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jeudi 6 mars 2014

Ah! Si l'on devait réécrire les contes des mille et une nuits , Ali Baba serait bien en peine de pénétrer dans la fameuse grotte des quarante voleurs . Ces derniers auraient pris soin d'en protéger l'accès par une formule magique bien plus cryptique que la sempiternelle " Sésame , ouvre toi !". Ne serait-ce que parce que le nom de cette graine est dans toutes les bouches depuis la découverte de ses vertus multiples , et qu'elle est accommodée à toutes les sauces dans les recettes de cuisine diététique...Pour faire main basse sur les trésors de la caverne miraculeuse , il faudrait donc se lever tôt et ne pas avoir peur de se coucher tard car , à moins de posséder des dons divinatoires , la détermination de la combinaison secrète relèverait du domaine de l'impossible .

Pas besoin d'aller en Perse , d'ailleurs , pour prendre la mesure  de la subtile sophistication que l'élaboration d'un mot de passe requiert . Comme si nous n'en avions pas assez de mémoriser le code de notre carte bancaire , ou celui , non moins vital, du portail de notre immeuble, notre mémoire est mise à contribution pour assimiler de nouveaux mots de passe chaque fois que l'envie nous en prend de naviguer sur la Toile . Et, bien évidemment,  la sobriété n'a pas droit de cité . Il faut faire preuve d'inventivité et surtout persévérer afin que le password créé soit finalement agréé par le haut conseil de sécurité , sous peine de devoir recommencer . Que l'on soit membre d'un réseau social , client d'un e-commerce , participant d'un jeu en ligne ou d'un forum, il nous faut sans cesse montrer patte blanche sous peine d' être privé du droit d'entrée dans la vaste communauté virtuelle. Et à chaque site visité correspond un identifiant assorti d'un mot de passe bien particulier . Autant dire qu'une faille de notre mémoire peut nous être fatale .

Heureusement, pour nous éviter certains affres et récupérer le fameux sésame, notre adresse électronique nous offre un refuge imparable . Grâce à elle , nous pouvons nous autoriser certains oublis . Elle est un peu le Shazam de Captain Marvel: comme pour le super-héros, elle nous dote de pouvoirs prodigieux , mais il arrive malheureusement que nous n'en ayons pas toujours la maîtrise . Les portes qu'elle nous ouvre ont parfois bien du mal à se refermer .  Et on a beau invoquer le  Génie de la lampe d'Aladin , rien ne parvient à  endiguer le flot incessant de courrier indésirable qui inonde notre messagerie . Quoi qu'il en soit, sans son précieux secours , nous serions bien obligés de battre en retraite , car elle tient le rôle de sentinelle dans la forteresse de mots de passe qui assurent la sécurité de nos pérégrinations virtuelles.

Sécurité, enfin , si l'on veut... Car mot de passe ou pas , certains bandits n'y vont pas par quatre chemins : ils se font un plaisir d' entrer par effraction dans notre caverne d'Ali Baba , soit pour y dévaliser notre compte en banque , soit pour y espionner notre intimité . Vol ou viol , le crime demeure trop souvent impuni , d'autant que les brigands agissent toujours  à distance et sans éveiller la moindre méfiance . De vrais prestidigitateurs ! Ni chapeau ni lapin. Abracadabra! il leur suffit d'un clic de souris  pour que tous nos avoirs se volatilisent  sans laisser aucune trace .

Comme quoi les mots de passe , ça ne résiste pas aux tours de passe passe . Alors à quoi bon passer son temps à en changer constamment ? D'autant qu'au sein de la compagnie des caractères alphanumériques , il y a de quoi faire . Surtout depuis que les majuscules viennent d'entrer dans la danse et font un pied de nez aux minuscules qui, auparavant, menaient la ronde . Le pire est à craindre . Faisons un signe de croix en espérant que les diacritiques souscrits et suscrits soient proscrits de cette cavalcade infernale . Quant à la ponctuation, si elle s'y met aussi , nous voilà bons pour Charenton ! Il ne nous restera plus qu'à nous empiffrer  de graines de sésame pour fortifier notre mémoire et à crier "Ô Shazam, Ô désespoir" ...



vendredi 28 février 2014

Les préjugés ont la vie dure. Il faut , quelquefois, faire fi de la doxa et se lancer dans l'action pour que finalement les écailles nous tombent des yeux . Moi, par exemple , il a fallu que je me jette à l'eau , au sens propre et figuré, pour qu'enfin soit réhabilitée, à mes yeux, cette activité sportive que l'on nomme communément aquagym. Bien trop souvent , la réputation de cette pratique est ternie par les images véhiculées par les médias . Surtout par l'un des accessoires supposés lui être intimement lié : la frite ! Non pas le bâtonnet de pomme de terre cuit dans l'huile bouillante , mais l'instrument en mousse cylindrique réputé insubmersible . Oui, la frite , par sa forme grotesque et sa longueur démesurée ,  nuit gravement à l'image que le non-initié peut se faire de cette discipline sportive . Cette dernière souffre , en outre , d'un second préjugé tout aussi regrettable : elle n'attirerait qu'un public d'une tranche d'âge plutôt élevée  ...

Faux et archi-faux ! Tout d'abord parce que l'objet flottant aux couleurs variées ne constitue nullement le support indispensable  à l'exercice de cette activité . Il peut ne pas être utilisé du tout s'il ne s'inscrit pas dans le projet pédagogique du maître-nageur . Ensuite parce que les adeptes, pour l'essentiel féminines,  de cette pratique, sont de tout âge et de tout horizon , pourvu qu'elles ne soient pas sujettes à des crises d'aquaphobie . Ce dont on ne parle jamais et qui devrait accroître le prestige des aquagymnastes, c'est le défi qu'elles relèvent chaque fois qu'elles s'immergent dans une eau dont la température est loin d'avoisiner celle des mers tropicales . Il faut être , en effet , fort courageuse en plein hiver, pour oser affronter , non pas vents et marées , mais l'élément aqueux fortement chloré dont le contact glacial hérisse le poil sans parler du sourcil . De deux choses l'une: soit, par souci d'économie,  les gérants de clubs ont décidé de serrer les cordons de la bourse en chauffant moins l'eau des bassins , soit , animés  par un soudain altruisme,  ils ont estimé que la chaleur était néfaste à la fermeté du tissu épidermique .


Quoi qu'il en soit , ce n'est pas la faible étendue du maillot de bain  "une pièce" qui peut préserver le corps de l'inévitable choc thermique , une fois franchie l'étape du pédiluve et de la douche préliminaire . Car il est certaines contraintes auxquelles  l'on ne saurait se soustraire , sous peine d'encourir la désapprobation générale . Le port du bonnet en est une  . Enfin, du couvre-chef , devrait-on dire . Car s'il est interdit à la chevelure d'entrer en contact avec l'eau , hygiène oblige , toutes les fantaisies sont permises du moment que la masse capillaire demeure cachée à la vue . De la charlotte peu seyante à la surchaussure peu attrayante  , tout y passe . Les plus élégantes , dont j'ai la faiblesse de faire partie , ont opté par un bonnet en lycra bicolore agrémenté d'un camélia sur le côté . Histoire de faire flotter sur l'onde bleutée l'ombre de Coco et du style art déco .

Mais gare à celles qui pensent que leur  coquetterie leur épargnera de fournir certains  efforts . Le maître-nageur veille à instaurer une cadence soutenue , et la discipline est de rigueur . Il encadre son escadron de nageuses avec une énergie redoutable : montée de genoux, sauts groupés, enchaînements talons -fesses, torsions du bassin, rotations à 360 degrés,  battements de jambes , pieds en flexion puis en extension, moulinets de bras , chaque membre est sollicité avec intensité . Et un savant dosage entre l'amplitude des mouvements et leur fréquence s'impose. Il faut dire que l'éventail est large entre les activités proposées . Aqua slim, Aqua crunch,  aqua running, Aqua fitness, Aqua punching, aquacycling , Aqua palming,  et même Aqua Zumba, il y en a pour tous les goûts !

