La vérité nue , on a beau la chercher , elle fait tout pour se
dérober à nous . Quoi qu'on fasse, elle s'enveloppe d'un voile pudique
et ne nous laisse, comme trace de son passage, que les pièces d'un puzzle organique qui sans cesse se modifie et défie notre entendement.
Pourquoi , d'ailleurs, vouloir à tout prix l'appréhender
au singulier , nous qui sommes une multiplicité d'individus à
l'identité multiple au cours de notre vie ? A chacun sa vérité ,
faudrait-il dire. Et il en est peut-être mieux ainsi . Car comment ne pas
succomber à la nausée quand on la dépouille de ses oripeaux mensongers ?
Où trouver la force de surmonter la répugnance qu'elle nous inspire quand elle nous offre le spectacle obscène de son corps en décomposition avancée ?
A vrai dire , on ne désire pas vraiment la connaître . On la
fuit , même , plutôt qu'elle ne nous fuit. Et c'est là la seule vérité
qui tienne. On s'accommode très bien de ses simulacres , des masques
qu'elle prend plaisir à porter pour mieux nous tromper . Ses sourires ,
ses belles paroles nous font croire que la réalité n'est pas si
intolérable que ça .
Un jour ou l'autre, pourtant, il faut bien que le rideau tombe. Acta fabula est ! Le hasard joue si bien aux dés . On prend soudain le temps de se regarder dans le miroir sans fard . Et on ouvre les yeux sur ces regard fuyants qui nous entourent, ces propos aberrants , ce théâtre de faux-semblants dans lequel on jouait le rôle principal tout en croyant n'être qu'un figurant .
On se dit alors que l'espèce humaine est une calamité, on se
reproche d'avoir été si naïf aussi . Mais au bout du compte , on finit
par s'en féliciter. Car ce temps qu'on a passé à se laisser séduire par
cette vérité grimée a été un temps béni . D'abord parce que nous avons
baigné dans la sérénité, ensuite parce que , grâce à lui , nous
parvenons enfin à agencer les pièces manquantes du puzzle de
notre identité.