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samedi 23 août 2014


Ah! la plage ! On en rêve toute l'année. Le sable fin, le murmure  des vagues, la caresse du soleil sur notre corps enfin affranchi du port du vêtement. On a traversé les saisons avec détermination , supporté stoïquement que l'automne coquin dévêtisse la végétation,  combattu héroïquement  les assauts de l'hiver belliqueux, guetté avidement l'équinoxe de printemps, annonciateur de douceurs climatiques et d'éclosions en tout genre .

La plage, c'est le lieu ressource dans l'imaginaire collectif. Un coin de paradis qu'on achète à prix d'or et dont on ne peut se passer. On veut bien faire une croix sur les pistes de  Saint-Moritz en temps de crise, mais pas sur le rivage de Saint-Florent et de son onde cristalline .

Alors, on s'y prépare longtemps à l'avance, à notre effeuillage sur le sand carpet. C'est que la concurrence va être rude. Les Lolitas sévissent, et les bimbos aussi. Alors une bonne detox s'impose avant un destockage graisseux. La grâce, par contre, on l'a ou on ne l'a pas .

Après quoi l'indispensable achat du maillot de bain récompense nos efforts démesurés. Si on a passé l'hiver à faire des squats et des pompes, on peut se permettre, passée la trentaine, le bikini sexy, voire le trikini. Sinon, on se contentera d'un maillot une-pièce, mais pas de n'importe lequel : échancré et décolleté, s'il vous plait ! Sans oublier les lunettes de soleil griffées. Pour zieuter et être zieutée .

Le grand jour arrive. Enfin prête pour la descente des marches! Une fois touché le sable ferme, nous repérons le jeune plagiste bodybuildé préposé à la mise en place des transats. Il nous en faut un face au soleil (héliotropisme oblige ) et le plus proche de la mer ( paresse oblige ). Alors l'on peut procéder au rituel du déshabillage. Ni trop rapide, ni trop lent. Juste ce qu'il faut pour susciter le désir.

Telle une hétaïre, nous allongeons notre corps de déesse avant de l'enduire généreusement de crème solaire à indice de protection élevé - les homards, on les aime dans l'assiette, mais on n'a guère envie de leur ressembler . Ah! Le sable fin ! Le murmure des vagues ! La caresse du soleil !

 Mais soudain voilà qu'un ballon fait violemment irruption dans notre champ de vision et vient briser notre quiétude chèrement acquise. Puis c'est au tour d'un petit fripon pris en chasse par une horde hurlante de nous éclabousser de sable. À peine avons-nous repris nos esprits qu'un vendeur ambulant nous oblige à ouvrir la bouche pour gouter l'une de ses pralines .

C'en est trop! Avoir attendu un an pour subir tous ces désagréments! De rage nous lui en achetons trois paquets et les ingérons goulûment . Tant pis pour le trikini ! Demain ce sera plongée sous-marine ! Avec les poissons , rien à craindre : ils sont muets comme des carpes et il ne risque pas d'y avoir anguille sous roche .

jeudi 14 août 2014

"Tu t'appelles comment ? Tu as quel âge ? ". Ces deux questions, il ne vous viendrait pas à l'esprit de les poser à un inconnu de passage , même si vous en brûliez d'envie . Et pourtant , vous vous souvenez les avoir prononcées il y a longtemps de cela, quand vous rêviez de bikini sexy et qu'on vous affublait d'une barboteuse hideuse. Quand vos biceps fluets étaient comprimés par des brassards ou , pire encore , qu'une bouée à l'effigie d'un vilain petit canard ceignait votre taille alors que votre palmipède favori, c'était, bien évidemment,  le cygne blanc .

C'était l'époque où vous utilisiez la parole non pour déguiser votre pensée , comme le proclamait Talleyrand , mais pour communiquer avec authenticité .  C'est maintenant au tour de votre  enfant de les poser , ces deux questions . Vous lui avez assigné un périmètre de sécurité et surveillez , en bonne mère-poule que vous êtes , le moindre de ses faits et gestes , sur cette plage où il va goûter aux joies de la baignade . Sans vous douter qu'il fera peut-être aussi l'expérience de la douche froide .Car si vous êtes en vacances , la nature humaine , elle , ne l'est jamais . Et votre enfant , aussi mignon qu'il est , aura tôt fait d'en faire les frais .

Plantons le décor . L'après-midi touche à sa fin , et la patience de votre bambin aussi . Il a accepté , presque sans  broncher , de se laisser enduire  le corps d'un  écran total poisseux qui lui donne des airs de Casper dans un remake des Bronzés . Il a serré les dents quand vous lui avez ajusté son bob fluo et ses lunettes aux verres miroir , sans vous rendre compte qu'il possède un sens inné du ridicule , et que ressembler à un mix des deux Flics à Miami et des Beach Boys ne correspond pas à ses critères esthétiques - ni aux vôtres , d'ailleurs . Alors , quand vous lui demandez , après une trempette éclair , de s'asseoir gentiment sous le parasol pour pouvoir enfin étaler votre corps de Milf sur votre transat loué à la journée , pas étonnant que le fruit de vos entrailles émette les  grognements d'un fauve en cage  et qu'il soit submergé par l'appel du large .