Vous comprendrez , qu'après 45 minutes de gesticulations effrénées sur les rythmes endiablés  de techno trance ( au cas où l'on aurait une subite envie de piquer de la tête ), point d'électrocardiogramme plat ! Les aquagymnastes ne manquent pas d'avoir la frite ! Et pas besoin de l'avoir sous les bras pour faciliter le travail des sacrosaints abdos !  Les irréductibles que nous sommes sont prêtes à avaler la tasse plutôt que d'être taxées de mauviettes . C'est que nous avons une haute idée de nous-mêmes . Interdiction de nous apitoyer sur notre sort! Il va sans dire que les grimaces sont proscrites. Alors , de grâce , bannissons à jamais de l'inconscient collectif cette image dégradante de l'objet oblong  en mousse auquel s'agrippent des flopées de ménopausées ! Et rendons , une fois pour toutes , à la gymnastique aquatique , ses lettres de noblesse! Elle en a bien besoin.

mardi 25 février 2014

On croit souvent à tort que le virtuel , par son aspect immatériel, est le paradis sur terre , une version ouatée du monde réel où l'on côtoie des anges et qui nous préserve des accrocs de la vie. C'est oublier trop vite que les anges en question ne sont que trop humains , et qu' en leur sein se cache une catégorie non négligeable de désaxés , escrocs en tout genre et pervers de tout poil. D'une part, parce que , en dehors de l'usage purement professionnel que l'on peut faire d'internet, il est assez rare de ne pas avancer masqué. L'internaute fait sienne la devise de Descartes " larvatus  prodeo" , et dissimule son identité sous autant de pseudos qu'il lui chaut . D'autre part, parce que la Toile , de par son étendue insondable, est un terrain de jeu idéal  pour les  esprits malins , dans les deux sens du terme, désireux de jouer des tours aux plus naïfs d'entre nous . Du script kiddie au hacker professionnel ,  les pirates sont légion.

Il en découle que ce paradis artificiel devient vite un enfer si l'on ne s'entoure pas des précautions nécessaires . Il faut être inconscient , en effet , pour ne pas s'armer d'un pare-feu , bouclier indispensable pour lutter contre les intrusions malveillantes . Sans lui,  les cyber-attaques peuvent être fatales . On frémit rien qu'à songer aux menaces qui planent sur nos chères données . Virus, ver, cheval de Troie ou bombe logique , le hacker ne recule devant rien . Dans le royaume des ondes électroniques ,  on assiste à une  guerre bactériologique  d'une ampleur inégalée .  Si vous n'y prenez pas garde , votre ordinateur se transforme en " machine zombie ", pilotée par un pirate de haut vol envoyant à vos contacts des messages allant du plus vénal au plus obscène . Les plus crédules , quant à eux , font les frais du phishing , en accordant leur confiance à des sites clones créés dans le seul but de s'approprier leurs informations bancaires .

Cet espionnage électronique est d'ailleurs une manne pour les  époux trompés. Plus besoin de recruter de détectives pour prendre en filature un conjoint suspecté du délit d'adultère , ou de soumettre l'infidèle au test du polygraphe . Toute l'astuce réside dans le décryptage du mot de passe de la messagerie , pièce maîtresse sur l'échiquier de la vérité . Or les trois questions secrètes censées monter la garde, comme le tricéphale Cerbère , à l'entrée du Panthéon  de vos confessions , n'ont  aucun secret pour qui partage votre vie. La faute en est aux analystes-programmeurs qui font hélas preuve, en cette occasion,  d'un manque cruel d'anticipation . Il faut être amnésique pour ne pas se souvenir du nom de votre animal préféré  ou de la ville où vous êtes né(e)...

Autre danger , et non des moindres, le pillage éhonté des images auxquels se livrent des internautes peu scrupuleux. La tentation est grande , pour certaines d'entre nous , d'exposer leurs  appâts sur les réseaux sociaux , histoire de faire grimper leur cote de popularité . Mais quelle n'est pas leur stupeur quand elles apprennent , un jour ,  qu'elles figurent sur certains sites dits spécialisés, attisant la lubricité de mâles en mal d'activité sexuelle. De starlette à porn star, elles font le grand écart . Une gloire dont elles se seraient probablement passé...

Il est un autre fléau dont on se passerait volontiers  avec délices , même s'il est moins nocif que les précédents . L'envoi de spams! Quand on connaît l'origine du mot (marque de corned beef en conserve ) , on comprend mieux pourquoi ce mets peu ragoûtant nous reste sur l'estomac . Ce pourriel publicitaire nous pourrit bien la vie à nous , les femmes , surtout lorsqu'il affiche un sexisme non politiquement correct tant il vise essentiellement un public masculin . Car a -t-on décidément besoin de Viagra? Ressentons-nous  l'envie  de tchatter avec des créatures dénudées via webcam? Encore un champ d'action où les Femen feraient bien de s'illustrer ...

Moi qui vous parle , je fus victime récemment  , ainsi que des millions d'autres blogueurs , d'un bug sans précédent dont la virulence a engendré une semaine de nuits blanches dans la communauté informatique Google . La cause de cette panique généralisée fut l'ajout d'un widget à l'allure angélique , mais possédant une force de frappe égale à celle d une arme de destruction massive . Imaginez le désarroi de millions de Geeks privés du droit d'accès à leur blog, pestant dans toutes les langues contre ce virus qui leur faisait un pied de nez en ouvrant des fenêtres pop-up en cascade. De quoi perdre son sang-froid ! Cela a eu ,au moins, le mérite de me dissuader de jouer les apprenties sorcières à l'avenir, et de contempler les effets dévastateurs du virtuel dans le réel .  Rien ne sert de bloguer, il faut sauvegarder à point !

vendredi 14 février 2014

Quand s'ouvre , à notre naissance , le livre de notre vie , on ne sait jamais combien de pages blanches l'on aura à noircir à l'encre de notre expérience.  Certains d'entre nous n'auront que quelques  chapitres à inscrire dans l'ouvrage de leur existence. Ainsi en aura décidé le Tout-Puissant. D'autres jouiront du  droit de conter leur histoire en plusieurs volumes  , d'en raturer ou même d'en déchirer les pages , afin d'en faire bénéficier leur descendance .Plus rares sont ceux  qui auront le privilège de composer leur vie comme un poème . Ce sont les artistes  . Ce n'est pas de la prose qu'ils nous proposent , mais des vers aux rimes croisées ou embrassées qui embrasent notre âme.

Au sein de la communauté artistique, peintres  et  sculpteurs jouissent d'un statut à part.C'est dans la matière qu'ils impriment leurs désirs inconscients,  leurs obsessions, leurs pulsions de vie ou de mort . Par la couleur et la forme , ils nous  donnent à voir leur vision du monde . Libre à nous de la faire nôtre ou de la rejeter . Si leur oeuvre, de par sa matérialité,  perdure dans le temps, il n'en est pas de même pour celle des musiciens, comédiens ou danseurs . Artistes de l'éphémère par excellence , leur art est subordonné à une temporalité des plus restreintes : la durée de la représentation. Leur médium est le corps , leur patrie , la scène . Plus que tout autre artiste, ils n'ont pas droit à l'erreur. Une toile , une sculpture  peuvent  être détruites si elles ne sont  pas jugées satisfaisantes par leur créateur. Une représentation, non.

Pour notre plus grand bonheur , l'asservissement du spectacle artistique à des contraintes spatiotemporelles bien définies nous le rend encore plus intense.Car pour les véritables artistes, ce qui pourrait sembler une entrave n'est,en fait,que le tremplin indispensable à un dépassement de soi. Leur interprétation transcende l'espace et le temps en nous transportant dans des contrées imaginaires avec, pour terreau , une partition, un texte ou une chorégraphie .Plus que les plasticiens, ils font résonner en nous nos cordes les plus sensibles . Sans doute parce qu'ils utilisent un langage bien particulier . Celui de la musique: celle  des notes , des mots, mais aussi celle des corps . Car la danse ,en tant qu'art, ne se résume pas à un enchaînement  de mouvements mécaniques  sur une toile de fond sonore . Elle nécessite une totale fonte des corps dans le creuset de la musique pour que le miracle s'accomplisse .

