Pages

Nombre total de pages vues

mardi 1 mars 2016


En parlant de disparaître , j'ai toujours éprouvé une fascination pour le mythe de l'anneau de Gygés. La faculté de se volatiliser à l'envi , de se débarrasser d'un corps  trop voyant et pesant comme parvenait à le faire l'envoutante Elizabeth Montgomery dans les rediffusions de Ma Sorcière Bien-Aimée , piquait ma curiosité au plus haut point . Je m'exerçai  tant bien que mal à agiter le bout de mon nez , croyant naïvement parvenir à réaliser cet exploit contre-nature . Rien n'advint. Je restai désespérément clouée au plancher des vaches . Mais de nature espiègle , je convainquis ma sœur et ma cousine que j'avais trouvé la recette d'une potion magique dans l'un des grimoires mis sous clé dans la bibliothèque de mon grand-père . 

Je devais avoir beaucoup d'éloquence et surtout un pouvoir de persuasion élevé . Car mes deux compagnes de jeu me crurent sur le champ.Un samedi après-midi , comme nous avions l'habitude de nous retrouver dans la villa au bord de mer de ma grand-mère , je les réunis dans la buanderie du rez-de-chaussée , après m'être assurée que mon aïeule paternelle était absorbée au premier étage par la lecture du quotidien local. Je commandai à mes deux cobayes de fermer les yeux ( ce qu'elles firent non sans anxiété ) et de me tendre la paume de leur main droite. Je déversai alors le premier produit que je trouvai à ma portée et complétai l'opération par l'adjonction d' une généreuse  pincée de lessive en poudre .

La réaction fut immédiate . Elles crièrent de douleur avec une telle emphase  que ma grand-mère épouvantée , escortée de la bonne , accoururent en grande hâte . Il s'avéra que le liquide incriminé était de l'ammoniaque , et que j'avais brûlé, sans le savoir,  l'épiderme délicat de mes victimes sacrificielles . Autant dire que je fus punie ... de goûter . J'avais en effet plaidé ma cause avec une telle passion que j'en ressortis même couronnée de lauriers , cependant que les deux jeunes ingénues furent tancées vertement d'avoir cru une fois de plus à mes sornettes insensées .

Ma première expérience de la mort, je la vécus un beau matin de printemps , dans un parterre de roses baigné de soleil , derrière  la pelouse où se dressait , dans un coin, un cactus gigantesque aux épines redoutables . Il semblait endormi, le chat noir aux yeux d'or , enroulé sur lui-même comme un rouleau de réglisse , déposé là par erreur . Il n'avait pas de nom . C'était un chat sauvage, de ceux qui ne franchissent jamais le seuil d'une maison, arrivé d'on ne sait où, mais qui s'était laissé séduire par l'hospitalité de ma mère . Probablement jalouse de l'attention que celle-ci lui prodiguait , je le tyrannisais souvent.Mais je devais l'aimer, malgré tout .Car je ressentis une grande tristesse le jour qu'il est parti , sans bruit, en dormant, emporté par les ans , dans un poudroiement de pollen et de lumière dorée .


Cela avait l'air si simple , de mourir . Des yeux qui se ferment pour ne plus jamais se rouvrir . Reste l'obscénité d'un corps sur lequel on n'a plus de prise et qu'on abandonne aux autres . La mort , en somme , est le cadeau le plus empoisonné de la vie . Qu'on la choisisse ou qu'on la subisse, elle impose sa présence guerrière aux vivants ubi et orbi. En fine  stratège , elle envoie ses bataillons de vers invisibles à l'assaut de ses cadavres exquis . Le froid, la glace , voilà ses ennemis . Eux seuls osent se mesurer à elle pour diminuer ses outrages . Si j'avais à choisir , je m'ensevelirais dans les eaux glaciales de l'Antarctique face au désert blanc infini qui fait fuir les  humains . On n'y meurt pas là-bas . On disparaît .

lundi 29 février 2016

Je considérais le piano à queue vernis noir étendu de tout son long sous les voûtes gothiques du salon comme un Léviathan sournois prêt à déchiqueter mes doigts de ses dents d'ivoire si je me hasardais à violenter ses touches dans un soudain accès de haine. C'est que je le détestais , cet hôte encombrant de bois et d'acier . On m'enjôla du mieux qu'on put pour me vanter les mérites de l'instrument , quand j'eus fait part de ma préférence pour le violon . Mais quoi que je pusse dire , on décréta que je serais pianiste . 