C'est qu'il n'a pas besoin de longue-vue pour inspecter les environs avec le maximum de précision. Ce qui l'intéresse , c'est avant tout l'action . Et sur une plage , elle se concentre principalement sur une zone bien définie qu'il scrute sans relâche , toutes antennes dehors , prêt à vous fausser compagnie à la moindre occasion . La  portion géographique sur laquelle il focalise son attention , c'est celle où le sable est assez imbibé d'eau salée pour ne pas s'éparpiller en grains folâtres quand on le saisit par poignées. C'est là que le petit d'homme révèle sa nature d'homo faber en se lançant , chaque été , dans la construction de châteaux éphémères . Et c'est avec envie qu'il observe ses congénères lorsque , animés d'une fièvre bâtisseuse  , ces derniers affrontent vents et marées pour édifier remparts et donjons de sable à la longévité programmée .

Votre rejeton, s'il n'est pas poltron, tentera une brèche .  Il guettera le moindre signe de découragement des apprentis maçons pour leur apporter sa contribution . "Tu t'appelles comment ? Tu as quel âge ?"S'il est timoré, par contre, il  demeurera figé comme une statue de sel , tiraillé entre le désir de collaborer et la hantise d'être rejeté. C'est que l'instinct de propriété de ces petites personnes est fortement développé . Même si le sable appartient à tout le monde , ce qu'ils en font n'appartient qu'à eux seuls . Et gare à celui qui s'avisera de leur barboter pelle , râteau , seau ou tamis ! Il lui en coûtera une belle touffe de cheveux arrachés  ou une généreuse volée de sable dans les yeux .

Heureusement ! Les verres miroir ont fait écran et votre mini-moi ressortira indemne après pareil affront . Il ravalera ses larmes et reprendra son poste d'observation sur sa serviette  éponge sans que vous ayez eu besoin de sonner du clairon . C'est alors qu'une méchante vague viendra anéantir le fruit du dur labeur des trois vilains  garçons, qui se répandront en lamentations devant les vestiges de leurs fortifications bidon . De quoi en tirer une bonne leçon!
Comme quoi , on peut devenir vite  un sage , sur un modeste bout de plage , à n'importe quel âge .


vendredi 25 juillet 2014

Oui ! Notre civilisation  est décidément bien malade. Je dirais même incurable ! Car elle fait preuve d'une  cécité  totale quant à la virulence du poison qui lentement la corrompt. En croyant cueillir les roses de la vie , nous ne composons, sur notre chemin, que des bouquets magnifiques d'ancolies maléfiques qui s'insinuent dans les replis de notre esprit .

Ce mal qui nous ronge et qui affecte nos relations à autrui, c'est la consommation à outrance. Consommation de sexe, de sentiments et de sensations . À trop vouloir s'emplir les poumons de liberté, on finit par respirer un air vicié: celui de la licence. Licence de posséder l'autre puis de s'en déposséder, licence de s'en éprendre  puis de s'en déprendre, licence de boire jusqu'à la lie la liqueur de la vie avant d'en subir les déboires. Alors que notre espérance de vie s'allonge, paradoxalement les actes d'importance qui scandent notre existence n'ont qu'une durée de vie limitée.  Les serments n'ont plus aucune consistance . D'où vient cette inconstance?

C'est dans l'air du temps, répondront certains, sur le ton de la résignation. Ils n'ont pas tort. Il n'y a qu'à regarder autour de nous. Notre environnement familier témoigne de l'accélération de la péremption de nos biens. Que ce soit dans le domaine de l'électroménager ou de l'informatique, nos appareils tombent sous le coup de l'obsolescence programmée. Les avancées techniques sont tellement rapides qu'au bout de quelques mois , nos ordinateurs  flambant neufs appartiennent à l'ère jurassique du digital. On achète, puis on jette. Il y a presque autant, dans les déchèteries,  de carcasses de PC passés de mode que de carcasses de poulets aux hormones .

Il en est de même dans le domaine de l'habillement . Des chaussettes aux chaussures,  des dessous aux pardessus , tout le secteur du prêt-à-porter pâtit d'une détérioration de la qualité. On ne reprise plus, on ne retouche plus, on ne répare plus, on jette, sans aucune componction. Fabriqués dans les sweatshops des pays émergents, ces articles, faits à la va-vite, pèchent par leur manque de finitions et la désagrégation de leurs composants au fil du temps. La raison à cela? L'emploi de tissus et matériaux bas de gamme, ainsi que l'obligation de se plier aux injonctions d'une course à la productivité .

Ce rapide état des lieux devrait donc servir à notre édification. Avons-nous vocation à nous laisser traiter comme des biens de consommation? Inversement, allons-nous considérer notre prochain comme un pion sur l'échiquier de nos inclinations en perpétuelle évolution? Il faudrait avoir une piètre estime de nous-mêmes et des autres pour accepter un tel choix de vie .

Non ! L'être humain n'est pas une denrée en rayon dans l'hypermarché de nos désirs en mutation constante. Même si nous sommes entrés dans l'ère du tout-jetable, même si nous nous lassons vite des choses que nous acquérons,  ne laissons pas la contamination gagner ce qui fait notre spécificité et notre unicité : notre capacité à choisir et chérir un être avec qui nous aurons du plaisir à partager notre existence . Donnons-nous une chance de goûter au bonheur avant de nous dégoûter de nous-mêmes. Notre vie arrivera à péremption bien assez tôt .

jeudi 10 juillet 2014

L'homme du XXIème siècle est un homme qui marche, et qui est en marche.  Il va droit devant lui . Vers un but précis . Souvent au mépris des autres , individualisme oblige . Alors, les rares moments qui s'offrent à lui de se poser , et de chercher celui ou celle qui lui emboîtera le pas pour un temps limité ou illimité, il les utilise à bon escient .