Ce miracle , c'est l'émotion. C'est ce bouleversement de notre être qui nous submerge sans crier gare et nous régénère . Comme le surgissement du grand amour , éblouissant , violent , mais jamais destructeur . Comme la révélation fulgurante de la foi .Rares sont les danseuses  qui parviennent à ébranler les fondations de notre être pour nous faire savourer ces instants de grâce . Seules celles qui ont l'intelligence de détourner notre attention de leurs prouesses techniques y excellent.  Elles nous rappellent qu'il ne faut pas confondre  l'art du ballet avec l'art circassien . Trop de spectateurs , il est vrai, se comportent à Garnier comme au cirque: ils applaudissent des fouettés comme on applaudirait les figures d'un acrobate...

  Il serait grand temps de rendre grâce à ces ballerines exquises, ces divinités trop souvent oubliées dès que le rideau tombe . Comme les astres la nuit, elles illuminent notre parcours  et font reculer les ombres parfois tentées d'obscurcir notre vie. Mais à quel prix ! le profane l'ignore. Pour être disciple de Terpsichore, il faut se consacrer corps et âme à son art, au mépris de la douleur physique , et parfois même morale.  Quand on danse, on se doit d'être plus qu'humain, on doit tendre vers le divin. Afin de conjurer la mort , afin de laisser à la postérité le soin de continuer le livre de notre vie.

dimanche 9 février 2014


Il est certaines soirées , à l'Opéra Garnier,  destinées à  laisser une empreinte plus profonde que d'autres dans l'argile de la mémoire . Certes, la magnificence du lieu est déjà une promesse : le marbre de l'escalier d'apparat, les mosaïques des parterres, le bronze ciselé des torchères rassasient l'œil par leur raffinement . L'immensité du grand foyer , dont le parquet de miel contemple le ciel constellé de  fresques, comble notre désir latent de grands espaces , si difficile à satisfaire dans la jungle urbaine de notre quotidien. Nous nous laissons aller  à évoquer des bals grandioses , des crinolines tournoyantes et des chapeaux claques, jusqu'à ce qu'une sonnerie interrompe brusquement notre rêverie . Il est temps de regagner notre siège . Là, face à nous , un imposant rideau de velours dissimule la scène . Notre regard s'attarde sur les boiseries dorées des lyres avant de s'élever vers le lustre monumental , astre solaire éclipsant  le plafond de Chagall . Puis la lumière s estompe , et le silence gagne en intensité , rompu quelques instants plus tard par un crépitement d' applaudissements . Le chef d'orchestre fait son entrée et se hisse à la proue de son vaisseau de cuivres  , de cordes , de  bois et de percussions . Le spectacle peut commencer ...

D'emblée , les premiers accords nous donnent le ton de la soirée . Le rideau est à peine levé que l'on sait déjà si , oui ou non, notre cœur fera moisson d'émotions . Hier, comme tant  d'autres fois auparavant , j'avais pris place au premier rang , côté cour .  Pour ressentir,  au plus profond de mon être , les vibrations de l'orchestre lové , en contrebas, dans ce berceau en bois sombre injustement nommé "la fosse ". J' admirais la harpe solitaire,  qui dressait sa silhouette altière au-dessus d'une forêt d'archets , quand soudain les poumons de l'orchestre se gonflèrent et un vent slave balaya la salle d'une rafale . Un deuxième rideau de scène , où s'inscrivaient deux initiales monumentales , s'offrit à ma vue : E.O, Eugène Onéguine . Mais ce qui retint plus particulièrement mon attention, ce fut l'épigraphe en couronne encerclant les deux lettres :" Quand je n'ai pas d'honneur , il n'existe plus d'honneur ". L'honneur ! Tant d'hommes ont péri en son nom. Et tant de femmes l'ont perdu , en se donnant par amour à ceux qui ne les méritaient pas . Dans le poème de Pouchkine, un homme , Lenski, sacrifie sa vie pour sauver son honneur, et une femme , Tatiana, sacrifie son amour pour ne pas perdre le sien .

Comme un oiseau de mauvais augure , le mot fatal plane au dessus des destinées des personnages qui s'entrecroisent . La première scène du ballet nous plonge dans l'atmosphère champêtre de la campagne russe. Dans un jardin , la juvénile Tatiana  parcourt avidement des yeux un livre de maroquin rouge .  Trop absorbée par sa lecture, elle ne prend pas part aux amusements de sa sœur Olga et de ses compagnes . Sa robe de mousseline rose, agrémentée  d'un ruban de satin et brodée de pétales de fleurs , lui confère  fraîcheur et naïveté . L'amour, jusqu'à présent , ne l'a pas encore ébranlée . Elle ne connaît que celui peint dans le roman qui la captive. Mais le destin lui tend  subitement un miroir dans lequel se reflète le visage d'un bel inconnu.  Soudain son cœur se met à battre .Ce jeune aristocrate , c'est  Eugène Onéguine, ami de Lenski.

À la scène suivante, le décor change . Nous assistons aux premiers émois amoureux de la jeune fille rêveuse . Retirée dans sa chambre, elle  fait glisser fébrilement sa plume sur la lettre qu'elle destine à l'élu de son cœur . La musique de Tchaikovsky retranscrit bien l'aveu poignant de cette passion qui la bouleverse et la transfigure . Enhardie par son innocence,  elle joue le tout pour le tout . Elle ne connaît pas encore les artifices de la séduction que d'autres déploient pour prendre dans leurs rets leur proie. Puis elle s'endort . Une lumière bleutée vient baigner sa chambre , et nous entrons de plain-pied dans le royaume de ses songes .  Onéguine traverse un miroir pour venir la rejoindre , et la jeune fille , sans aucune retenue , laisse parler son corps dans un pas-de-deux passionné.

Si la tonalité du premier acte est empreinte de  légèreté  et d'espérance , celle du second nous plonge dans le cynisme et le drame. Tatiana voit ses espoirs déçus  quand Onéguine, drapé dans un mépris à peine déguisé, déchire la lettre qu'elle lui a fait parvenir et la lui tend . Son irritabilité est perceptible quand elle essaie de l'émouvoir par sa sensibilité dans une variation aérienne pleine de poésie . Le beau ténébreux , faisant fi de la morale , pousse l'audace jusqu'à séduire , dans une mazurka endiablée , la propre sœur de Tatiana , Olga , par ailleurs promise à Lenski. Ce dernier , blessé dans son amour- propre , provoque Onéguine en duel pour réparer l'outrage . Il y perd la vie.

Une ellipse temporelle de dix années nous sépare du dernier acte . Nous voilà à Saint-Petersbourg, dans le salon d'apparat du Prince Gremine. Tatiana , somptueusement vêtue de rouge , fait une apparition remarquée au sein des convives du bal . Elle possède l'assurance et la force tranquille du haut rang que son union à Gremine lui a apporté . Onéguine fait partie de l'assistance . Lui naguère si hautain et distant  semble en proie à un étrange tourment . La vue de Tatiana a réveillé en lui des sentiments qu'il croyait à jamais éteints . La passion le submerge et le conduit à écrire à la femme qu'il avait rejetée une lettre exaltée . Comme Tatiana dix ans plus tôt , il joue le tout pour le tout . Le face-à-face final nous donne à voir un pas-de-deux tumultueux, où les deux partenaires donnent libre cours à leur fougue jusque-là réprimée . L'impétuosité des portés nous fait chavirer de bonheur . Nous sommes envoutés par cette chorégraphie qui a su insuffler aux corps les élans brûlants de la passion.   Mais le destin à décrèté cette union impossible . Il est trop tard .Tatiana appartient à un autre . Au nom de l'honneur , elle congédie le seul homme qu'elle a jamais aimé. Le rideau pleure comme nous quand il se referme sur la jeune femme au visage inondé de larmes .

