos éternel . Avoir constamment la force avec soi, quoi qu'on en dise, c'est ...mortel ...
Comment leur reprocher ensuite d'être bancals , eux qui n'ont appris à se tenir debout qu'en s'agrippant au mât de leur lit, spectateurs du naufrage parental et cherchant plus tard leur bonne étoile dans le ciel de leurs délits? Quand on est privé d'un centre , ballotés entre un besoin d'amour immense et un sentiment d'abandon , peut-on faire autre chose que de se tourner vers le côté obscur?
Comme ces fruits que l'on cueille des arbres avant qu'ils n'aient mûri, ils pourrissent en leur coeur en se gorgeant de rancoeur. Ils se nourrissent de leur rage et s'enivrent de pouvoir. Ils aiment d'un amour malsain , martyrisent leur entourage , se méprisent tout autant qu'ils s'admirent. Ils veulent prendre leur revanche sur la vie, se venger d'avoir été trop aimé ou pas assez . Ils vendent leur âme au diable , se consument dans les supplices du mal car ils n'ont jamais goûté de meilleurs délices.
Puis ils croisent les pas du héros, celui qui leur tend le miroir de leur conscience et fissure leur carapace de remords intenses. Le feu qui les dévore se transforme en minuscule flamme . Le chaos qu'ils ont semé leur laisse un goût de cendre dans les entrailles. Ils repensent à leur enfance, à leurs premiers bonheurs vite étouffés par le malheur, mais aussi à tout cet amour qu'ils ont emprisonné dans leur coeur pour laisser libre cours à leur fureur.
Et comme il faut bien une morale à toutes ces histoires , le bien finit par triompher du mal . Les héros doivent bien servir à quelque chose. Mais au fond, le méchant doit se réjouir plus qu'autre chose de tomber sous les coups de ces hérauts d'un monde meilleur. Parce que , vraiment, passer toute une vie à faire le mal , ça ne doit pas être toujours rose . Ils le méritent bien , leur repos éternel . Avoir constamment la force avec soi, quoi qu'on en dise, c'est ...mortel ...
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