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dimanche 13 avril 2014

EN HOMMAGE À MONSIEUR CHRISTIAN DAVID (1929-2013)

Place de la Trinité, l’église Second Empire où Messiaen, nouvel Orphée , tint les orgues et s’entretint avec les anges, s’étire vers le ciel. Devant moi, la rue Blanche se déroule comme une page où j’inscris mes espoirs . 

Je jette un bouquet de tendresse à l’angle de la rue Moncey, puis vire à tribord. La rue La Bruyère s’éveille en douceur, tandis que sa cadette, la rue Henner, rêve encore de grandeur. 

Arrêt obligé à la boulangerie de la rue Chaptal, où je satisfais ma gourmandise d’une tarte au sucre aux joues dorées. Puis c’est l’ascension de la rue Fontaine, lieu de plaisirs où les noctambules aiment se perdre jusqu’au confins de l’aube.

 Sur mon passage, un magasin d’antiquités exhibe cuirasses et décorations de guerre d’un siècle éteint, tandis qu’une boutique d’accessoires ressuscite le cirque et ses clowns chamarrés. 

Mon périple prend fin avant l’intersection avec la rue Mansart. Là, au fond d’une petite cour, à l’ombre d’un ailante centenaire, dans son atelier de peintre tapissé de livres, un Sage m’attend.

Certains mercredis , quand mon âme claudique, je gravis allègrement le bas Montmartre pour me recueillir dans ce havre de paix. Dans cet atelier où Degas esquissa des danseuses, un poète–peintre au regard azuré redessine pour moi les contours de ma vie.

 Recroquevillée dans un fauteuil de velours, je l’écoute, et sa voix lumineuse me conduit sur les sentiers de l’espoir. Il tisse patiemment la toile de mon avenir , dénouant les nœuds de mon passé obscur. 

Et l’angoisse qui m’étreint comme une amante trop vorace consent à se détourner de moi. Mon esprit se pare des lauriers de la gloire, et je virevolte sur scène sous les applaudissements d’une foule .

 Mais bientôt, la salle se vide . Et j’adresse mes saluts à un parterre vide. 

Mais qu’importe ! Tel Prospero sur son île , vous sûtes recréer le calme après l’orage. Et cet instant de gloire, aussi bref fût –il, vous lui avez donné la plénitude du BONHEUR..

Paris, 21 Juin 2006

Avoir un toit sur la tête , quand on y réfléchit bien,  n'est pas une priorité pour tout le monde . Derrière des motifs purement économiques , se cachent des motivations hautement philosophiques . Certains humains préfèrent vivre à la belle étoile plutôt que de se retrouver piégés entre quatre murs . Ils sont rares, certes, mais pas inexistants. Dans l'antiquité, le sage Diogène , pour braver les conventions sociales, n'avait-il pas élu domicile dans une jarre ? Opter pour des conditions de vie dénuées de confort , cela n'est pas courant et demande réflexion .

 Or, la réflexion, c'est ce dont nous manquons cruellement en ce monde . Et pour cause . Nous ne nous accordons aucune pause pour nous y adonner . Au lieu de consacrer du temps au temps , nous ne cessons de l'accabler d'imprécations sous prétexte qu'il nous échappe irrémédiablement . C'est sûr, nos professions nous accaparent tellement qu'elles ne nous laissent plus le loisir de penser. Et le peu de temps libre qui nous reste  est happé par l'hydre de la surinformation numérique . Nous devenons des Gargantuas de l'actualité tous azimuts , incapables de digérer autant de matière brute , faisant nôtre la pensée des autres sans penser qu'elle extermine la nôtre .

Comment , après cela , décider du type d'habitat qui nous conviendrait le mieux ? Peut-être , après tout , souhaiterions-nous construire une cabane en pin comme le divin Thoreau , et nous y retirer non loin d'un étang , loin du bruit et de la fureur urbaine ? Peut-être préfèrerions- nous couler des jours heureux dans une yourte mongole ou  un tipi amérindien ? Le problème , c'est que tipi ou yourte , il faut les planter quelque part , et certainement pas sur du béton . Donc à moins de migrer vers  les grandes plaines d'Asie ou celles d'Amérique , il nous reste peu de chance de mener à bien notre entreprise.