Je me découvris alors soudain fort paresseuse . Il fallait sonner de l'olifant pour parvenir à m'extirper du cocon de ma chambre et  me faire prendre place devant l'hydre assoupie.Et quand , finalement , j'avais épuisé toutes les excuses pour me dérober au tête-à tête-avec la bête, je prenais un malin plaisir à me venger sur elle  en plaquant des accords tonitruants ou en faisant dévaler mes mains d'un bout du clavier à l'autre dans un déferlement sonore assourdissant . Mon ennemi juré faisait alors entendre des grognements sinistres qui faisaient trembler les murs et me remplissaient d'aise . 

C'est ainsi que je pris conscience assez vite que , couvant au fond de moi comme un feu mal éteint,  un enfant sadique aux yeux rougeoyants comme ceux des monstres de Hyeronymus Bosh attendait patiemment son heure . Les premières victimes de ma cruauté enfantine furent les fourmis noires besogneuses qui se déplaçaient en procession le long du muret d'un des jardins. Armée d'une bouteille plastique que je remplissais à moitié d'eau , j'introduisais par le goulot quelques fourmis mûrement choisies et agitais ensuite le tout comme s'il s'était agi d'un shaker . Après quoi je procédais au sauvetage in extremis des insectes agonisants en les étalant au soleil et en les regardant reprendre leurs forces puis s'enfuir comme des diables dans l'herbe folle.

dimanche 28 février 2016

La jeune héroïne ne m'était d'ailleurs guère inconnue. Très tôt, j'avais eu entre les mains la traduction du roman éponyme ainsi que celle du héros de Dickens, Oliver Twist. Il s'agissait de deux livres brochés illustrés, adaptés à un jeune lectorat , qui m'avaient été offerts par ma mère , sans savoir que j'allais plus tard m'orienter vers le décryptage poussé des œuvres séminales de la littérature anglaise . Le sort des deux enfants m'avait plutôt ébranlée . Orphelins ! Ce mot m'effrayait. Comment un enfant pouvait-il vivre sainement en n'étant pas le nombril du monde de ses parents ?

Pour me rassurer , je me dis que la littérature n'était qu'un fatras de mensonges , que la petite Jane et le jeune Oliver n'avaient jamais existé , et que donc les orphelins avaient été inventés par des écrivains cruels pour terrifier l'enfant choyée que j'étais . Je dois dire qu'en contrepartie de la satisfaction de mes caprices divers et variés , j'étais astreinte à une rude discipline éducative . Il me fallait exceller en toutes les matières , ce que, par bonheur , je n'avais aucun mal à faire . Seules les sciences naturelles plus tard ne m'inspirèrent  guère d'attrait , mais je me rattrapais en buvant comme du petit lait les paroles du professeur , dont je m'étais enamourée pour une raison obscure .

Je dus aussi , dès l'âge de cinq ans, m'atteler avec une feinte ferveur à l'exploration du solfège . Il y avait , en particulier , un fascicule dont la couverture portait un nom honni : la théorie ! A l'intérieur de ce livret étaient consignés des portées , des clés de toutes sortes , et surtout des signes cabalistiques noirs qu'il me fallait apprendre à reproduire, et que ma mère , pédagogue en théorie mais peu patiente en pratique, essayait de m'inculquer. Le pire était quand je me rendais au conservatoire , et que le professeur , d'une sévérité à faire frémir l'enfant terrible le plus endurci et d'une perversité enracinée,  m'interrogeait et ne manquait jamais de relater à ma génitrice mes défaillances constatées .

