"WE ARE SUCH STUFF AS DREAMS ARE MADE ON, AND OUR LITTLE LIFE IS ROUNDED WITH A SLEEP". La citation de Shakespeare qui inaugure mon blogue résume magistralement ma vision de l'existence humaine. Nous sommes faits de l'étoffe des songes, et notre courte vie se clôt par un long sommeil. Alors, plutôt que de rêver notre vie, vivons nos rêves! Et faisons éclater en infimes particules de sens jubilatoires le monde qui nous entoure.
mercredi 2 avril 2014
Que ne ferait-on pas pour connaître l'avenir ! L'ignorance du lendemain nous effraye tellement , que nous sommes disposés , parfois , à confier nos interrogations les plus intimes à des inconnues que nous investissons d'un pouvoir égal à celui du divin.
Certes la voyante , de nos jours , n'est plus la bohémienne au fichu qui arpente les rues en quête de quelques misérables écus . Elle a pignon sur rue et officie dans un cadre cossu . En se sédentarisant, elle a troqué sa roulotte bringuebalante pour un appartement élégant . On doit faire antichambre avant de fouler le parquet de son salon. C'est que les grands de ce monde s'y pressent . Du politicien au capitaine d'industrie, tous accourent pour lui demander audience.
La boule de cristal , si elle subsiste, n'est plus qu'un objet ornemental. Plus besoin aussi de tendre la paume de la main avec son entrelacs de lignes de vie , de cœur , et de destin . La chiromancie ne fait plus recette . On préfère s'inspirer de la révolution des planètes . Quoi de plus enivrant que de se sentir exister au sein de l'univers , sous l'influence de Venus ou de Jupiter , comme Ulysse bravant vents et tempêtes avant de regagner enfin la paisible Ithaque !
Car la vie est une Odyssée . Ce n'est pas un simple parcours de santé . Parfois il nous arrive de perdre pied et d'être embarqué, bon gré mal gré, sur le radeau de la Méduse . Alors, pour pour éviter de sombrer, on s'en remet aux astres , et à leur grande prêtresse . Le spectacle certes est moins exaltant que celui de la Pythie rendant l'oracle d'Apollon . Point de transe ni de langage abscons. La sphinge des temps modernes incarne la raison . Elle manie chiffres et compas à la perfection . Qui eût cru qu'une simple date de naissance recélât une telle foison d'informations !
Mais gare aux mauvaises interprétations ! On peut passer sa vie à craindre le pire , comme le dramaturge grec Eschyle , à qui un augure avait prédit qu'il perdrait la vie lors de la chute d'une maison . Le poète tragique prenait donc soin de passer le plus clair de son temps hors de sa demeure. Cela ne l'empêcha pas d'avoir le crâne fracassé par la carapace d'une tortue qu'un gypaète avait laissé tomber à dessein sur sa tête , l'assimilant à tort à une grosse pierre . La raison de son trépas fut bien la chute d'une maison , mais pas celle qu'il redoutait.
Quant aux superstitions , elles sont , pour certains, un poison quotidien. Les chats noirs , les échelles , les miroirs deviennent les bêtes noires des angoissées congénitales . Le mauvais œil aussi, mieux vaut l'éviter , en se bardant d'amulettes et en faisant discrètement les cornes ( du diable ) pour conjurer le mauvais sort . Pour ce qui est d' avoir la baraka , il est d'usage de toucher du bois . Et les manchots dans tout ça ? Ils font quoi ?
Une chose est sûre . Quoi qu'on fasse , rien n'arrêtera les sombres Parques dans leur implacable tâche . On peut toujours essayer de leur faire les yeux doux , elles sont aveugles . Le jour venu , elles couperont le fil de notre vie et l'on ira rejoindre les astres , débarrassés de ce fatras de doutes et de craintes , d'espoirs et de gloires . La vie est un jeu de hasard . Alors battons les cartes nous-mêmes au lieu de recourir à la cartomancie , chiromancie et autres mantiques dernier cri. L'avenir adviendra quoi qu'on fasse . Alors vivons pleinement le présent , et croisons les doigts...
samedi 29 mars 2014
Tout le monde n'a pas la chance de s'appeler Pygmalion . Non seulement le sculpteur virtuose est-il parvenu à façonner , de ses propres mains , la statue incarnant son idéal féminin , mais il a aussi eu l'immense privilège de jouir de la haute considération de Vénus , qui, une fois n'est pas coutume, a bien voulu jouer les bonnes fées . La déesse ne lui a-t-elle pas accordé l'insigne faveur de métamorphoser l'ivoire en chair , une fois conçue la Galatée de ses rêves ? Quel humain n'a pas rêvé de voir un jour prendre corps la créature de ses fantasmes ...