   Avant tout, il a compris que le meilleur prélude à une entrée en matière communicationnelle est une exploration scopique de la personne visée. Certes , l'examen de son visage en dit long sur son intériorité . Il permet de faire un premier tri . Exit les mines renfrognées , les lèvres pincées , les airs hautains . Bienvenue aux yeux rieurs , rêveurs et aux sourires coquins .

   Mais une fois commis  le délit de faciès , il faut scruter les détails qui vont mettre notre prospecteur de la "perle rare" sur la voie des affinités électives . Et devinez quelle partie du corps le renseignera le mieux ? Le poignet ! On n'y pense jamais , mais c'est pourtant un indicateur infaillible quant aux goûts particuliers d'une inconnue lambda.

    Tout comme le cou ou les doigts , le poignet a l'avantage, de par sa circularité , de se prêter à l'ornementation . De même que le collier embellit un cou, ou qu'une bague enjolive un doigt , le bracelet fait aussi partie, depuis des temps immémoriaux,  de la grammaire de toute coquette , et ce faisant , livre à l' observateur averti quelques secrets sur les penchants de son heureuse propriétaire . Qu'il soit en métal précieux , en perles ou pierreries , en bois , en coton, en plastique, ou même, récemment, en élastique, cet ornement orbiculaire , par sa simplicité ou sa sophistication, révèle la fibre aristocratique tout autant que la fibre écologique ou synthétique de la femme qui le porte .

   Attribut esthétique , certes , mais pas seulement . Le bracelet est devenu , au cours du siècle dernier , l'instrument indispensable à notre repérage dans le temps . L'invention du bracelet-montre , en 1904,  par Louis Cartier , pour son ami aviateur Santos-Dumont,  sonna le glas de la montre à gousset . Extraire une montre d'une poche  à des milliers de pieds d'altitude relevait d'un  exercice encore plus périlleux que la pratique de la haute voltige, cela va sans dire .  Et même si on ne navigue pas dans les airs et que l'on a les pieds sur terre ( physiquement parlant , du moins) , rares sont ceux d'entre nous qui regrettent le port du gousset.

   Avec l'avènement des nouvelles technologies , le bracelet s'est vu confier une autre mission, plus inquiétante : celle de surveillance . On connaît l'existence du bracelet électronique  que certains repris de justice , bénéficiant d'un aménagement de peine , doivent porter ( à la cheville , pour plus de discrétion ) afin d'être à tout moment géolocalisés par l'administration pénitentiaire . Au cas où ils voudraient prendre la poudre d'escampette...

   C'est dans la même optique de surveillance qu'a été inventé le " bracelet connecté" .  Relié au smartphone de son propriétaire via une application, il enregistre le moindre de ses  faits et gestes , mesure son temps de sommeil et contrôle même son alimentation. Si les objectifs fixés ne sont pas atteints , l'autoculpabilisation fait son apparition . Est-ce moins pire qu'une incarcération ? J'en doute . En prison , on n'a pas à disposition des verges pour se faire  battre.

   Quand je vous disais que le poignet d'une inconnue est plus bavard qu'il n'y paraît . Ce bref tour d'horizon de l'histoire du bracelet dans notre civilisation nous permet d'apporter une révision à notre postulat de départ . L'homme est en marche , certes . Mais il semble parfois marcher à reculons . Car quoi de plus régressif que de subvertir la fonction première d'un attribut féminin ! Loin de permettre à la femme d'exprimer librement sa féminité , le bracelet connecté, icône de la branchitude,  l'enferme dans le carcan du rendement et de la performance , valeurs masculines par excellence . Le bracelet, autrefois artefact de séduction,  devient menottes , et la femme , dans sa quête du corps parfait , retombe sous la coupe de l'homme. Ne nous étonnons donc plus si le mâle alpha la choisisse come appât...

dimanche 29 juin 2014

   Il y a autant de façons de parler de l'être aimé que de façons d'aimer . On peut célébrer , à l'instar des poètes de la renaissance,  une partie du corps vénéré plutôt qu'une autre   : front , œil , bouche, sourcils, chevelure  ou même tétons , pour les plus polissons . Ce genre de poésie , qui a pour nom blason , comporte néanmoins une grande absente sur la liste des qualités qu'est en droit de posséder l'élu de notre cœur . C'est la peau .

   Et pourtant , sans elle , sans cette fine membrane qui recouvre notre chair et nous circonscrit dans l'espace  , nous ne pouvons pleinement goûter à ce délice des sens que procure une des manifestations de l'élan amoureux : la  caresse . Ce simple va-et-vient de doigts sur notre peau , qui s'épanouit dans la répétition , nous fait côtoyer les cimes de la pâmoison quand il est le véhicule d'une passion . Sans doute parce qu'il nous procure une sensation ambivalente, conjonction d' un doux frisson et de la brûlure d' un buisson ardent , fusion entre le froid et la chaud.