Vous comprendrez donc que je nourrissais pour le vaste édifice qui accueillait le conservatoire, avec son escalier de marbre d'apparat et ses couloirs interminables aux plafonds démesurés , des sentiments de méfiance  et de crainte . Je rentrais dans la salle de solfège tenaillée par l'angoisse , et j'en ressortais soit crispée soit enthousiasmée , selon que mes performances avaient été lamentables ou louables . Il en fut de même pour les cours de piano . Il me fallait être aussi virtuose à six ans que Mozart , sous prétexte que dans ma famille, une aïeule avait été concertiste , et que donc , je ne pouvais décemment déchoir en agressant le clavier comme une révoltée - révoltée que j'étais déjà par nature , et qui n'allait cesser , bien évidemment, de s'affirmer .

samedi 27 février 2016


Je me souviens aussi d'une Lady anglaise , d'un âge fort avancé , botaniste réputée qui m'avait fait l'honneur de m'accompagner une fois lors de mes pérégrinations sylvestres . Avec son accent britannique si distingué, elle déclinait le nom compliqué de toutes les espèces végétales écloses sur notre passage , et j'étais étonnée que certaines d'entre elles , aux proportions et à l'apparence si modestes, pussent s'enorgueillir de porter un nom de baptême aussi prétentieux .

Lady Conrad est décédée depuis. Mais j'ai souvent l'impression , quand je longe la maisonnette qui lui servait de repaire les mois d'été où je m'esbaudissais sauvagement  dans cette nature emplie de magie et de mystères , que le fantôme de la noble dame aux mains finement veinées de bleu continue , sans relâche , d'herboriser et de remercier le ciel de lui avoir permis de choisir , comme terre d'exil, ce royaume odoriférant à nul autre pareil.

Mes étés montagnards rimaient avec liberté . J'étais la souveraine de la maisonnée , confiée à une grand-mère bon-enfant et à une bonne d'enfants des plus indulgentes. En bref, je n'en faisais qu'à ma tête . On exauçait le moindre de mes souhaits , sous peine de me voir fortement contrariée . Il faut dire , qu'au grand dam de certains membres de ma famille , j'avais un tempérament des plus affirmés pour mon jeune âge , dont d'ailleurs , il faut le dire , je ne me suis guère départie avec les années  .

Ma sœur et ma cousine craignaient de me déplaire tout autant qu'elles respectaient mes talents de metteur en scène . Car des spectacles , j'en montais . Je donnais des directives à l'une et à l'autre pour ce qui était de la confection des costumes , réalisés à partie de foulards en soie dérobés dans une certaine armoire d'un étage élevé , et surtout de paillettes , que mes deux séides se pressaient de coudre avec application sous mon oeil impérieux de dernière reine d'Egypte.

Point n'est besoin de préciser  que je nourrissais pour Cléopâtre  une admiration hyperbolique . Il me revient en mémoire des séances secrètes de maquillage improvisé avec du feutre noir ( le khôl eût été plus approprié , mais comment aurais-je pu formuler une demande aussi déplacée à un adulte , même acquis à ma cause,  à l'âge de huit ans?) , devant la psyché d'une des chambre d'invités jamais occupée , et dont l'ameublement en bois sombre ainsi que les tentures incarnat semblaient avoir servi d'inspiration à Charlotte Bronte quand elle écrivit  la scène de la chambre rouge de Jane Eyre.

jeudi 25 février 2016



"Longtemps je me suis couché de bonne heure." Voilà comment, à partir d'un fait insignifiant, l'un des plus grands écrivains du vingtième siècle inaugurait une œuvre monumentale qui tient encore en haleine les lecteurs d'Orient et d'Occident. Un fait pas si insignifiant que ça , si l'on prête attention à son agencement syntaxique au seuil du récit. D'abord cet adverbe de temps , positionné à l'initiale comme la figure de proue d'un navire en partance pour des horizons lointains . Et puis ce "je" , central comme la nef d'une cathédrale , qui se couche sur l'autel de la mémoire . Et surtout cette homophonie heureuse en fin de phrase , cet hymne au bonheur dissimulé dans le drapé d'un circonstant de temps .