C'est surtout au XIXe siècle que l'on observe la résurgence du mythe dans un certain nombre d'œuvres littéraires entre autres . Le ballet Coppélia , inspiré d'un conte fantastique d'Hoffmann , retrace l'obstination folle du Dr Coppélius à vouloir insuffler vie à une automate de sa composition . L'obsession , qui l'habite , d'extraire l'étincelle vitale d'un humain pour la transférer à sa poupée , le conduira à mettre au point un stratagème diabolique : Appâter le jeune Frantz , qui se pâme d'amour pour "la fille aux yeux d'émail" et dont il ne soupçonne pas l'inappartenance au monde humain . Désireux de lier connaissance avec Coppélia, le jeune homme s'introduit dans le logis du savant fou et n'en ressort vivant que grâce à l'intervention providentielle de sa fiancée Swanilda .
Au XXIe siècle , ce sont les inventeurs les plus hardis de la Silicon Valley qui ont décidé d'exaucer le vœu prioritaire de toutes les wish lists : la conception DU ou de LA partenaire idéal(e). Au fil du temps l'on s'est bien rendu compte qu'il est vain d attendre l'homme ou la femme de sa vie. Soit l'on tombe sur un corps bien fait et une cervelle mal faite , soit le contraire . Alors , on s' est fait une raison . Plutôt que de se tourner vers la religion, on a placé sa foi dans les innovations technologiques . En misant sur le numérique, on a eu tout bon !
Ainsi , la réalité virtuelle , terrain d'élection d'amateurs de sensations extrêmes , est-elle aussi devenue le giron des romantiques exacerbés ou des libertins patentés. Grâce à un casque High Tech équipé de capteurs , il est maintenant possible de s'immerger dans le monde parallèle de notre choix . L'on n'aura plus besoin de perdre son temps sur des sites de rencontre à la recherche de l'âme sœur . Il suffira de configurer le casque du futur pour que se matérialise , sous nos yeux, le compagnon ou la compagne de nos rêves . Fini le temps des couples en crise ! Voici venir le temps des rires et des chants . Dans cette île enchantée , ce sera toujours le printemps !
Pour les messieurs plus tactiles et moins portés sur l'interaction virtuelle , l'importation des Love Dolls made in Japan demeure la meilleure option . II n'y a qu'à voir comment les Nippons passent du bon temps auprès de ces plantureuses poupées de silicone à taille humaine , substitut idéal pour assouvir leurs fantasmes les plus coquins . Il faut dire que l'on peut choisir non seulement leurs mensurations , mais aussi la forme de leur visage , leurs cheveux et , bien-sûr, leur habillement . De la collégienne en socquettes à la vamp ravageuse , l'éventail est large. On est loin de la poupée gonflable qui , dans le feu de l'action, risque de vous éclater entre les mains . La Love Doll a une durée de vie illimitée , de sorte que l'on peut même la léguer à ses héritiers en cas de départ précipité vers l'au-delà .
Enfin , pour les irréductibles , ceux qui sont réfractaires aux avancées technologiques et qui n'ont pas envie de jouer à la poupée , reste le rêve . C'est le plus sûr moyen de ne jamais être déçu . À quoi bon solliciter le secours des autres quand on a , à sa disposition, la machine la plus puissante qui soit sur terre : l'imagination . Inutile d'invoquer dieux et déesses. La divinité, c'est votre esprit. Il vous connait par coeur et saura repétrir , tel Pygmalion, le visage de l'être aimé que vous avez croisé , un soir de mai, sur le sentier de votre vie , et qui restera à jamais gravé dans votre mémoire, cathédrale du souvenir, comme le mot Ananké jadis inscrit dans la pierre d'une sombre tour de Notre-Dame.
mardi 25 mars 2014
En attribuant à Dibutade l'invention du dessin , la légende origine la
représentation iconographique dans un acte d'amour . C'est en voulant
garder présente à son esprit l'image de son bien-aimé que la jeune Corinthienne en
aurait esquissé les contours sur un mur à partir de l'ombre portée du
jeune homme . C'est donc la capture graphique de l'altérité qui a été
le primum mobile de l'acte inaugurant la théorie de la représentation .
Dans le cas de Dibutade , l' altérité revêtait les traits de l'être aimé
. Pour d'autres artistes , qu'ils soient peintres ou sculpteurs , elle
allait arborer ceux de l'être vénéré ( dieu ou déesse ), craint (
monarque ou potentat ) ou , moins glorieusement ,
fortuné ( riche notable ).
Mais si l'altérité fut l'objet privilégié de la représentation bidimensionnelle , elle n'en fut certes pas le seul . Que ce soit Dürer , Rembrandt ,Chardin, et plus récemment Schiele ou Bacon , l'artiste , en tant que sujet , s'est aussi constitué comme objet propre de la représentation . La toile s' est fait miroir , mais miroir déformant. Il n'était aucunement question ,pour eux, de se livrer à une entreprise narcissique de glorification de l'ego. En s'anamorphosant, le sujet donnait plus à voir une intériorité souvent torturée et grimaçante, qu'une extériorité souvent lisse et apaisante. Il s'agissait moins de faire preuve d'un réalisme optique que d'un réalisme psychique.