Grâce au ciel, des architectes  se  sont penchés  sur la question . Ils ont compris qu'en chacun de nous sommeille un Peter Pan. Ils ont compris qu'enfoui dans notre inconscient se loge notre désir d'une cabane de Robinson  . Celle dans laquelle on trouvait refuge dans notre enfance , au fin fond du jardin d'une maison de campagne . Alors plutôt que de miser sur la pierre et la brique , ils ont  opté pour le bois . Pour faire plus sérieux et faire semblant de préserver l'environnement  , ils ont appelé ça eco- construction. Et ça a marché ! Des lotissements entiers de maisons en bois sont sortis de terre . Mieux encore , des cabanes ont poussé dans les arbres , pour accueillir des touristes nouvelle tendance : les glampeurs , adeptes du glamping ou  camping glamour ...

La brique, le bois , mais que reste-t-il donc ? Vous ne voyez vraiment pas ? Cherchez encore . Les trois petits cochons , ça ne vous dit rien ? La paille , bien-sûr! C'est encore plus écologique et encore plus économique . Et puis au moins , si on s'en lasse , on aura qu'à appeler le Grand Méchant Loup . Il soufflera et soufflera, et la maison s'envolera.

 En somme , le  toit qu'on a  sur la tête est  bien plus révélateur qu'il n'y paraît . Tout adulte que nous sommes , le choix de notre habitat en dit long sur l'enfant que nous avons été . Que l'on décide de vivre dans une yourte , un tipi, une cabane  , une roulotte ou un igloo, inutile de nous faire croire que nous avons grandi . Après tout , ne partons-nous pas , chaque nuit, à destination du pays des songes?



mercredi 9 avril 2014

L'éclosion du printemps génère toujours une grande effervescence dans la vie de tout un chacun . C'est l'antichambre de l'été , saison par excellence du farniente  et de la Dolce Vita. Il fait bon s 'y attarder et s'y apprêter afin de briller de mille feux sur les plages de l'Ile de Beauté . Après de longs mois de déambulation forcée dans les couloirs interminables de l'hiver , quel ravissement de pouvoir arpenter à nouveau les allées bordées de rosiers bourgeonnant et bourdonnant , et de s'imprégner de l'air embaumé qui s'en dégage . C'est à un festin des sens que le printemps nous convie . La vue , l'ouïe , l'odorat  , jusque-là soumis à un régime sévère , font soudainement bombance , entraînant dans leur sillage le goûter et le toucher .

 Cette  moisson de sensations , notre corps n'est pas le seul à en bénéficier . Notre esprit aussi en savoure les bienfaits  . Comme si les noces de la chaleur et de la lumière ouvraient , devant  lui , le champ autrefois clos des possibilités. L'œil de l'espoir se remet à luire , et, avec lui, un appétit de vivre et de conquérir . Les nappes de doutes qui s'étendaient sur le paysage de notre vie s'estompent . L'horizon se dégage , les nuages quittent leur pelage gris . Le ciel , s'il verse quelquefois des larmes , ne le fait que sur le coup de l'émotion . On se sent brusquement à l'unisson avec le monde .

Le printemps , c'est aussi le temps des bonnes résolutions . Celles qu'on a oublié de mettre à exécution le lendemain du jour de l'an. On se regarde le nombril et l'on comprend qu'il est grand temps de mettre un frein aux bonbons . Un coup d'œil dans le miroir et l'on pressent que la nicotine aura bientôt raison de notre carnation. On fait alors le plein de motivation, et en route pour la  détoxination , la musculation , et la  désintoxication ! Tous les moyens sont bons pour refocaliser son attention sur son apparence , maintenant que le nombre croissant de photons ne laisse plus de place à la dissimulation . Le corps de rêve , on y croit dur comme fer , et à tout âge . Illusion suprême ....