   Ce contact cutané , à l'apparence si banal, réussit le prodige de nous exiler de la dureté  sensorielle de ce monde qui beugle et bêle comme un troupeau de bétail dans cet  enclos qu'est notre microcosme social. Avec lui, Les mots sont superflus . Son langage purement tactile se suffit à lui- même . Il est le complément indispensable à la déclaration de deux amants , et réaffirme, au cours du temps , la permanence de leur  lien . Aussi faut-il s'alarmer quand il se fait plus rare . Sa disparition sonne le hallali d'une relation .

   Or  , s'il est une caresse qui , en toute occasion , apporte volupté et sérénité , c'est bien la caresse des mains. Les doigts qui s'entremêlent comme des lianes savent instantanément se frayer un chemin dans la jungle des émotions . Ils proclament l'union des âmes  et sont le signe ostensible de deux cœurs à l'unisson . Quand dissonance il y a , les doigts recouvrent leur liberté propre et réinvestissent leur fonction de préhension des objets du quotidien . Ils ne sont que les cinq outils d'une main. Dans le pire des cas , les doigts se font accusateurs : l'index est pointé, le majeur vulgairement dressé, et la gifle peut parfois même être infligée . La caresse fait désormais partie du royaume des limbes . Elle a peu d'espoir de ressusciter quand la désunion s'installe . On la trouve inhumée dans la crypte des amours défuntes .

   C'est au crépuscule de la vie  que la caresse prend toute sa valeur  , avec toute sa prégnance symbolique . À l'être aimé qui appareille pour l'autre monde , on prend la main , on la lui caresse . Comme pour un rite de passage. Mais le geste n'a plus d'écho et ne s'accompagne plus de réciprocité . Non pas  parce que le bénéficiaire a renoncé à tout attachement .  Mais parce que sa volonté de lutter l'a abandonné ,  qu'il sait que son départ est proche et inéluctable . Alors il laisse ses doigts pendre , comme les branches d'un arbre foudroyé , avant de s'agripper , dans un ultime  sursaut de vie , à la main de celui qui reste , et qui ne cesse de le caresser  , comme pour lui insuffler la chaleur de son amour , à lui qui ne frissonne plus , maintenant  que le froid de l'au-delà a immobilisé son corps  et pétrifié son coeur.

mardi 24 juin 2014


    Qu'on le veuille ou non , notre corps est le bagage que l'on transporte continûment avec soi, de notre naissance à notre mort , sans possibilité de nous en défaire. Il  prend corps dans le corps de notre mère , replié sur lui-même dans les ténèbres utérines , avant d'être expulsé vers la lumière et croître à son rythme , soumis aux métamorphoses que lui fait subir le temps qui scande notre existence .

    Le temps biologique , en premier lieu , mais aussi le temps (au sens météorologique ) du psychisme , avec ses accélérations et ses décélérations .  Car une chose est sûre : bon gré mal gré , notre corps est attelé à notre esprit pour le meilleur et pour le pire , dans notre voyage forcé sur cette terre . Dès lors , tous les coups sont permis . De cette cohabitation contrainte , naissent des rébellions sans fin  , et il faut être un habile aurige pour éviter de verser dans le précipice .

    De cette lutte sans merci, le corps est toujours le premier à pâtir . Extérieurement d'abord. Au vu et au su de tout le monde , il se dilate ou se rétracte , faisant osciller la balance au gré de nos humeurs changeantes . Intérieurement aussi . Nos organes sont mis  à rude épreuve . De l' ulcère au cancer , nos viscères subissent les assauts répétés de la maladie très souvent induite par un esprit à l'agonie . Psychosomatisme oblige .

    Pour parer conjointement à l'érosion physiologique de notre corps et aux déprédations physiques commises par les diverses pathologies , notre volonté s'avère une alliée de choix . Elle est la forteresse dans laquelle nous nous retranchons pour nous façonner un corps de déesse: celui immortalisé par la statuaire antique . Un corps modelé à force d'être mortifié par des séances de musculation intensive . Un corps magnifié et exhibé sans retenue sur du papier glacé. Comme pour conjurer les moment où il deviendra de glace , aussi froid que le marbre des statues qu'il tend à imiter.

    Car rien ne peut enrayer le cours implacable du temps. On peut tout au plus faire illusion , user de  subterfuges pour redonner à la peau son apparence juvénile . Mais l'on ne trompe que soi-même dans ce vaste jeu de dupes . Les années que l'on pense avoir soustraites à notre état civil sont bel et bien inscrites sur la feuille de route de notre vie . Et ce corps que nous exaltons , et grâce auquel nous exultons dans cette jouissance que nous procurent  les plaisirs de la chair,  ce corps est pourtant bien notre prison ! Ne l'oublions pas : la "petite mort" porte bien son nom. Elle n'est qu'une séance de répétition avant l'exécution de l'oraison funèbre qui clora notre existence sur terre.

dimanche 15 juin 2014

Si vous ne deviez emporter qu'un seul objet sur une île déserte , quel serait -il ? À cette question, quel visage ne s'est pas illuminé d'un sourire rêveur ! L'image d'une île paradisiaque se superpose à votre univers citadin , et vous voilà transportée sur une plage de sable fin , bercée par le doux murmure des vagues , engourdie par la lascive caresse du soleil , abîmée dans la contemplation de l'horizon  lointain.

