L'automobile, c'est mon dada. Il me suffit de voir la carrosserie
coruscante d'un bolide supersonique avec ses 500 chevaux sous le capot pour que
j'enfourche Pégase et que je déclame illico ma flamme à son occupant. Sans doute parce que, en chantre inconditionnel
de la conquête spatiale, je perçois les vrombissements assourdissants
et les accélérations sidérantes comme un avant-goût des vols suborbitaux que bientôt le touriste de l'espace sera en mesure d'effectuer .
Mais mon attraction pour les astres n'explique pas tout. Il y a autre
chose qui fait que je préfère me blottir dans l'habitacle d'une Aston
Martin plutôt que dans celui d'une Austin Mini. Se lover au creux de
leurs sièges gainés de cuir, c'est régresser au stade utérin et
retrouver la sensation perdue du ventre maternel qui nous a portés
jusqu'à notre expulsion. C'est aussi lâcher prise, mettre un frein à
notre incoercible besoin de nous agiter en tout sens, et accepter
d'abandonner notre corps immobile aux vibrations sensuelles de la
mécanique .
Mais avant d'atteindre le septième ciel et de pouvoir nous propulser sur
les rubans d'asphalte à une vitesse euphorisante, il nous faut remplir
une condition sine qua non. Faire les yeux doux au destin et prier
tous les saints pour obtenir le passeport sans lequel nos désirs
d'évasion demeureront à jamais à l'état de frustration: le permis de
conduire! Oui! Ce bout de carton rose bonbon! Que de génuflexions et
de compromissions serions-nous prêts à faire pour nous le procurer, lui qui nous donne le feu vert pour sillonner les routes
de notre vaste terre, et réaliser, qui sait,
peut-être un jour, des rallyes dans le désert!
Mais le chemin pour obtenir ce billet doux n'est guère pavé de roses. Il s'apparente plus à un parcours
du combattant qu'à une promenade de santé. D'abord
choisir l'auto-école appropriée, de préférence située à quelques
enjambées de votre maisonnée. Proscrire à tout prix celles qui vous obligent à trop marcher à pied. Les tendons d'Achille doivent être préservés pour être à même
d'actionner avec agilité le pédalier, certes pour accélérer, mais aussi,
sécurité oblige, freiner avec tonicité .
Le poignet droit nécessite, par ailleurs, d'être choyé au même titre que vos pieds. Car il est aux commandes du boîtier sans lequel le passage
des vitesses ne pourrait être opéré. Il est impératif de manipuler ce dernier
avec dextérité, et surtout , de ne pas le brusquer . Il est très
rancunier, ce boîtier , et n'hésite pas à vous faire caler en pleine
montée si vous étiez coupable de la moindre inhabileté. Démarrer en
côte, ce n'est pas très aisé, surtout quand on n'est pas très
expérimenté. On ne manque jamais de se faire remarquer...
Faire des pieds et des mains pour avoir son permis, cela ne suffit pas.
Il faut avoir bon pied, mais surtout bon œil. Pas tant pour zieuter
le visage des autres conducteurs susceptibles de faire battre votre
cœur ( quand le vôtre n'est pas encore pris ), mais pour le fixer sur
les rétroviseurs sans oublier le fatal angle mort, si mal nommé, car
sans lui, il y a belle lurette que nous ne serions plus en vie .
Mais j'oublie le principal. Sans doute parce qu'il me fut fatal. Que
voulez-vous! L'inspectrice, lèvres pincées et sourire en coin, m'ordonna de prendre la direction d'une charmante localité au moment où je
m'extirpais péniblement de l'anneau d'un carrefour
giratoire à branches multiples, suivie de près par un poids lourd aux dimensions
épiques... La sueur perlait à mon front car, dans ma précipitation, je
ne pus repérer la destination voulue assez rapidement. Et, bien
évidemment, quand j'y parvins enfin, j'oubliai d'enclencher le CLIGNOTANT!!!!
Vous imaginez la suite : AJOURNÉE ! Adieu veaux, vaches, cochons! Je vis filer à vive allure l'Aston Martin de mes rêves, et même l'Austin mini,
trop contente de me faire la nique , moi qui ne lui avais témoigné que du
mépris. Depuis cette mésaventure, je tiens en respect tout véhicule à quatre roues, du moins sophistiqué au plus raffiné. Et, le croirez-vous, je suis passée maître en la signalisation
des changements de direction. Ainsi, si vous croisez, par le plus grand des
hasards, un véhicule usant et abusant des feux de détresse, vous devinerez sans hésitation qui se trouve au volant. Au moins, on ne pourra plus me reprocher d'avoir oublié le clignotant...