J'ai découvert Proust à l'âge de  treize ans, dans une imposante demeure familiale aux pièces innombrables où je passais mes étés , face à une montagne magique au nom étincelant : le Monte d'Oro . Je ne comprenais pas, à l'époque, pourquoi un Charles Swann aussi lettré pouvait éprouver autant d'émois pour une catin aussi peu éduquée. C'est que je n'avais pas encore découvert l'asservissement que peuvent procurer les sens, et dont nombre d'humains sont victimes au dépens de leur raison .

Mon Combray à moi, c'était ce hameau niché au cœur d'une forêt domaniale avec ses vastes étendues de pins géants et ce torrent qui bondissait joyeusement dans un fracas désordonné de roches jetées avec rage par un Titan blessé. C'est depuis un petit pont de bois,  au tablier de rondins irréguliers , que mon oreille enchantée s'imprégnait de l'allégresse de ses eaux vives. J'y retourne en pèlerinage chaque été .

Rien n'a changé . Le soleil transperce toujours de sa rapière dorée les frondaisons des hêtres centenaires qui côtoient les pins à l'écorce rugueuse . Les mousses et les lichens tapissent toujours les murets de pierres qui longent le sentier forestier . Et surtout, à l'abri des regards, dans les coins ombragés, des cyclamens  apeurés , couronnés de rosée ,  devisent en aparté comme les vieilles dévotes que je voyais le dimanche , une fois l'office célébré, quitter la chapelle de granit qui se dressait , dans sa minuscule majesté , à l'orée de la forêt de mon enfance tant aimée .

 A SUIVRE ...

samedi 20 février 2016




Il y a toujours un peu de la Marquise de Merteuil et de la Présidente  de Tourvel en nous . Les Liaisons Dangereuses , c'est peut-être l'enfer de nos bibliothèques, mais c'est aussi notre paradis . C'est quand même mieux que le délire platonique de la Princesse de Clèves . Surtout quand les années d'une conjugalité anesthésiante ont mis à mal nos idéaux. On vise plus haut que la survie : on veut enfin vivre !

Certaines d'entre nous, partisanes des solutions radicales, brisent  alors leurs chaînes et se lancent à corps perdu à l'aventure sur les man's lands inconnus. D'autres, moins effrontées et surtout plus vénales, n'osent pas lâcher la proie pour l'ombre et flirtent avec l'adultère dans des Love Hotels où, de love, il n'y a que le nom. Jusqu'au jour où l'amour-propre de leur mari leur fait payer au prix fort les souillures qu'elles ont infligées à son nom.

Chez Laclos , si Tourvel meurt d'avoir goûté à  ce qu'était vraiment l'amour, Merteuil s'enterre dans un couvent pour avoir fabriqué cet amour de façon contre-nature. Quant au divin vicomte , il périt tout autant en victime qu'en bourreau. Victime , car il a sous-estimé les élans de son coeur; bourreau , car il  a brisé le cœur pour laquelle , cependant , le sien , de coeur,  battait .

Faut-il pour autant vouer la marquise aux gémonies , et pleurer sur la tombe de la présidente? Merteuil avait un coeur elle aussi . Mais elle avait trop d'orgueil pour le  laisser régner sur son esprit . Pire encore , elle aimait un libertin , qui , cruelle ironie , s'éprit de celle qu'elle avait projeté de perdre.

Qui pourrait la blâmer d'avoir voulu panser ses plaies en visant une dévote sacrifiant sa vertu sur l'autel de la chair? Ne vivait-elle pas en un siècle où les femmes n'avaient pas leur mot à dire ? Pour exister au siècle des Lumières, le sexe faible devait agir dans l'ombre des alcôves . La veuve noire tissa sa toile, et l'épouse adultère tomba, comme une mouche .