    C'est que cette interrogation ouvre grand les portes de votre imaginaire et vous donne un passeport pour l'évasion. Le bitume s'évapore , les klaxons font taire leur stridence , la marée humaine se retire . Vous vous retrouvez seule. Sans plus aucune attache . Dépossédée de vos biens . Échouée sur un banc de sable sous des latitudes inconnues . Dépossédée de tout , sauf d'un seul objet . Votre totem . Votre kit de survie psychique .

    Autant dire que le choix de celui-ci demande réflexion. Et la question inaugurale , d'apparence banale , fait resurgir à la surface des cascades de questions abyssales qui s'emboîtent comme des poupées russes  : Quel objet serait doté , pour vous , d'une valeur assez  inestimable pour évincer tous les autres ? À quoi attribuez-vous le plus d'importance dans votre vie ? Quel sens donnez-vous à votre vie ?

    Insensiblement , l'île déserte , dont vous rêviez secrètement , vous amène à vous aventurer sur un territoire  que vous avez toujours redouté d'explorer . Vous , qui envisagiez ce voyage pour vous soustraire aux incessants dilemmes et vous lover dans les bras de l'oubli , vous retrouvez prise au piège , emmurée dans l'espace clos de votre moi , aux prises avec  des questions d'ordre métaphysique . Ironie suprême !


    Rassurez-vous ! Votre rêve d'île déserte , somme toute , a peu de chance de se réaliser . Et c'est tant mieux pour vous . Regardez  Robinson ! Si Vendredi ne lui était pas tombé du ciel , il aurait probablement continué de noyer son chagrin dans les vapeurs de la  souille . Aucun humain ne courtise volontairement la solitude , sous quelque latitude que ce soit . Et la plus belle île au monde ne saurait nous faire changer d'avis . Alors , si par hasard , votre rêve se réalise , et que vous vous retrouvez sur un îlot perdu du pacifique , ne réfléchissez pas ! Le seul objet qui vaille la peine de vous accompagner , c'est l'espérance !

vendredi 6 juin 2014


    À mon humble avis, il serait temps de dégraisser la presse hexagonale de tous les emprunts anglo-saxons dépréciatifs dont elle fait bombance . À une époque où l'économie et la politique , principales garantes d'un équilibre moral, sont mises à mal, les médias s'en donnent à cœur joie et distillent aigreur et stigmatisation , alimentant notre rancœur au lieu d'assainir notre cœur .

    Parmi les pratiques  favorites  , citons le "Bashing" ( fait de critiquer avec virulence quelqu'un  ) et le "Shaming" ( fait de couvrir de honte quelqu'un ). Personne n'est épargné . Comme dans les sociétés archaïques , il faut qu'un bouc émissaire soit envoyé dans le désert pour expier les fautes d'un groupe d'individus donné. Ainsi la cible varie  selon les frustrations du moment . On peut s'acharner sur un citoyen en particulier ,  comme sur une communauté spécifiquement nommée.

    Au rayon des nouveautés, le" Pet Shaming" , moins nocif pour le public visé, puisqu'il ne cible que les animaux de compagnie . Les réseaux sociaux en font leurs choux gras .Les  chiens ou chats incriminés accèdent à la popularité le temps de leurs méfaits . Qu'ils aient mis en pièces votre livre d'art préféré ou lacéré vos tentures Laura Ashley ,  ils consentent ,sans broncher,  au châtiment qui leur est réservé : se faire tirer le portrait ,avec, autour du cou, une pancarte mentionnant  leur forfait .

    Si les clichés postés prêtent à sourire , il n'en est pas de même de ceux censés rappeler à l'ordre les gastronomes trop zélés . Les chantres  du "Body  Shaming " déversent leur bile en publiant à l'envi les photos de  gourmandes prises en flagrant délit d'hyperphagie .J'ai bien dit "gourmandes" . Comme si la gloutonnerie était un péché capital typiquement féminin . Eh oui ! Le sexisme , lui , ne risque pas de dépérir tellement il a le ventre plein .

    De la gourmande à la gourgandine , il n'y a qu'un pas , et il est vite franchi . Car à l'opposé du "Body Shaming ", et de ses variations sémantiques tels que le " Fat Shaming " , " Weight Shaming" ou " Food Shaming", on trouve le " Slut Shaming " . En général , celles qui en sont victimes ne souffrent pas de troubles alimentaires comme les précédentes . Elles ont plutôt un appétit d'un autre genre , et n'ont aucune inhibition à exhiber  leur corps pour satisfaire leurs besoins . Si elles jouissent , auprès des hommes , d'une adoration toute bestiale, elles ne sont guère en odeur de sainteté auprès des Jeanne d'Arc du féminisme hexagonal  . Honte à la France , et surtout honte aux femmes !


    Aux adeptes du "Shaming" , je n'ai qu'un mot à dire: Shame on you ! ! Laissez donc les gens vivre ! Vous mériteriez un bon "Bashing" ! Mais comme je ne suis pas d'humeur belliqueuse et prône l'irénisme plutôt que l'ire , je laisse aux chiennes de garde hagardes le soin d'aboyer toutes en chœur , et vais , pour leur faire la nique , enfiler mes " Fuck Me Shoes " ; car  comme disait Marilyn sur ses talons aiguilles ,"  Donnez à une fille la bonne paire de  chaussures, et elle pourra conquérir le monde ".


mercredi 28 mai 2014

Soyons honnêtes ! Le plus grand défi qu'une femme ait à relever quand elle est en couple , c'est de  le faire durer . Or la navigation conjugale ne dispose pas d'instruments d'orientation assez perfectionnés pour déjouer les écueils de la traversée . Il faut parfois naviguer à vue, et surtout se méfier des sirènes qui s'ennuient dans les profondeurs et se divertissent à noyer de désir les marins rattrapés par le démon de midi . Car le désir est la voie d'eau la plus redoutable pour le frêle esquif matrimonial . Et s'il reste par mégarde en rade , le couple va au naufrage .