L'homme de ses rêves aussi , d'ailleurs . Les remises en question refont leur incursion.  On commence à regarder d'un œil torve son compagnon . C'est qu'il a pris du bidon ! À vivre une vie de Patachon , le voilà affublé d'un  triple menton !  Une changement d'alimentation s'impose ! Adieu veaux , vaches, cochons ! Il faut suivre le conseil du paon d'un célèbre conte :  un pépin de pomme reinette et une gorgée d'eau claire ! Ni plus ni moins ! Et si cela ne suffit pas , reste le supplice de l'inanition . L'union fait la force , dit- on! Force est de constater que le manque d'efforts mène à la désunion .

Oui, le printemps sert aussi à ça ! Faire le grand nettoyage des diktats imposés  par une société rétrograde , où le mâle croit toujours détenir un rôle dominant . Nous autres , les femmes , avons suffisamment combattu pour obtenir  notre émancipation ! Pourquoi serions-nous donc contraintes d'obéir aux injonctions d'une minorité de fanfarons ? Les poignées d'amour ne sont pas l'apanage de notre seul sexe . Si on ne veut pas qu'elles deviennent des tue-l'amour , les hommes savent ce qu'il leur reste à faire ...

samedi 5 avril 2014


Addiction! Il n'est pas de son plus doux à mon oreille que ce mot de trois syllabes . C'est que je pratique cette religion avec dévotion . Si d'aucuns s'attachent à la combattre comme un poison , moi j'y cède avec délectation et n'ai que faire des sermons qu'on pourra me faire sur la question. Oui, je l'avoue, je voue une véritable passion à la compulsion.

Rassurez- vous ! Mes addictions , si elles atteignent des proportions défiant l'imagination, ne sont pas de celles qui tombent sous le coup de la réprobation. Oseriez-vous me blâmer d'aimer quelqu'un à la déraison ? Si vous le faisiez, je ne pourrais que vous témoigner ma commisération. Car vivre sans passion , c'est bien là le propre des moutons.

L'addiction n'a de plus grand ennemi que la modération et ne connaît pas le sens du mot saturation. Un addict digne de ce nom est en rébellion constante contre la restriction. Son champ d'expérimentation est en perpétuelle expansion , allant du bonbon à la boisson, de la natation au marathon, de la fornication à la masturbation mentale. Inutile de poursuivre l'énumération. L'addiction est irréductible à toute classification. Et le compagnon de l'addict pourra , certes , corroborer mon assertion.

S'il y a quelqu'un  à plaindre dans tout ça , c'est bien lui. Pourquoi donc fallait-il qu'il serve de chair à canon au facétieux Cupidon  ? Il se demande vraiment pourquoi l'addict l'a élu pour assouvir ses pulsions . Ce n 'est plus de la passion, c'est de la phagocytation! L'addict qui a développé une fixation sur lui n'est jamais à court d'inspiration.

Surtout depuis les mutations dans les  technologies de l'information. Le telephon' ne son' plus chez Gaston.  L'addict a un goût prononcé pour les innovations . Elle tweete, textote, sextote, et surtout radote. Elle veut être sûre de parvenir à une optimisation de la communication . Si , par malheur , le compagnon ne répond pas fissa, la dépression succède à l'exaltation , et l'addiction , telle une bombe à fragmentation , atteint son plus haut niveau de propagation .  Bonbons , boissons, natation, marathon, fornication, masturbation mentale, c'est l'explosion !

Que l'on ne s'étonne pas si le compagnon finit, un jour ou l'autre, par jeter l'éponge . Trêve de bonnes actions ! Il a beau être animé de bonnes intentions , il tient à préserver intacte sa raison . Tant pis pour lui ! Il ne mérite même pas la compassion. L'addict, elle , n'a que faire d'un canasson . Il lui faut un étalon. Alors elle fait appel à son imagination. Et la voilà repartie pour de nouvelles explorations , l'œil vif , le cœur vaillant ! Quelle faculté de récupération !