Oui, assurément,  il est certaines  soirées , à l' Opera Garnier , qui ravivent des flammes mal éteintes et font remonter à la surface des souvenirs enfouis . La soirée d'hier fut l'une d'entre elles . Parce que dans notre vie, nous avons toutes fait l'expérience d'un amour maudit et que nous avons toutes rêvé de prendre notre revanche un jour . Des Onéguine , il y en a un peu partout. Pas seulement en Russie.  Alors Tatiana , c'est un peu notre grande sœur , notre compagne de douleur dans notre cheminement tortueux et torturé vers le  bonheur . Dans le miroir qu'elle nous tend , c'est notre passé qui défile , depuis notre adolescence nourrie d'espérances jusqu'à notre présent bien trop souvent amer . Et on l'admire , parce qu'elle a le courage de dire non à celui qui croit qu'on peut rapiécer un cœur après l'avoir lacéré  , parce qu'elle  sait qu'il n'y a pas de plus grand amour au monde que l'amour que l'on se doit de porter à soi-même.

mercredi 5 février 2014


C'est bien connu . Les concierges sont les personnages les moins égocentriques qui soient sur terre. Elles nous sont tellement dévouées qu'elles ne manquent jamais une  occasion de s'enquérir de notre état de santé et de celui de nos proches . Surtout quand ces proches sont subitement devenus lointains , d'ailleurs. Elles ont du nez pour cela . L'inquiétude se lit sur leur visage . Monsieur serait-il souffrant? On ne peut rien leur cacher . Elles sont aussi rusées que des renardes. Elles feignent de ne rien savoir pour que vous accouchiez de la vérité douloureuse . Elles ne savent pas qui est Socrate , mais la maïeutique , elles la pratiquent à l'envi. Tout comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir .

C'est qu'elles maîtrisent l'art de la conversation. Pas de temps mort avec elles . Elles passent du coq à l'âne , et de l'âne à tous les autres animaux de la ferme . On ne peut pas en placer une . C'est sûr qu'elles s'ennuient de vivre seules dans leur loge . On dirait que le célibat est consubstantiel à leur profession. Ou le veuvage . Elles vouent , dans ce cas ,un culte immodéré à leur époux défunt . Quoi qu'il en soit , leur loge , en plus d'être un sanctuaire , est un véritable grenier où elles passent leur temps à séparer le bon grain de l'ivraie dans le flot de visiteurs de l'immeuble. Et comme du grenier au moulin , il n y a qu' un pas , ce serait une injustice de ne pas leur décerner la palme d'or des meilleurs moulins à paroles de la création.

 Avec elles , vos secrets seront les moins gardés . Même si elles se vantent d'être muettes comme des tombes , elles ne peuvent résister à l'envie de vous faire partager les  bonheurs et malheurs d autrui. "Vous n'avez pas su ? Madame X est partie avec son chauffeur. Elle ne supportait plus la jalousie de Monsieur  X . Surtout depuis qu'il la soupçonnait de le tromper avec le masseur du Plaza. Un comble!" . Le linge sale , elles connaissent. Et les ordures aussi , au sens propre et figuré. Elles sortent bien vos poubelles , alors qui peut les blâmer de jeter un coup d œil ,de temps en temps, à leur contenu ? Mais attention , les containers jaunes , pas les autres . Il ne faut pas se salir les mains . Le tri sélectif , ça a du bon . Ça permet de rentrer dans la vie des gens sans qu'ils s'en aperçoivent. Pas dans la vie de tous les gens , ça non ! Ceux qui leur paraissent louches , qui ne disent jamais bonjour , et qui refusent de leur confier leurs clés.

Rien à voir avec vous ! Ne mélangeons pas les torchons et les serviettes ! Vous n'avez rien à vous reprocher . Pas comme certains . Heureusement qu'elles ont l'œil , en plus d'avoir du nez . Elles sont pourvues  d'un sens de l'observation inné. Leur loge n'est pas seulement un cabinet de curiosité ( sans 's', malheureusement  ), c'est aussi le vaisseau amiral de la flottille des copropriétaires , où elles occupent le poste de vigie . Elles scrutent l'horizon , et sonnent le clairon quand un intrus ose jeter l'ancre dans leurs eaux territoriales . Halte là! Les colporteurs ne sont pas admis ! Et les témoins de Jéhovah non plus . Nous sommes dans une société laïque , monsieur ! Allez donc prêcher la bonne parole ailleurs .

Ceux qui jouissent de leurs faveurs , il faut bien le dire , ce sont les pompiers et les postiers . Surtout les pompiers . C'est qu'ils ne font pas souvent le déplacement . Alors, quand ils viennent frapper à leur porte , elles s'empressent de les renseigner et de leur tirer les vers du nez . Ils ne viennent en général que pour secourir des accidentés . Rarement pour les incendies . Pas de danger ! Toute concierge qui se respecte veille à ce que les robinets de gaz soient bien fermés . Pour cela elles font bon usage de vos clés . Il suffit que vous ayez le dos tourné pour qu'elles viennent vérifier que vous avez bien éteint tous les feux . Quand je vous disais qu'elles étaient dévouées ...


Quant à leurs loisirs , à part la télé , rien de bien particulier . Elles sont fans des télé-crochets . Les chanteurs de variétés , elles ne peuvent s'en passer . Ils figurent dans le panthéon de leurs stars préférées . Elles achètent" Voici "pour suivre leurs aventures , et ont souvent la larme à l'œil en zieutant  les baisers volés.  Les séries policières aussi ont leur faveur ,  pour le suspense . Pas les films américains où des acteurs sous stéroïdes courent après les assassins . Leur genre d'homme, c'est plutôt l'inspecteur Derrick. C'est un cérébral , lui . Et il a de la classe. Les derniers loisirs qu'elles s'octroient , c est le retour au pays , j'entends par là la péninsule ibérique . Elles y restent un mois . Et vous , ça vous fait aussi  des vacances . Car , il faut bien le dire, on les aime bien , les concierges , mais , comment vous dire , parfois, il nous prend comme une envie de leur asséner un grand coup sur la tête , comme dans les dessins animés, pour qu'elles n'ouvrent plus leur clapet .Car les histoires des voisins , il faut bien le dire, on peut vraiment s'en passer. On en a assez de nos propres histoires , alors celles des autres...




samedi 1 février 2014


À chaque époque , sa poupée . À l'orée du XXe siècle , la douce Bleuette était la coqueluche des petites  filles, qui mettaient à contribution leurs grandes soeurs pour la réalisation de son trousseau . Plus qu'un simple jouet , Bleuette se voyait donc investie d'une mission : initier les jeunes filles aux travaux d'aiguille . Un quart de siècle plus tard , le rôle dévolu aux poupées évolue. Bleuette est définitivement remisée dans les malles à souvenirs,  et la pulpeuse Barbie reçoit les honneurs du red carpet. Avec ses mensurations à faire damner un saint , la poupée mannequin sexy invite désormais  ses propriétaires à délaisser leur corbeille à ouvrage afin de vouer un culte à leur corps  . Quelques décennies plus tard , une armada de poupées grimées et grimaçantes inonde les vitrines , héroïnes maléfiques  de nos époques troublées . Nos aïeules doivent se retourner dans leur tombe . Pouvaient-elles imaginer que l'instrument de l édification morale de leurs descendantes serait à ce point perverti ?

Il faut dire qu'en leur temps , le mal ne jouissait pas d'un tel prestige . Dark Vador n'était pas encore né. Les fillettes lisaient " La Semaine de Suzette" , un hebdomadaire prônant les sacrosaintes valeurs morales et religieuses de la IIIe République . Pour rassurer les parents des chères têtes blondes, "Tante Jacqueline" , chargée de répondre au courrier des lectrices en herbe ,  insistait sur la visée éducative du magazine : "Aider à semer dans la jeune âme de votre enfant la bonne graine ." Après cela , plus aucun souci à se faire quant aux modèles de vêtements proposés pour habiller Bleuette . Rien de bien affriolant ! Entre les  robes de broderie anglaise et les casaques à nœuds flottants , les bérets de  satin ou les charlottes en dentelle , il y avait juste de quoi faire fantasmer un enfant de chœur .  Et encore ...