    Heureusement, nous,  les femmes,  ne sommes jamais à court d'inspiration pour raviver la flamme . Nous avons toutes compris que le talon d'Achille des hommes , c'est notre corps et ses artifices . Aussi ne nous privons-nous pas d'en façonner les contours à notre gré , d'autant de façons que nous le voulons. Pour circonvenir capitons et autres imperfections, nous avons un bataillon de solutions à notre disposition . Onguents miraculeux et  potions magiques sont les dernières  inventions d'une nouvelle génération de druides savant manier alambics , pipettes , chromatographes, et autres instruments barbares .

    Mais là ne s'arrête pas notre quête du corps idéal . Pour captiver le mâle alpha , il faut souvent vendre son âme aux grands mages de la chirurgie , qui  burinent, cisèlent ou emplissent de gel  ,  seins , mollets , fessiers , cuisses , pommettes et abdomen . Le bistouri est aussi révéré que le silex lors de la découverte du secret de fabrication du feu . Il donne au chirurgien plastique la même aura que Prométhée , lui qui déroba le feu à Zeus pour en faire don  aux hommes  . À ceci près que , désormais , le feu divin est tombé entre les mains des femmes , et qu'elles l'utilisent , non plus pour réchauffer des plats , mais pour allumer des brasiers dans le cœur de leurs proies .

    Et comme si cela ne suffisait pas , elles ajoutent , depuis quelques temps , des cordes supplémentaires à leur arc , pour décocher la flèche fatale à celui qui aurait l'audace de devenir volage. Les plus sportives se métamorphosent en femmes élastiques , apprenant à se contorsionner lascivement autour d'une barre X-Pole plantée en plein  milieu de leur salon , histoire de ravir la vedette à leur rivale bavarde et son choix de chaînes à la carte . Qu'on ne s'étonne pas si les strip-teaseuses sont bientôt contraintes de faire la queue à Pôle Emploi ...

    Pour les plus exhibitionnistes et les plus endurantes , celles qui trouvent que leur salon n'est pas une scène assez éclatante pour étaler leurs exploits physiques, reste à suivre l'entrainement intensif des pom-pom girls sur les terrains de foot . C'est sûr que les figures acrobatiques des cheerleaders sont à vous couper le souffle . Alors si les stunts ( portés) , les flyers ( équilibres en l'air  sur un pied ) et les toe-touch ( grands  écarts faciaux en l'air avec toucher des orteils ), laissent votre homme de marbre ,  c'est qu'il ne vous mérite pas . Cheer up ! Un de perdu, dix de retrouvés ! Et même 11! Dans une équipe de football , on est certaine de trouver un joueur à son / ses pieds !

jeudi 22 mai 2014


   D'ici 50 ans , l'on n'aura plus besoin , comme Faust , de vendre son âme au diable pour accéder à l'immortalité . Avec les progrès des nanotechnologies , les limites de l'humain seront repoussées , et la mort sera contournée . La science terrassera donc la religion en battant en brèche l'idée d'un Dieu tout-puissant, pourvoyeur de vie comme de mort .

    Tel est le projet du courant transhumaniste , qui mise sur la création de l'homme 2.0, aux capacités physiques et cérébrales tellement démultipliées qu'elles ôteraient aux Parques le soin de couper le fil de notre destinée puisque nous échapperions à la mortalité . Toute une mythologie à refaire ...

   Certes les avancées scientifiques ont permis , au cours des décennies passées,  de pallier à des infirmités physiques congénitales ou accidentelles . La pose de prothèses articulaires internes  , ou  le recours à des exoprothèses en cas de mutilation d'un membre , ont amélioré la qualité de vie de beaucoup d'hommes . Aucune objection n'a été soulevée lors de cette adjonction de matériaux métalliques au corps humain , qu'elle soit endogène ou exogène .

    Et pourtant un grand pas à été franchi . La fusion entre le vivant et le mécanique . En bref , les premiers cyborgs ont vu le jour . Discrètement . Sans faire de bruit . Après tout il n'était question que de réparer les parties du corps humain endommagées . Qui reprocherait à un unijambiste de recouvrer sa capacité à remarcher ?

    Mais l'insatiabilité est au cœur de l'homme . Il lui fallait donc aller encore plus loin. Si l'unijambiste peut remarcher à nouveau comme un homme normal , pourquoi ce dernier ne pourrait-il courir plus vite que son ombre ? L'idée d'un "homme augmenté" à donc germé et  fleuri dans les cerveaux de chercheurs désireux de construire un surhomme capable de surpasser la créature de Dieu.

    Après tout , la science -fiction nous a familiarisés avec son panthéon de super-héros venus à la rescousse de l'humanité . Homme araignée ou homme chauve-souris , leur hybridité homme - animal ne nous a pas effrayés outre - mesure . Bien au contraire . Nous n'avons de cesse de les chérir et achetons ,pour nos enfants, panoplies de déguisement et produits dérivés à leur effigie .