Même si nous ne vivons plus à l'ère de la raison triomphante mais à celle de la déraison collective , nous sommes néanmoins assujetties aux diktats de notre raison, aussi perverse soit-elle. Car les ressources de notre esprit sont notre seul garde-fou contre les aléas des affects qui gouvernent nos vies intimes. Nous sommes toutes, tour à tour, des Tourvel extasiées et des Merteuil blessées. La raison en est que nous avons  un coeur , et qu'il finit toujours par nous terrasser si nous le laissons parler ...

dimanche 7 février 2016




Il y a toujours un invariant dans les séparations . Les larmes . Elles sont la signature indélébile  au bas du testament de nos amours défuntes . Que  nos histoires fassent couler beaucoup d'encre ou non , elles n'en finissent pas moins purifiées par nos pleurs avant de se décomposer dans la corbeille à papier de nos souvenirs .

C'est qu'à force de faire des ratures sur le brouillon de nos relations , on n'essaie plus d'en corriger les erreurs . De sorte qu'année après année , le palimpseste de nos amours devient risible tant il est illisible. Peu importe d'ailleurs . Car si l'on parvenait à le déchiffrer , il se révélerait  des plus cryptiques.

Il faut se faire une raison . On perd à tous les coups au jeu de l'amour et du hasard . Parce qu'on oublie trop volontiers qu'il n'y a jamais de hasard en amour . On n'est jamais libre de ses choix . Quelque part , dans le dédale synaptique de nos connexions neuronales , se cache la clé de nos défaites présentes , mais aussi , il faut y croire , de nos réussites  futures!



dimanche 31 janvier 2016

Quand j'étais enfant , je ne comprenais pas pourquoi les grandes personnes  passaient leurs journées à se plaindre et à déplorer que le temps passe si vite . Ma perception temporelle était tout autre . Je les trouvais longues, ces années de collège , longues ces années de lycée . C'est d'ailleurs  à ce moment là que je  me suis mise à rêver , à bâtir mes châteaux en Espagne avec le plus beau cancre de la classe à qui je réservais une place au premier rang,  à côté de moi , pour qu'il ait tout loisir de copier mes réponses lors des contrôles de maths.

Je ne sais pas vraiment ce qu'il est devenu , ce beau blond qui se faisait toujours remarquer en entrant dans la classe , un sourire ravageur en guise d'excuse, longtemps après la dernière sonnerie . S'il me fascinait tant , c'est sans doute qu'il osait braver l'interdit . Il n'avait peur de décevoir personne , ni sa mère , ni ses pairs . C'est qu'il les portait avec panache , ses résultats médiocres et ses retards chroniques, quand il fumait ses Lucky Strike à la sortie des classes.

Je le regardais , d'un oeil émerveillé , enfourcher sa moto aux chromes rutilants  et partir dans un nuage de fumée vers une destination inconnue . J'ai beaucoup pleuré quand j'ai su qu'il avait jeté son dévolu sur l'apprentie coiffeuse de son quartier . Une blonde , comme lui , à qui il permettait de grimper derrière lui sur son destrier rouge sang. Peut-être l'a-t-il épousée ? Qui sait !

Je ne l'ai jamais revu . Prise dans le tourbillon de mes études , je l'ai oublié . Jusqu'à aujourd'hui . C'est vrai , le temps passe vite ! On ne s'en rend  vraiment compte  que les jours de grande nostalgie . Et je repense à ces années lycée où je guettais son arrivée et où je m'enivrais , quand il prenait place à mes côtés , de son parfum Guerlain , jusqu'à ce qu'il abandonne , une fois le cours fini, loin derrière lui,  cette odeur de tabac blond aussi fugace et insaisissable que cette année de terminale qui mit un point final au premier chapitre de ma vie .






jeudi 31 décembre 2015





L'obscurité a toujours  été stigmatisée dans le monde occidental . C'est qu'on la craint . Elle pointe toujours une  absence , une privation ,une frustration même . Manque de lumière , au sens physique, manque de clarté , au sens intellectuel. Dans un cas comme dans l'autre , nous sommes délogés de notre zone de confort . Il nous faut procéder à tâtons avec le risque de nous cogner à la réalité concrète ou abstraite .