Il est vrai que l'on croise encore, dans les environs de l'église d'Auteuil, les dignes descendantes de la divine Bleuette . On les reconnaît à leur raie sur le côté , leur robe à col Claudine , leur manteau en mérinos bordé de velours et leurs chaussures vernis. Je suis certaine que leurs mères doivent veiller , comme "Tante Jacqueline ", à ce qu'elles observent  les principes de la bonne éducation bourgeoise . Il est aussi fort probable qu'elles demandent à leur progéniture de détourner les yeux quand , par hasard, elles ont le malheur de passer devant une vitrine de jouets ou trônent les nouvelles égéries des pré-adolescentes. Maquillées comme des voitures volées  et  perchées sur des stilettos aux talons démesurés, les héritières de Dracula et de Frankenstein  attirent le regard des passants par leurs postures provocantes tout autant que leurs tenues flashy outrageusement moulantes .

Vade Retro Satanas! , doivent grommeler les mères effarées en se faisant le signe de croix. Mais le Malin est plus fin qu'on y pense . Ses diablesses ont plus d'un tour dans leur sac . Grâce à leur suppôt indéfectible , le marketing  , elles s'immiscent sous toutes les formes possibles dans les boutiques les plus variées . Supermarchés , papeteries , librairies , magasins de confection,  confiseries même , elles font un véritable carnage , et poussent le vice jusqu'à  voler la vedette aux héroïnes de séries télévisées en figurant en tête de gondole des boutiques de DVD. Le côté obscur de la force fait fort ! Très fort! Car il prend maintenant pour cible les fillettes ingénues et instillent en elles une fascination pour le monstrueux .

 Remarquez , on le côtoie tous les jours , le monstrueux . Les médias s'en repaissent . La liste est longue des atrocités commises sur les enfants :.bébés congelés , adolescentes séquestrées, enfants-soldats embrigadés , nouveaux-nés décharnés, sans parler de tous ces malheureux massacrés dans des guerres dont ils ne comprennent pas le sens;  l'horreur se répand comme une traînée de poudre sur tout le globe . Alors l'on comprend que Bleuette soit passée aux oubliettes  et que Barbie songe aux barbituriques  face à des goules bien gaulées . Et les garçonnets dans tout ça ? Sont-ils oubliés ? Que nenni! Dark Vador règne en maître . Certes, sa cape sent  la naphtaline , mais grâce à son masque, Il n'a pas pris une ride .  Alors je gage que  son charme va opérer pour des années lumières encore , et qui sait, la théorie du genre fera peut-être qu'il fascinera les enfants de tout âge et de tout sexe confondu. Seul l'avenir nous le dira...

samedi 25 janvier 2014

On ne sait pas le bonheur que l'on a quand on est en bonne santé . On devrait toujours garder en mémoire cette antienne . Il a suffi d'une foudroyante douleur intercostale pour que ma petite vie dérangée soit contrainte soudainement de rentrer dans les rangs . Il faut dire qu'elle avait mal choisi son heure , cette douleur . En pleine nuit , rendez-vous compte ! Je lui aurais pardonné une intrusion diurne si elle m'avait permis d'écourter  les débordements discursifs d'une concierge trop zélée . Mais qu'elle vienne sonner le glas de ma tranquillité alors que je suis dans les bras de Morphée , quelle perversité !

Le pire,  c'est qu'elle fut assez sournoise pour faire flamber mon imaginaire  . Il faut dire que mon esprit inventif fait feu de tout bois .  Il  lui suffit d'une étincelle pour qu'il s'enflamme à tout va . Et quel meilleur combustible que la douleur . Elle alimente  les suppositions les plus extravagantes . Rein dilaté , vésicule biliaire encombrée , côlon diverticulé,   estomac ulcèré, vessie perforée ; sans oublier l'appendicite et la hernie , qui figurent au palmarès des maux  les plus familiers. Étrangement , le seul moment où nos viscères se rappellent à notre bon ( plutôt mauvais , d'ailleurs ) souvenir , c'est quand ils se mettent à interpréter  la révolutionnaire dans la salle de concert abdominale . On est alors bien obligés de les écouter , et de vite se mettre au diapason sous peine de représailles tonitruantes .

Mais pour cela , encore faut-il choisir le bon diplomate pour négocier avec leur chef d'orchestre et la convaincre d'aller jouer sa musique ailleurs . Les "aie" et les "ouille" , on s'en passe . C'est là que les choses se gâtent . Car, pour la tenir en échec , il faut user d'une finesse et d une intuition olympiennes. On regrette parfois le temps où l'on consultait les oracles pour nous guider sur la voie de la guérison . Imaginez la Pythie en transe dans le temple d Apollon , débitant ses prophéties dans un langage abscons. Les Grecs médusés  avaient à leur disposition des prêtres expérimentés pour rendre intelligibles les propos de la possédée . On ne peut pas en dire autant de nous . Face aux médecins de notre temps , nous sommes souvent désarmés à l'écoute des diagnostics savants qu'ils élucubrent.

  Surtout qu'ils n'accordent pas toujours leurs violons . Quand on a la mauvaise idée d'en consulter deux différents , les ennuis ne font que commencer .  La Pythie , elle , était unique . Il n'y avait donc pas à tergiverser . La multiplicité des praticiens , quant à elle , nous engage à nous disperser , surtout quand l'origine du mal n'est pas décelée . Reste ensuite à jouer à pile ou face pour accéder à la vérité . Moi , par exemple  , je fus l'enjeu d une lutte acharnée entre le partisan d'un colon malmené  et celui d'un rein fatigué, jusqu à ce que des examens plus poussés  viennent réfuter les deux thèses avancées .En attendant, la douleur , elle , ne se faisait pas oublier . Pour les départager , j'optai pour la solution de la dernière chance : les Urgences !

Bien mal m'en a pris ! Les Urgences,chacun sait,  on les fuit comme la peste . On sait quand on y rentre , mais jamais quand on en sort . À l accueil , les hôtesses sont avenantes et compatissantes . Elles cochent certaines cases d'un billet doux que l'on doit ensuite remettre à un employé préposé au guichet des admissions . Il inscrit notre identité dans une base de données  et nous demande qui prévenir ... au cas où les choses venaient à se corser. Il ne nous reste plus alors qu' à prendre place sur l'un des nombreux sièges en bois  ou en fer ( le confort n'est pas proposé en option ) , et attendre que les choses se passent .

À vrai dire , on ne s'ennuie pas . Le spectacle est varié , et les intervenants , de tout âge et de tout horizon . À un certain moment , j'ai cru m'être trompé d'endroit  quand une brigade de policiers ,encadrant un individu menotté, a fait irruption . Ils n'ont pas eu à patienter , eux . Les délinquants ont priorité sur les citoyens respectueux de la loi . De quoi méditer .C'est aussi là que  j'ai  eu tout loisir d'admirer les uniformes des plus beaux spécimens bodybuildés de la capitale . Pas besoin de s'inscrire dans une salle de fitness pour jouer les voyeuses . Aux Urgences , c'est gratuit .  Les pompiers sont les dignes descendants des athlètes qui s'illustraient à Olympie. Non seulement ils vouent un culte au corps des plus respectables  , mais ils sont aussi porteurs d' un idéal moral des plus louables en portant secours à leur prochain . Et puis on en a toujours trois pour le prix d'un . Ils ont l'instinct grégaire , sans doute ...

Certains patients l'ont aussi . Pas pour les mêmes raisons . J'ai vu une famille entière investir les lieux et faire retentir la salle d'attente du vacarme assourdissant de leur voix.  Je pense que le patient qu'ils escortaient devaient souffrir de céphalées chroniques . Rien de plus délétère, pour un cerveau humain , qu'une exposition prolongée à une source sonore trop élevée . Heureusement , le calme est vite revenu suite à l'intervention musclée d'un agent de sécurité , sans doute lui aussi incommodé par la montée des décibels .