En somme, l'addiction, ça a du bon.  C'est le meilleur remède contre la stagnation , et , surtout, ça permet de faire le tri parmi vos compagnons. Alors honte aux impies qui osent brandir le spectre  d'une désintoxication ! il ne  méritent aucunement votre considération...

mercredi 2 avril 2014



Que ne ferait-on pas pour connaître l'avenir ! L'ignorance du lendemain nous effraye tellement , que nous sommes disposés , parfois , à confier nos interrogations les plus intimes à des inconnues que nous investissons d'un pouvoir égal à celui du divin.

Certes la voyante , de nos jours , n'est plus la bohémienne au fichu qui arpente les rues en quête de quelques misérables écus . Elle a pignon sur rue et officie dans un cadre cossu . En se sédentarisant, elle  a troqué sa roulotte bringuebalante pour un appartement élégant . On doit faire antichambre avant de fouler le parquet  de son salon. C'est que les grands de ce monde s'y pressent . Du politicien au capitaine d'industrie, tous accourent pour lui demander audience.

 La boule  de cristal , si elle subsiste, n'est plus qu'un objet ornemental.  Plus besoin aussi de tendre la paume de la main avec son entrelacs de lignes de vie ,  de cœur , et de destin . La chiromancie ne fait plus recette . On préfère s'inspirer de la révolution  des planètes . Quoi de plus enivrant que de se sentir exister au sein de l'univers , sous l'influence de Venus ou de Jupiter , comme Ulysse bravant vents et tempêtes avant de regagner enfin  la paisible Ithaque !

 Car la vie est une Odyssée . Ce n'est pas un simple parcours de santé . Parfois il nous arrive de perdre pied et d'être embarqué, bon gré mal gré, sur le radeau de la Méduse . Alors, pour pour éviter de sombrer,  on s'en remet aux astres , et à leur grande prêtresse . Le spectacle certes est moins exaltant que celui de la Pythie rendant l'oracle d'Apollon . Point de transe ni de langage abscons. La sphinge des temps modernes incarne la raison . Elle manie chiffres et compas à la perfection . Qui eût cru qu'une simple date de naissance recélât une telle foison d'informations !

Mais gare aux mauvaises interprétations ! On peut  passer sa vie à craindre le pire , comme le dramaturge grec Eschyle , à qui un augure  avait prédit qu'il perdrait la vie lors de la chute d'une maison . Le poète tragique  prenait donc soin de passer le plus clair de son temps hors de sa demeure. Cela ne l'empêcha pas d'avoir le crâne fracassé  par la carapace d'une tortue qu'un gypaète avait laissé tomber à dessein sur sa tête , l'assimilant à tort à une grosse pierre . La raison de son  trépas fut bien la chute d'une maison , mais pas celle qu'il redoutait.

Quant aux superstitions , elles sont , pour certains,  un poison quotidien. Les chats noirs , les échelles , les miroirs deviennent les bêtes noires des angoissées congénitales . Le mauvais œil aussi, mieux vaut l'éviter , en se bardant d'amulettes et en faisant discrètement les cornes ( du diable ) pour conjurer le mauvais sort . Pour ce qui est d' avoir la baraka , il est d'usage de toucher du bois . Et les manchots dans tout ça ? Ils font quoi ?

Une chose est sûre . Quoi qu'on fasse , rien n'arrêtera les sombres Parques dans leur implacable tâche . On peut toujours essayer de leur faire les yeux doux , elles sont aveugles . Le jour venu , elles couperont le fil de notre vie et l'on ira rejoindre les astres , débarrassés de ce fatras de doutes et de craintes , d'espoirs et de gloires . La vie est un jeu de hasard . Alors battons les cartes nous-mêmes au lieu de recourir à la cartomancie , chiromancie et autres mantiques dernier cri. L'avenir adviendra quoi qu'on fasse . Alors vivons pleinement le présent , et croisons les doigts...

samedi 29 mars 2014



Tout le monde n'a pas la chance de s'appeler Pygmalion . Non seulement le sculpteur virtuose est-il parvenu à façonner , de ses propres mains , la statue incarnant son idéal féminin ,  mais il a aussi eu l'immense privilège de jouir de la haute considération de Vénus , qui, une fois n'est pas coutume,  a bien voulu jouer les bonnes fées .  La déesse ne lui a-t-elle pas accordé l'insigne faveur de métamorphoser l'ivoire en chair , une fois conçue la Galatée de ses rêves  ? Quel humain n'a pas rêvé de voir un jour prendre corps la créature de ses fantasmes ...