Mais à y bien réfléchir , l'obscurité fait partie du grand cycle de la nature . Si le jour existe , c'est bien parce que la nuit lui donne naissance . Notre gestation dans la matrice maternelle s'est aussi effectuée dans l'obscurité la plus complète . Et la vie organique ne serait pas possible sans la mise en sommeil des photons . Pour permettre à la nature de se régénérer ou tout simplement de se développer , l'obscurité est donc  indispensable .  

Le domaine des inventions techniques en a d'ailleurs tiré amplement partie .  La photographie n'aurait jamais vu le jour sans la mise au point de la chambre noire . Et le cinématographe nous attire bien dans des salles obscures pour que prennent vie sur un écran les destinées les plus variées . Il en est de même pour les salles de spectacles : que ce soit au théâtre ou à l'opéra , pour que la magie opère , la lumière de la salle doit s'éteindre  pour que celle de la scène nous illumine . 

Si le divertissement la courtise, si elle est un composant inaliénable de la vie , il serait enfin temps que nous cessions de la redouter , voire même de la diaboliser . On oublie trop qu 'elle est plus proche de nous qu'il n y paraît . Il n'est  qu'à sonder notre moi profond pour y dénicher notre part d'ombre  . Tapie au fond de nous , elle attend que nous l'apprivoisions .La fuir reviendrait à  se renier soi même , à se détruire ou , pire encore , détruire les autres. L'obscurantisme , voilà ce qu'il faut combattre . Car il a pour seule fin  de plonger le monde dans les ténèbres en lui fermant les portes de l'avenir . 

lundi 21 décembre 2015

C'est toujours un peu la même histoire, ces grands méchants sur grand écran qui font le mal pour le mal.  Ils ont toujours raté quelque chose dans leur enfance. Soit ils ont grandi dans l'ombre intergalactique  d'une mère qui a tout fait pour leur faire oublier leur père . Soit ils ont grandi  dans le vide sidéral laissé par une mère démissionnaire en prise avec un père tortionnaire.

 Comment leur reprocher ensuite d'être bancals , eux qui n'ont appris à se tenir debout qu'en s'agrippant au mât de leur lit, spectateurs du naufrage parental et cherchant plus tard leur bonne étoile dans le ciel de leurs délits? Quand on est privé d'un centre , ballotés entre un besoin d'amour  immense et un sentiment d'abandon , peut-on faire autre chose que de se tourner vers le côté obscur?

Comme ces fruits que l'on cueille des arbres avant qu'ils n'aient mûri, ils pourrissent en leur coeur en se gorgeant de rancoeur. Ils se nourrissent de leur rage et s'enivrent de pouvoir. Ils aiment d'un amour malsain , martyrisent leur entourage , se méprisent tout autant qu'ils s'admirent. Ils veulent prendre leur revanche sur la vie,  se venger d'avoir été trop aimé ou pas assez . Ils vendent leur âme au diable , se consument dans les supplices du mal car ils n'ont jamais goûté de meilleurs délices.

Puis ils croisent les pas du héros, celui qui leur tend le miroir de leur conscience et fissure leur carapace de remords intenses. Le feu qui les dévore se transforme en minuscule flamme . Le chaos qu'ils ont semé leur laisse un goût de cendre dans les entrailles. Ils repensent à leur enfance, à leurs premiers  bonheurs vite étouffés par le malheur, mais aussi à tout cet amour qu'ils ont emprisonné dans leur coeur pour laisser libre cours à leur fureur.

Et comme il faut bien une morale à toutes ces histoires , le bien finit par triompher du mal .  Les héros doivent bien servir  à quelque chose. Mais au fond, le méchant doit se réjouir plus qu'autre chose de tomber sous les coups de ces hérauts d'un monde meilleur. Parce que , vraiment, passer toute une vie à faire le mal , ça ne doit pas être toujours rose . Ils le méritent bien ,  leur repos éternel . Avoir constamment la force avec soi, quoi qu'on en dise, c'est ...mortel ...

lundi 7 décembre 2015




On passe sa vie à attendre. C'est une nécessité à laquelle on ne peut se soustraire. On attend un train, on attend son médecin . On attend des nouvelles des personnes à qui l'on tient. C'est une passivité dont on se passerait bien , car elle nous fait prendre conscience, à nous qui clamons notre autosuffisance, de notre  dépendance aux autres mais surtout aux circonstances . 