Parmi les objets roulants identifiés qui parcouraient mon champ visuel , j'ai pu discerner des chaises roses au design aérodynamique et aux roulettes supersoniques ,  des brancards , des déambulateurs et des potences à perfusion . Oui , c'est le terme consacré. De quoi faire frémir . Ce qui a attiré mon attention par dessus tout , c'est l'arrivée fréquente de porteurs d'un genre bien particulier . Ils tenaient fermement dans leur main une mallette cubique en polystyrène gris  , et prenaient  invariablement le même itinéraire pour aller déposer leur chargement. Je sus , par la suite , que les contenants gris abritaient des poches de sang .

En parlant d'hémoglobine , âmes sensibles , s'abstenir . Après tout , nous sommes aux Urgences . Donc des compresses vermeilles , j 'en ai vues quelques unes . C'est surtout une  fois admise dans le bureau de l'infirmière ( après quatre  heures d'attente , excusez du peu ) , que j'ai  été confrontée à la vision cauchemardesque d'une pile de gaze ensanglantée dans une poubelle placée à mes côtés. Je pense que l'emplacement n'était pas anodin . Il fait prendre conscience aux patients ne présentant pas de plaie béante que l'attente sera longue , très longue même . Même si le temps que vous consacre l'infirmière est des plus courts ...Elle vous prévient , d'ailleurs , qu'elle ne dispose que de cinq minutes pour écouter vos malheurs. Au cas où l'on aurait envie de s'épancher un peu trop longtemps. Malheur aux patients dépourvus d'esprit de synthèse !

Ce n 'est pas mon cas , fort heureusement . Et je dois dire que Dieu , dans son infinie bonté , m'a aussi dotée d'une capacité d'analyse appréciable  . Vous saurez pourquoi plus tard . J'ai aussi pris conscience de mon imperméabilité à l'impatience en cette occasion. Ce qui ne fut pas le cas de tout le monde . Certains experts en la simulation , comédiens sans rôle probablement,  voyant les heures s'égrener à l'horloge murale , tentèrent de voler la vedette  aux  accidentés de la route , ou pire , aux suicidés. L'agent de sécurité eut tôt fait de mettre un terme à leurs déclamations geignardes . De la dignité avant toute chose !

Certes , j'ai tenu mon rang, et le sang ne m'est pas monté à la tête . Je deviens philosophe , avec l'expérience . Quand on est restée coincée treize heures durant dans un Eurostar, à vingt mille lieues  sous la Manche, sans aucune nouvelle du monde extérieur , on prend son mal en patience . Après quatre autres heures passées sur une inconfortable chaise ( pas d'escarres , heureusement ), je fus admise dans le saint des saints . Une sorte d'entrepôt à brancards où gémissaient des individus perfusés au visage convulsé. L'interne fit glisser un paravent assurant une discrétion minimale , et elle procéda à l'interrogatoire. Je lui fournis , pour la troisième fois  de la journée , le résumé circonstancié  de mes maux, en lui faisant part du verdict de ses deux confrères . Elle m'ausculta puis disparut au bout de dix minutes , pour aller prendre  conseil auprès de son chef  , tout en m'assurant de son retour rapide.


Le temps doit être élastique aux Urgences , car en fait de dix minutes , j'en attendis quatre-vingt-dix, au bout desquelles une infirmière me garrotta le bras pour prélever mon sang et m'informa que j'allais subir une radiographie du thorax. Après quoi je fus reconduite dans la salle d'attente , qui s'était considérablement vidée . À une heure du matin , seuls les junkies en manque , ou les ivrognes à demi conscients,  la peuplent. Autant dire qu'ils m'ont considérée comme un être venu de l'au-delà , un  au-delà que je n'avais pas du tout envie de connaître en ces circonstances .

Je regardai l'horloge qui m'indiqua 1h30 du matin. J'avais passé ,dans ce lieu,  plus de temps que je n'en  passe habituellement dans mon lit , et dans les positions les plus inconfortables . Finalement l'interne revint et me dit , d'un air ravi , que rien d'anormal n'apparaissait sur la radio, mais qu'elle penchait  plutôt pour  une  dilatation de l''intestin ( des flatulences , en somme ) qui appuierait sur l'une de mes côtes . Si elle avait dit vrai , les trois quarts de la population française auraient dû  souffrir autant que moi , et n'auraient  pu ni rire ni éternuer de peur de réveiller la douleur que je ressentais . Irrecevable !

J'eus alors la présence d'esprit d'évoquer une déchirure musculaire des obliques . Car pourquoi ressentais-je des symptômes seulement en marchant et respirant  plus vite , et pas au repos . Elle m'assura que non, que je devais suivre le traitement qu'elle me prescrivait,  et que si le mal persistait , il me faudrait revenir aux Urgences. Elle avait de l'humour, cette interne ! Bien -sûr, je ne pris aucun de ses comprimés . J'obtins, le lendemain , un rendez-vous en urgence pour une IRM qui confirma mon diagnostic . Voyez-vous , je ne cesse de me  féliciter parfois de mes intuitions fulgurantes . Je pense même  qu'Apollon , séduit par mon don , m'a élue pour incarner la Pythie des temps modernes , même si j'aurais plutôt préféré qu'il me donne le rôle de la nymphe Daphné. Alors , si vous avez un bobo , n'hésitez pas à me consulter ! Promis! Je  ferai tout mon possible pour vous éviter les Urgences et m'engage à ne JAMAIS  employer de langage sibyllin...pardon ...hermétique ...

mercredi 22 janvier 2014

Mesurée à  l'aune des galaxies , notre place dans l'univers est microscopique , et notre échelle temporelle dérisoire . Nous ne sommes que des cirons pascaliens , des électrons se croyant assez libres pour tournoyer dans tous les sens avant de disparaître dans l' infini létal. Passagers d'un tramway nommé désir, nous n'avons de cesse de saturer nos vies de nouveautés, tellement la permanence du même nous effraie . Inconstants , nous le sommes , non par choix, mais par nécessité , car les accidents de la vie se chargent de nous rappeler que  l'itinéraire emprunté a une destination unique, et qu'elle est trop souvent atteinte plus tôt qu'on ne le pense .

De là , peut-être , notre engouement grandissant pour les réalisations estampillées "éphémères ". Le XIXe siècle avait déjà été le témoin émerveillé de manifestations qui étaient aussi grandioses qu'elles étaient circonscrites dans le temps . Les expositions universelles , avec leur déploiement de pavillons aux architectures les plus raffinées , célébraient les avancées de la technique aussi bien que les innovations artistiques  des quatre coins du globe. Pour quelques mois seulement, Paris était le théâtre de l'ingéniosité humaine , et l'on a encore du mal à se représenter que la plupart des  somptueux  édifices conçus pour l'occasion n'avaient qu'une durée de vie limitée , et qu'ils étaient inexorablement voués à la destruction s'ils n' étaient rachetés par des dignitaires épris de grandeur.

De nos jours, l'architecture dite éphémère est la rémanence modeste de cette flamboyance bâtisseuse d'antan .Elle n'utilise certes pas de matériaux nobles . La pierre n'y a pas droit de cité . On lui préfère le bois ou toute autre matière périssable  . C'est surtout à l'occasion de festivités qu'elle  jaillit  de terre comme ces chalets qui composent les marchés de Noël, ou même de l'eau , comme le théâtre flottant  d'Aldo Rossi, hommage aux structures éphémères du carnaval de la Sérénissime au XVIIIe siècle .  Le reste de l'année , restaurants ,  boutiques ou ateliers éphémères prennent le relais . Le principe est néanmoins toujours  le même . Nous proposer un dépaysement des sens et de l'esprit  afin de nous désengluer de la réalité  monotone . En affichant d'emblée leur date de péremption ( de quelques semaines à quelques mois ) , ces produits originaux et souvent insolites parviennent à aiguillonner notre curiosité , mais surtout  , il faut bien le dire , à stimuler notre consommation .