C'est surtout au XIXe  siècle que l'on observe la résurgence du mythe dans un certain nombre d'œuvres littéraires entre  autres  .  Le ballet Coppélia , inspiré d'un conte fantastique d'Hoffmann ,  retrace l'obstination folle du Dr Coppélius à vouloir insuffler vie à une automate de sa composition . L'obsession , qui l'habite , d'extraire  l'étincelle vitale d'un humain pour la transférer à sa poupée , le conduira à mettre au point un stratagème diabolique : Appâter le jeune Frantz ,  qui se pâme d'amour pour "la fille aux yeux d'émail"  et dont il ne soupçonne pas l'inappartenance au monde humain . Désireux de lier connaissance avec Coppélia, le jeune homme s'introduit dans le logis du savant fou  et n'en  ressort vivant que grâce à  l'intervention providentielle de sa fiancée Swanilda .

Au  XXIe siècle ,  ce sont les inventeurs les plus hardis de la Silicon Valley qui ont décidé d'exaucer le vœu prioritaire de toutes les wish lists : la conception DU ou de LA partenaire idéal(e). Au fil du temps l'on s'est bien rendu compte qu'il est vain d attendre l'homme ou la femme de sa vie. Soit l'on tombe sur un corps bien fait et une cervelle mal faite , soit le contraire . Alors , on s' est fait une raison . Plutôt que de se tourner vers la religion, on a placé sa foi dans les innovations technologiques . En misant sur le numérique, on a eu tout bon !

Ainsi , la réalité virtuelle , terrain d'élection d'amateurs de sensations extrêmes , est-elle aussi devenue le giron des romantiques exacerbés ou des libertins patentés. Grâce à un casque  High Tech équipé  de capteurs  ,  il est maintenant possible de s'immerger dans le monde parallèle de notre choix . L'on n'aura plus besoin de perdre son temps sur des sites de rencontre à la recherche de l'âme sœur . Il suffira de configurer le casque du futur pour que se matérialise , sous nos yeux, le compagnon ou la compagne de nos rêves . Fini le temps des couples en crise ! Voici venir le temps des rires et des chants . Dans cette île enchantée , ce sera toujours le printemps !

Pour les messieurs plus tactiles et moins portés sur l'interaction virtuelle , l'importation des Love Dolls made in Japan demeure la meilleure option .  II  n'y a qu'à voir comment les Nippons passent du bon temps auprès de ces plantureuses poupées de silicone à taille humaine , substitut idéal pour assouvir leurs fantasmes les plus coquins .  Il faut dire que l'on peut choisir non seulement leurs mensurations , mais aussi la forme de leur visage , leurs cheveux et , bien-sûr, leur habillement . De la collégienne en socquettes à la vamp ravageuse , l'éventail est large. On est loin de la poupée gonflable qui , dans le feu de l'action, risque de vous éclater entre les mains . La Love Doll a une durée de vie illimitée , de sorte que l'on peut même la léguer à ses héritiers en cas de départ précipité vers l'au-delà .

Enfin , pour les irréductibles , ceux qui sont réfractaires aux avancées technologiques et qui n'ont pas envie de jouer à la poupée , reste le rêve . C'est le plus sûr moyen de ne jamais être déçu . À quoi bon solliciter le secours des autres quand on a , à sa disposition,  la machine la plus puissante qui soit sur terre : l'imagination . Inutile d'invoquer dieux et déesses. La divinité, c'est votre esprit. Il vous connait par coeur et saura repétrir , tel Pygmalion, le visage de l'être aimé que vous avez croisé , un soir de mai, sur le sentier de votre vie , et qui restera à jamais gravé dans votre mémoire, cathédrale du souvenir,  comme le mot Ananké jadis inscrit  dans la pierre d'une sombre tour de Notre-Dame.