Il arrive qu' on attende pour rien aussi. C'est le plus dur . Attendre quelqu'un qui ne viendra jamais. Quelqu'un qu'on ne connaît pas mais dont on est sûr qu'il nous reconnaîtra dès qu'il apparaîtra, qu'il rompra le maléfice qui nous lie au malheur ou et au désamour de soi . Il faut bien croire en sa bonne étoile quand on a l'espoir pour unique fanal . 

En attendant , on essaie de poursuivre son chemin bon an mal an. On se laisse porter par le rythme des saisons et le cortège de leurs célébrations . On patiente stoïquement des mois durant , endurant le froid hiémal et celui, plus glacial,  des couloirs où piétine notre âme . 

Puis un beau jour , on se rend compte qu'on n'a plus rien à attendre. Qu'on a même attendu pour rien. Que celui qu'on attendait n'est jamais venu et que d'autres qu'on n'attendait pas sont venus à sa place, pour le meilleur et pour le pire . 

Et l'on se dit qu'on s'est trompé. Que la vie répond rarement à nos attentes. Que le  bonheur est un miracle qui n'existe que dans les contes , un cadeau de Noël égaré en chemin qui n'arrivera jamais à destination . 

Alors on se résigne à attendre celle dont on ne sait rien mais qui nous connaît si bien . Celle qui tient toujours parole , quelles que soient les saisons , quel que soit le continent . Celle qui nous confirme que la vie n'est qu'une vaste aérogare et que nous sommes des passagers sans bagage , perdus au milieu de nulle part et qui rêvent de nouveaux départs pour quitter cette terre jonchée de cauchemars. . 


samedi 21 novembre 2015




La vérité nue , on a beau la chercher , elle fait tout pour se dérober à nous . Quoi qu'on fasse, elle s'enveloppe d'un voile pudique et ne nous laisse, comme trace de son passage,  que les pièces d'un puzzle organique qui sans cesse se modifie et défie notre entendement.

Pourquoi , d'ailleurs, vouloir à tout prix  l'appréhender au singulier , nous qui sommes une multiplicité d'individus à l'identité multiple au cours de notre vie ? A chacun sa vérité , faudrait-il dire. Et il en est peut-être mieux ainsi . Car comment ne pas succomber à la nausée quand on la dépouille de ses oripeaux mensongers ? Où trouver la force de surmonter  la répugnance qu'elle nous inspire quand elle nous offre le spectacle obscène de son corps en décomposition avancée ?
 
A vrai dire , on ne désire pas vraiment la connaître . On la fuit , même , plutôt qu'elle ne nous fuit. Et c'est là la seule vérité qui tienne. On s'accommode très bien de ses simulacres , des masques qu'elle prend plaisir à porter pour mieux nous tromper . Ses sourires , ses belles paroles nous font croire que la réalité n'est pas si intolérable que ça .

Un jour ou l'autre, pourtant, il faut bien que le rideau tombe. Acta fabula est ! Le hasard joue si bien aux dés . On prend soudain  le temps de se regarder dans le miroir sans fard . Et on ouvre les yeux sur ces regard fuyants qui nous entourent, ces propos aberrants , ce théâtre de faux-semblants dans lequel on jouait le rôle principal tout en croyant n'être qu'un figurant .

On se dit alors que l'espèce humaine est une calamité, on se reproche d'avoir été si naïf aussi . Mais au bout du compte , on finit par s'en féliciter. Car ce temps qu'on a passé à se laisser séduire par cette vérité grimée  a été un temps béni . D'abord parce que nous avons baigné dans la sérénité, ensuite parce que , grâce à lui , nous parvenons enfin à agencer les pièces manquantes du puzzle de notre identité.