Triste constat ! L'éphémère n'est tant vénéré aujourd'hui que parce qu' il se vend mieux .  Si , aux  siècles précédents , il prenait naissance dans le creuset imaginaire de maîtres dont le seul luxe était de faire de l'art, il est , de nos jours, fabriqué à bon marché par des artisans motivés par le lucre. Les cupides de ce monde ont  bien compris que ce que nous sommes prêts à acheter à prix d'or n'est pas ce qui fige le temps dans notre mémoire , mais ce qui y fixe les instants mouvants de notre existence . Nous ne sommes pas un . Nous sommes multiples , ne l'oublions pas . Même les nouvelles techniques de photographie se sont appropriés le concept . L'argentique , autrefois vecteur d'unité et d'immortalité ( on posait une fois pour toutes pour l'éternité  ) , à été supplanté par le numérique , qui revendique son statut multiple et jetable ( on prend la pose à tout bout de champ).  Snapchat repousse encore plus les limites puisque le cliché ne s'affiche sur l'écran qu'une dizaine de secondes avant de s'autodétruire .


L'éphémère aurait-il été irrévocablement perverti  par notre société mercantile ?  Ne serait il devenu qu'une valeur marchande ? La réponse est non . À condition que nous partions  à sa recherche dans certains coins de notre cité , là ou il est le plus improbable . Sur les grands-places et les parvis , par exemple , où il se manifeste sous la forme de jardins au parcours didactique autant qu' initiatique . Dans ces espaces urbains encerclés de béton , ces îlots de végétation non pérennes nous invitent à l'évasion et à une réflexion sur notre destinée . Nous qui dépensons notre temps et notre argent sans compter , regardons ce que nous enseigne la nature qui s offre à nous sans rien nous demander en retour . Si le cycle des saisons la transfigure ou la défigure , il en va de même pour le cycle de notre vie. Le plaisir est éphémère , le bonheur aussi . Nous n'y pouvons rien . Alors plutôt que de  le déplorer, célébrons-le avec faste , et transformons les "Memento Mori "macabres en "Carpe Diem" triomphants .

jeudi 16 janvier 2014

Le syndrome de Gilles de la Tourette est une pathologie fort répandue dans notre capitale , surtout en cette période d'euphorie dépensière. En temps normal , seule la catégorie des automobilistes semble être affectée par ce trouble . Les symptômes sont vite reconnaissables . Il n'est qu'à tendre l'oreille pour déceler l'imminence d'une crise .  Les Klaxons stridents sont  la matérialisation sonore du dysfonctionnement nerveux des occupants des habitacles . Si vous êtes passager du véhicule concerné, bouchez-vous les oreilles surtout, car c'est le moment où le conducteur, impassible jusque-là , déversera un flot d'injures propres à heurter votre sensibilité.

Mais hélas , avec le temps béni des Soldes , cette maladie,  jusque-là circonscrite à une frange de la population , se répand comme une traînée de poudre dans les enceintes des petits et grands magasins . "L'homme est un loup pour l'homme" , nous enseignait Plaute . Il aurait dû ajouter que la femme est une tigresse pour la femme . Car il est évident que si elles font  patte de velours dans les bars à ongles et à sourire qu'elle fréquentent , elles ne manquent pas de montrer les dents et de sortir leurs griffes quand il s'agit de satisfaire leur appétit de conquête matérielle. Gare à qui marche sur leurs  plates-bandes !

C'est que l'on assiste à des combats homériques . Surtout dans les rayons de la confection. Rien n'est trop beau pour elles. Un article qu' elles auraient dédaigné la veille se pare d'une aura sans pareille dès lors que son prix se voit divisé par deux. Aussi sont-elles prêtes à tout pour rafler la mise . Qu'une main ennemie s'avise de leur dérober l'objet de leurs désirs, et le syndrome de la Tourette fait son apparition intempestive , suivi parfois de crêpage de chignons pour celles qui en portent. L'intervention d'un vigile s avère parfois nécessaire  pour mettre un terme au pugilat . Aux USA , le jour qui marque l'ouverture des Soldes d'hiver porte bien son nom : c'est le "vendredi noir"  . Toute une symbolique! C'est que l'on déplore , chaque année , des clients au nombre des victimes . Vous venez , gaie comme un pinson , vous acheter un déshabillé de soie, et vous repartez, raide comme la justice , dans un suaire en coton .

Certainement mus par leur instinct de conservation, les hommes ont l'intelligence de rester en retrait pendant cette période cruciale de l'année . Ils préfèrent se cantonner au rôle de portefaix et patienter à quelques  encablures de l'arène où leur compagne livre bataille . Que voulez-vous ! Ils n aiment pas les conflits ! À la rigueur ils veulent bien subir ponctuellement  , au volant  de leur grosse cylindrée ,  une crise aiguë du trouble répertorié par Gilles de la Tourette . Ils ne se privent pas d'invectiver un chauffard pris en flagrant délit de désobéissance au code de la route . Non pas parce qu'ils érigent ce règlement en dogme inviolable . Ils seraient bien hypocrites de le faire . Ce qu'ils redoutent plus que tout  , c'est que  ledit chauffard  inflige une éraflure fatale  à la carrosserie rutilante de leur torpédo . Porter atteinte à leur joujou à quatre roues , c'est aussi grave que de toucher au  doudou d' un nourrisson non sevré . Le nombre des décibels est identique ...

Les plus sages dans l'histoire , ce sont quand même les enfants . Ils sont contents de voir leurs parents occupés , les coquins . De toute façon , eux , leurs jouets de Noël , ils ont été payés au prix fort . Et leurs  vêtements , ils sont rarement  soldés . C'est sûr, ils ont bon goût , les garnements . Ils ne choisissent que ce que leur acteur (ou actrice ) prépubère préféré(e) porte. Ce sont des consommateurs exigeants . S'ils sont tant accro  à Disney Channel, c'est pour cloner la  vedette du moment  avant qu'elle ne claque la porte des studios pour tourner des clips porno . Oui, les parents ont du souci à se faire. Car  je crains que Gilles de la Tourette ne s'invite dans les foyers  plus souvent qu'on ne pense à l'avenir. Le jour où leurs enfants se mettront à imiter la gestuelle obscène de Miley Cyrus,  prêtresse de la teen pop, je pense qu'il n'y aura pas que les vendredis qui seront noirs pour eux...

dimanche 12 janvier 2014

La femme parfaite serait-elle un mythe ? Eh bien non ! J'ai compris ce matin, en regardant une émission télévisée des plus instructives , qu'elle existe bien , et qu'il est à la portée de chacune d'entre nous d'en devenir une.  Il suffit de faire l'achat de la liste de produits proposés , et surtout de suivre les conseils prodigués par la gentille animatrice  et ses acolytes . Je dois vous avertir néanmoins qu'une concentration optimale est requise pour avaler le flot ininterrompu de paroles débitées à une cadence infernale . Heureusement que le sourire extatique de la joyeuse bande vous apporte un bienfait visuel . Pour celles qui auraient perdu pied en cours de route ,  une suave voix-off , mise en valeur par une musique électronique répétitive , se charge de renouveler l'éloge hyperbolique du produit , à grand renfort d'adjectifs soigneusement choisis : magnifique ! Génial ! Fantastique ! Idéal !

Oui, la femme parfaite existe bel et bien . En suivant les dix commandements des produits dont on vous fait la réclame , vous éviterez de vous inscrire dans une agence matrimoniale , ou pire encore , sur un site de rencontres , pour séduire l'homme de votre vie . Car,  les concepteurs de génie de cette émission l'ont bien compris , ce qui attire un homme , ce n'est pas que vous soyez cacique à Normale Sup. Les intellos , il s'en méfie , le godelureau . Elles utilisent trop leur cerveau . Ce qui l'appâte et l'épate, c'est de se trouver face à face avec une Miss France qui ait aussi les aptitudes d'Inspecteur Gadget.