    Pourquoi donc cette  subite levée de boucliers et cette diabolisation des apôtres de l'homme augmenté ?  Les nombreux pharisiens brûlent d'envie de voir périr sur le bûcher  les  transhumanistes ,  traités d'hérétiques menaçant  la survie de l'espèce humaine existante . Ils brandissent le spectre des inégalités à venir si l'avènement de l'homme nouveau se réalisait .

    Une humanité à deux vitesses ! Voilà ce qu'ils dénoncent ! À les écouter , seuls quelques "happy few" nantis pourraient s'octroyer le privilège d'implanter dans leurs cerveaux , ou de greffer sur leurs corps , des nanoélectrodes connectées à un  ordinateur qui amélioreraient leurs performances intellectuelles ou physiques . Et les body hackers? Ils en font quoi ? Quitte à bricoler , autant le faire sur son propre corps . D'ici 2050, chacun disposera d'un kit de nano-implants  personnalisé qu'il se greffera à son gré.

    Hypocrites détracteurs ! Vos yeux pétillent rien qu'à l'idée de chausser prochainement les lunettes à réalité augmentée , et vous osez clouer au pilori ceux qui se proposent d'équiper vos prunelles d'implants rétiniens pour vous doter d'un œil de lynx ? Vous criez au scandale lorsque l'on vous parle des exploits que pourra réaliser l'homme bionique , alors que vous rêvez de l'égaler en vous essoufflant vainement sur les engins de torture d'une salle de fitness? Et vos femmes ? Vous ne vous posez pas tant de questions quand elles se font implanter des prothèses mammaires pour satisfaire vos instincts primaires !

    Vivons avec notre temps ! Et laissons le choix,  à qui le désire , de réaliser ses fantasmes d'humain  "amélioré".  Et si , un jour , nous parvenons à télécharger notre esprit dans un robot-avatar , comme le propose un milliardaire russe,  pourquoi pas ! Après tout, pourquoi nous refuser à l'immortalité?   Cela voudra dire que la science fiction appartient désormais au passé,  et que le  meilleur des mondes d'Aldous Huxley n'est pas si éloigné que ça de la réalité .

dimanche 11 mai 2014



   Si , avant, le médecin jouissait d'un prestige comparable  à celui du curé de village , de nos jours il est tout aussi ignoré que lui . Une irréligion grandissante s'est développée conjointement avec une méfiance accrue envers l'institution médicale . Pour faire court, on se détourne autant d'Esculape que de Dieu .

    C'est qu'une autre divinité a fait son apparition dans le panthéon des guérisseurs du corps et de l'esprit : le thérapeute ! Finis les traitements médicamenteux foireux ! Certains dévots de la minceur  y ont même laissé leur peau , eux qui voulaient justement n'avoir plus que la peau sur les os. Paix à leur âme!  Beaucoup  se sont retrouvés les deux pieds dans la tombe sans avoir même reçu l'extrême onction. On comprend , après ça , que les médecins ne soient plus en odeur de sainteté du tout.

    Plutôt que de tenter le diable , on préfère désormais placer  sa confiance dans la thérapie qui a les bonnes grâces des médias . Autant vous dire qu'on change souvent d'avis , car les médias , comme chacun sait , encensent aujourd'hui ce qu'ils conspuent  demain .  À leur décharge , on doit dire que certaines de ces thérapies se fondent sur des théories pour le moins hérétiques .

    La thérapie quantique , par exemple , défie l'orthodoxie . Comme beaucoup d'entre nous l'ignorent , nos cellules communiquent entre elles en émettant des particules lumineuses . Dès lors , toute défaillance dans ce vaste réseau de bio photons se traduit par des troubles soit physiques soit psychiques . Au thérapeute quantique la mission de pallier ce dysfonctionnement en appliquant, sur le corps du patient, des électrodes reliées à un appareil électronique censé recadrer les ondes électromagnétiques de notre corps.

    Si cette théorie ne remporte pas votre adhésion ,  essayez plutôt la zoothérapie . Il n'y a que l'embarras du choix pour désigner quel animal soulagera vos maux psychiques . Si vous résidez sur une île , pourquoi ne pas tenter la delphinothérapie, histoire de réactiver vos souvenirs de Flipper le dauphin. En métropole , un cynothérapeute sera vivement conseillé . Les toutous sont beaucoup plus faciles à trouver et aussi  à domestiquer .

    Si vous êtes allergiques aux bêtes , allez donc consulter un hypnothérapeute . Rassurez-vous ! Il ne s'agit pas de regarder fixement un pendule et de tomber dans un état second! Le spécialiste en question se défend d'être un charlatan . Et pour le prouver , il ira jusqu'à pourfendre les champions de la  thérapie analytique , qui , il faut bien le dire , lui font encore de l'ombre .   Selon lui , seul le lobe droit du cerveau ( et non le gauche ) a droit à tous les égards . Ah bon ?