mardi 25 mars 2014

En attribuant à Dibutade l'invention du dessin , la légende origine la représentation iconographique dans un acte d'amour . C'est en voulant garder présente à son esprit l'image de son bien-aimé que la jeune Corinthienne en aurait esquissé  les contours sur un mur à partir de l'ombre portée du jeune homme . C'est donc la capture graphique de l'altérité qui a été le primum mobile de l'acte inaugurant la théorie de la représentation  . Dans le cas de Dibutade , l' altérité revêtait les traits de l'être aimé . Pour d'autres artistes , qu'ils soient peintres ou sculpteurs , elle allait arborer ceux de l'être vénéré ( dieu ou déesse ), craint ( monarque ou potentat ) ou , moins glorieusement  ,  fortuné ( riche notable ).

Mais si l'altérité fut l'objet privilégié de la représentation bidimensionnelle , elle n'en fut certes pas le seul   . Que ce soit Dürer , Rembrandt ,Chardin, et plus récemment Schiele ou   Bacon  , l'artiste , en tant que sujet , s'est aussi constitué comme objet propre de la représentation . La toile s' est fait miroir , mais miroir déformant. Il n'était aucunement question ,pour eux, de se livrer à une entreprise narcissique de glorification de l'ego. En s'anamorphosant, le sujet donnait plus à voir une  intériorité  souvent torturée et grimaçante,  qu'une extériorité souvent lisse  et apaisante. Il s'agissait moins de faire preuve d'un réalisme optique que d'un réalisme psychique.

Avec l'invention de la photographie , un grand pas en avant a été fait  . Non seulement le portrait a connu une consécration indubitable , mais l'autoportrait a aussi bénéficié d' un engouement sans précédent . Le tout premier autoportrait photographique vit d ailleurs le jour en 1840, soit une année après l'invention du daguerréotype . Il s'agissait d'une mise en scène loufoque d'un certain Hippolyte Bayard , autre pionnier qui s'était distingué par l'invention d un procédé malheureusement passé sous silence , car concurrencé par celui mis au point par Daguerre. Avec un sens de l'humour consommé, l'inventeur s'était  représenté en noyé, et avait légendé son cliché de la façon suivante " Oh ! instabilité des choses humaines ! Les artistes, les savants, les journaux se sont occupés de lui depuis longtemps et aujourd'hui qu'il y a plusieurs jours qu'il est exposé à la morgue, personne ne l'a encore reconnu ni réclamé. "

Monsieur Bayard serait fortement impressionné de constater à quel point son goût pour la mise en scène  a fait d'émules parmi nos contemporains . Avec la prolifération anarchique des smartphones , nous sommes tous devenus des chevaliers Bayard de la photographie. Le selfie , version moderne de l'autoportrait que l'on met en ligne sur les réseaux sociaux , se décline sous les formes les plus insolites . Censé , à ses débuts , représenter le visage du photographe en herbe tenant son  smartphone à bout de bras, le selfie  a , depuis , pris pour cible de choix des parcelles de l'anatomie jusqu'alors réservées à l'intimité .  La duckface grotesque ( bouche en cul de poule , pour ceux qui ne comprendraient pas ) s'est vu supplanter par des parties du corps jusque-là frappées de tabou . Ainsi le legsie ( photographie des jambes )  a dû battre en retraite devant le belfie ( photographie du postérieur ) . Certain(e)s vont même jusqu'à combiner legsie et belfie dans des mises en scène sportives très sophistiquées . Sans commentaire ...

On peut s'attendre au pire pour les mois à venir . Ne nous étonnons plus si l'industrie pornographique connaît un rapide déclin . La mise en ligne de selfies suggestifs  gratuits  ne peut que lui porter ombrage . Avec le selfie , tous les verrous sautent . On se croit tout permis . Sur des réseaux sociaux, on montre tout , n'importe où et à n'importe qui . On assiste au sacre de la femme décomplexée et exhibitionniste, à moins que ce ne soit plutôt celui de la femme décérébrée et  désillusionnée . Au fond , le selfie , n'est il pas un moyen comme un autre de tenter  de se rassurer et de reconquérir le sentiment d'exister au sein d une humanité désespérée ?