Mission impossible, me direz- vous. Pas vraiment . Le succès de cette émission auprès des femmes de tous les coins du globe  atteste du contraire,  même  . Car contrairement aux autres programmes télévisés , qui ne focalisent notre attention que sur un seul de nos centres d'intérêt , celui-ci a l'intelligence de combler nos désirs les plus enfouis. Grâce à lui , nous cessons de refouler notre envie irrépressible de manier des robots multifonctions aux quarante  accessoires ,  des stations de lavage à géométrie variable, des séchoirs télescopiques , et même des appareils faisant office de  scies sauteuses ou circulaires , de décapeuses ou de ponceuses . Oui, nous retrouvons enfin notre âme d'enfant  en assemblant  et désassemblant  ces multiples pièces en plastique , illustres descendants  des antiques legos .

Mais la cuisinière - ménagère - bricoleuse a aussi à cœur de mettre son corps en valeur . Alors quoi de plus alléchant que de suivre une cure minceur éclair en s'alimentant quatre fois par jour de potages hypocaloriques réputés avoir le goût des soupes "maison "! Quoi de plus sexy que de porter la brassière en spandex dont les femmes de 17 à 77 ans interrogées font l'éloge intarissable ! Plus besoin de dépenser des sommes folles pour arborer le dernier  soutien-gorge glamour de chez Agent Provocateur. En parlant d'économies,  les coiffeurs  se passeront de vous à l'avenir . Car avec cet appareil de coiffage  à technologie ionique , votre chevelure va en décoiffer plus d'un. Les esthéticiennes aussi ont du souci à se faire , car cet appareil au  filament lumineux révolutionnaire promet de détrôner à jamais l'épilation à la cire qui vous donne tant de sueurs froides .


Ce qui me dérange un peu , malgré tout , c'est que ni la présentatrice , ni les femmes invitées ne me paraissent avoir la silhouette  de Miss France , et encore moins l'habileté d'Inspecteur Gadget . Elles auraient même besoin d'un relooking  intégral, car je ne suis pas certaine que le Don Juan du coin sera conquis par  leur coiffure ou leur habillement. Mais , laissons-leur le soin de leur dévoiler, dans l'intimité , leurs jambes épilées au filament lumineux et leur brassière Spandex. Je suis persuadée que le bourreau des cœurs en perdra le boire et le manger . Un peu inquiétant , d'ailleurs . Car s'ils ne boivent ni ne mangent, à quoi bon avoir investi dans un robot culinaire  aux quarante  accessoires ?

jeudi 9 janvier 2014


Les histoires de cœur , elles font toujours la une du journal de nos vies . Et pas seulement des nôtres . Aucune d'entre nous n'est épargnée . De la roturière à la tête couronnée , on en fait toutes les frais . Elles sont d'ailleurs en odeur de sainteté auprès de la presse "people ". Plus ça sent le soufre , mieux c'est . Les plus gros tirages , on les réserve aux ruptures , pas aux mariages à l'eau de rose dans des châteaux décorés par des wedding-planners à la manque .

 Normal , les histoires d'amour plan plan,  on s'en lasse . Il n y a rien de palpitant à voir deux tourtereaux se regarder dans le blanc des yeux .  Nous, on veut des sensations fortes . Des yeux qui lancent des flammes . Des coups d'éclat . De la passion . Alors on est presque contentes de découvrir sur un tabloïd que le Prince Charmant n'est pas si charmant que ça . On s'en doutait un peu , d'ailleurs. Les visages d'ange , il faut toujours s'en méfier . Ils ont souvent tendance à cacher à notre vue que les ailes sont rognées .

Parce que , dans la majorité des cas , c'est toujours nous , les femmes , qui subissons les coups du sort . Une malédiction. À croire que nous avons vocation à avoir le cœur brisé. Comme si les hommes détenaient seuls le pouvoir de nous plonger dans l'affliction. Sauf que  les principaux artisans de nos déboires sentimentaux , ce sont les femmes . Pas celles que l'on vénère , bien-sûr.  Les tentatrices , celles qui n'ont rien à perdre et qui tirent gloire du fait qu'elles mettent à genoux une rivale.

Car les femmes entre elles ne sont pas tendres . Ce sont des conquérantes , des stratèges hors pair, avides d'étendre leur empire .  Mais elles sont assez subtiles pour n'en rien laisser paraitre. Quand elles croisent  le fer , c'est toujours en souriant , et les premières estocades se font toujours par derrière , jusqu'à la botte finale ...de Lagardère. Alors  quoi de plus martial que de brandir, comme dépouilles opimes, le cœur d'un homme arraché à une autre .

Bien naïfs , donc, les hommes qui pensent ne devoir qu'à leur pouvoir de séduction le succès de leur trahison . Ce ne sont que des pions sur l'échiquier amoureux dont chacun sait que la reine détient les rênes . Alors qu'ils ne s'étonnent pas d'être remerciés plus tôt que prévu pour le service rendu à l'impérialisme féminin . À chaque bataille, son plan d'attaque et son artillerie . A plus forte raison,  quand il s 'agit d'un crime , mieux vaut se débarrasser de son arme au plus vite . Au risque qu'elle ne se retourne contre nous .

vendredi 3 janvier 2014

Le rire est le propre de l'homme ! a dit Bergson. Il faudrait un peu plus s'en souvenir car , à scruter le visage de certains de nos congénères  , il semblerait que Descartes , chantre du  " Je pense, donc je suis ", soit plus leur voisin de palier que Bergson.  Car il est indubitable qu'ils n'arrêtent pas de penser, et penser à haute voix , pour prouver qu'ils existent !

Je me demande si , au paléolithique , l' "homo sapiens"  était doté  de la même prolixité que l' "homo contemporaneus" .  Il est vrai qu'en ces temps reculés, la technique en était à ses balbutiements . Les sources sonores étaient plus restreintes . Pas de radio, ni de télé , ni d'ordinateur , ni de mobile . Mais somme toute , les préoccupations étaient toujours les mêmes . Il fallait bien se nourrir , se vêtir , se reproduire , et aussi mourir . Et de cela on devait bien en discuter , entre la cueillette et la pêche  .

 J'imagine , par contre,  que le cerveau du descendant immédiat  de l'australopithèque n'avait pas encore intégré les grandes lignes du  discours amoureux . Et pour cause . Il ne savait pas lire . Avec quelles cordes le mâle concupiscent bandait-il donc son arc ? La corde sensible ? Certainement pas .Le rire , bien-sûr !  On dit que c'est l'arme la plus redoutable pour transpercer le cœur du  beau sexe , et que les flèches de Cupidon en sont souvent imprégnées . Imaginez la scène ! Un néandertalien  faisant glousser une néandertalienne en train de cueillir des champignons . Hallucinant !

Mais savoir faire rire n'est pas donné à tout le monde . C'est tout un art . D'abord on ne peut pas rire de tout . À la rigueur , et c'est même recommandé, on peut rire de soi - même .  Ça présente l'avantage de couper l 'herbe sous les pieds de vos potentiels détracteurs . En devançant leurs ricanements à vos dépens , vous prouvez que vous êtes plus intelligents qu'eux . Et d ' ennemis , ils deviendront vos amis . Pour ce qui est des blagues de potache, elles  ne sont le fonds de commerce que des amuseurs de service . Elles se vendent mal . Normal . N'est pas bouffon qui veut . La spiritualité est du domaine de l'inné , et non de l'acquis . À trop vouloir paraître drôle , on finit par être grotesque .


Ce qui est sûr , c'est que l' "homo contemporaneus" , parce qu'il pense trop , a besoin qu'on le fasse rire pour éviter la surchauffe cérébrale. Aussi  privilégiera - t'il le one man show au détriment de tout autre spectacle . Les films larmoyants , il n'en veut plus ! Bon , c'est sûr , l'époque où il suffisait  de regarder Charlie Chaplin et Buster Keaton gesticuler  sur un écran pour avoir sa dose d'endorphines est révolue . Les comiques d' aujourd'hui parlent . Ils parlent beaucoup même. Et ils exigent de nous de ne pas laisser nos neurones au vestiaire . Car il faudra les utiliser si l'on veut  comprendre la subtilité de leurs chutes (rhétoriques) , et en rire . Au final,  Il semble que Descartes et Bergson ne soient pas si éloignés  que ça . En somme , le propre de l'homme , c'est toujours le rire , mais , si l'on veut rire , on a besoin de penser .