    Entre toutes ces thérapies , on ne sait plus trop bien  à quel saint se vouer. Le mieux , à mon humble avis , est de concocter une thérapie à votre  sauce . Pour ma part , je préconise une pincée de chocotherapie, trois cuillères à soupe d'héliotherapie et de thalassothérapie ( le soleil et la mer , ça ne fait jamais de mal ) , une dose non négligeable d'art thérapie ( Dieu soit loué ! Les arts sont multiples et variés ) , le tout nappé de gym thérapie . Et cerise sur le gâteau, de l'amour thérapie! Il ne me reste plus maintenant qu'à vous souhaiter un BON APPÉTIT!

jeudi 8 mai 2014


    La plus belle déclaration d'amour du septième art , on la doit à Godard , dans LE  MÉPRIS  . Une seule phrase , je devrais dire un seul vers , presque un alexandrin.  Et surtout  la déclinaison de trois adverbes , puissants et fragiles comme une hirondelle qui s'élance dans un ciel azuré , et dont l'élan se brise contre une paroi de granit . "Je t'aime totalement , tendrement , tragiquement ", dit Paul à Camille . Comme si le rythme ternaire était propre à la fatalité. Comme si le véritable amour était punissable , condamné d'avance  à cause de ce trop plein , cette hubris des sentiments .

    Aimer trop n'est plus aimer . C'est adorer . Et l'on  sait que les dieux jaloux ne peuvent souffrir que les hommes témoignent à leurs semblables ce qui leur est réservé en propre . Mais laissons-là les dieux .  Ils sont un prétexte trop futile  pour cacher une vérité immarcescible.  Disons  plutôt que le coeur de l'homme ne peut contenir que pour une durée limitée un élan amoureux illimité . À force de brûler d'amour pour l'autre  , le cœur se consume . Il se calcine plus qu'il ne se brise .


    Mais le cœur est un phénix qui renaît toujours de ses cendres . Pour se consumer à nouveau , pour un autre ou une autre . Nous sommes tous des Sisyphes qui gravissons la montagne le cœur léger pour en redescendre le cœur lourd . Faut-il s'en plaindre ? Est-il préférable d'avoir un cœur de pierre ?

    Certes non . Sans amour , on n'aurait plus goût à la vie . On ne donnerait plus la vie aussi. À quoi bon servirait-il de jouer les prolongations sur cette terre sans  personne pour nous y retenir ? À quoi bon servirait-il de prolonger une lignée sans aucune lueur d'espoir pour éclairer son avenir?

    Totalement , tendrement , tragiquement :  telle est notre devise . Même si l'on doit souffrir, ne nous épargnons pas le délice de faire provision de souvenirs .  L'amour , on a beau dire , est une île enchantée où il est doux de vivre , même si l'on sait , qu'un jour, elle sombrera comme l'Atlantide sous le poids de nos  soupirs .

mardi 6 mai 2014




   On récolte ce qu'on s'aime . Là est la secret du bonheur . Mais pourquoi donc , si l'on en connaît la recette , le bonheur s'avère-t-il inaccessible pour certains  d'entre nous ? Est-ce parce qu'ils ne savent pas séparer le bon grain de l'ivraie qu'ils ne font que de piètres moissons?

   Disons plutôt que, par une excentricité  de la nature , ils préfèrent l'ivraie au bon grain . Ainsi  certains s'aiment tellement qu' ils s'aliènent leurs semblables en réclamant d'eux une dévotion sans faille . Dressés sur leur  piédestal , ils attendent  qu'on se prosterne à leurs pieds , comme ces idoles païennes exigeant  sacrifices et offrandes .  Dans leur sillage , ne vous attendez  à trouver que des personnages qui lustrent leur plumage et se pâment à l'ouïe de leur ramage.

    Sont- ils heureux , ces dieux et déesses terrestres ? Hélas non . Pas plus que ceux qui ne s'aiment pas assez . Car il est une engeance encore pire que les idolâtres de l' ego. Je veux parler de ces adeptes de la mortification qui se répandent en lamentations depuis le jour de leur naissance . Ils ne comprennent pas que l'on puisse un jour les aimer , eux qui portent  leur cœur  en bandoulière  le long du chemin de croix de leur destinée .Chaque jour ,  leur miroir leur renvoie l' image d'un  moi honni, qu'ils  meurtrissent à l'envi, pour je-ne -sais quelle raison enfouie .

   Dans les deux cas , la récolte est bien maigre  . Qu'il s'agisse d'un ego hypertrophié ou , à l'inverse, hypotrophié, l'excès ou le manque d'amour de soi a peu de chance de faire germer l'amour chez autrui .  Les Narcisse ne jettent leur dévolu que sur un aréopage fasciné par leur illusoire majesté ; et les mordus de l'autoflagellation , sur la harde d'individus aigris  et âpres à la dépréciation d'autrui .

   Or la vénération aussi bien que la dévalorisation n'ont jamais fait le lit de l'amour . Bien au contraire . Elles ne réussissent qu'à le défaire . Qu'on ne me parle pas de l'amour vache qui oscille continûment entre ces deux extrémités.  Il ne concerne que les créatures hybrides dont l'estime de soi fluctue au gré de leur humeur . Ils vivent un enfer et font vivre un enfer à l'autre .

   Aimer quelqu'un , c'est l'aimer constamment .C'est accepter ses qualités sans pour autant les encenser , et tolérer ses défauts sans pour autant les fustiger . Mais , pour ce faire, il convient de bien s'aimer : ni trop , ni trop peu, et faire confiance à la vie . Rien ne sert de pleurer. Il faut sourire à point. Pour faire moisson du bonheur, il ne faut rien de moins qu'attendre  la bonne saison.