Avec l'invention de la photographie , un grand pas en avant a été fait . Non seulement le portrait a connu une consécration indubitable , mais l'autoportrait a aussi bénéficié d' un engouement sans précédent . Le tout premier autoportrait photographique vit d ailleurs le jour en 1840, soit une année après l'invention du daguerréotype . Il s'agissait d'une mise en scène loufoque d'un certain Hippolyte Bayard , autre pionnier qui s'était distingué par l'invention d un procédé malheureusement passé sous silence , car concurrencé par celui mis au point par Daguerre. Avec un sens de l'humour consommé, l'inventeur s'était représenté en noyé, et avait légendé son cliché de la façon suivante " Oh ! instabilité des choses humaines ! Les artistes, les savants, les journaux se sont occupés de lui depuis longtemps et aujourd'hui qu'il y a plusieurs jours qu'il est exposé à la morgue, personne ne l'a encore reconnu ni réclamé. "
Monsieur Bayard serait fortement impressionné de constater à quel point son goût pour la mise en scène a fait d'émules parmi nos contemporains . Avec la prolifération anarchique des smartphones , nous sommes tous devenus des chevaliers Bayard de la photographie. Le selfie , version moderne de l'autoportrait que l'on met en ligne sur les réseaux sociaux , se décline sous les formes les plus insolites . Censé , à ses débuts , représenter le visage du photographe en herbe tenant son smartphone à bout de bras, le selfie a , depuis , pris pour cible de choix des parcelles de l'anatomie jusqu'alors réservées à l'intimité . La duckface grotesque ( bouche en cul de poule , pour ceux qui ne comprendraient pas ) s'est vu supplanter par des parties du corps jusque-là frappées de tabou . Ainsi le legsie ( photographie des jambes ) a dû battre en retraite devant le belfie ( photographie du postérieur ) . Certain(e)s vont même jusqu'à combiner legsie et belfie dans des mises en scène sportives très sophistiquées . Sans commentaire ...
On peut s'attendre au pire pour les mois à venir . Ne nous étonnons plus si l'industrie pornographique connaît un rapide déclin . La mise en ligne de selfies suggestifs gratuits ne peut que lui porter ombrage . Avec le selfie , tous les verrous sautent . On se croit tout permis . Sur des réseaux sociaux, on montre tout , n'importe où et à n'importe qui . On assiste au sacre de la femme décomplexée et exhibitionniste, à moins que ce ne soit plutôt celui de la femme décérébrée et désillusionnée . Au fond , le selfie , n'est il pas un moyen comme un autre de tenter de se rassurer et de reconquérir le sentiment d'exister au sein d une humanité désespérée ?
Mais si l'altérité fut l'objet privilégié de la représentation bidimensionnelle , elle n'en fut certes pas le seul . Que ce soit Dürer , Rembrandt ,Chardin, et plus récemment Schiele ou Bacon , l'artiste , en tant que sujet , s'est aussi constitué comme objet propre de la représentation . La toile s' est fait miroir , mais miroir déformant. Il n'était aucunement question ,pour eux, de se livrer à une entreprise narcissique de glorification de l'ego. En s'anamorphosant, le sujet donnait plus à voir une intériorité souvent torturée et grimaçante, qu'une extériorité souvent lisse et apaisante. Il s'agissait moins de faire preuve d'un réalisme optique que d'un réalisme psychique.
Avec l'invention de la photographie , un grand pas en avant a été fait . Non seulement le portrait a connu une consécration indubitable , mais l'autoportrait a aussi bénéficié d' un engouement sans précédent . Le tout premier autoportrait photographique vit d ailleurs le jour en 1840, soit une année après l'invention du daguerréotype . Il s'agissait d'une mise en scène loufoque d'un certain Hippolyte Bayard , autre pionnier qui s'était distingué par l'invention d un procédé malheureusement passé sous silence , car concurrencé par celui mis au point par Daguerre. Avec un sens de l'humour consommé, l'inventeur s'était représenté en noyé, et avait légendé son cliché de la façon suivante " Oh ! instabilité des choses humaines ! Les artistes, les savants, les journaux se sont occupés de lui depuis longtemps et aujourd'hui qu'il y a plusieurs jours qu'il est exposé à la morgue, personne ne l'a encore reconnu ni réclamé. "
Monsieur Bayard serait fortement impressionné de constater à quel point son goût pour la mise en scène a fait d'émules parmi nos contemporains . Avec la prolifération anarchique des smartphones , nous sommes tous devenus des chevaliers Bayard de la photographie. Le selfie , version moderne de l'autoportrait que l'on met en ligne sur les réseaux sociaux , se décline sous les formes les plus insolites . Censé , à ses débuts , représenter le visage du photographe en herbe tenant son smartphone à bout de bras, le selfie a , depuis , pris pour cible de choix des parcelles de l'anatomie jusqu'alors réservées à l'intimité . La duckface grotesque ( bouche en cul de poule , pour ceux qui ne comprendraient pas ) s'est vu supplanter par des parties du corps jusque-là frappées de tabou . Ainsi le legsie ( photographie des jambes ) a dû battre en retraite devant le belfie ( photographie du postérieur ) . Certain(e)s vont même jusqu'à combiner legsie et belfie dans des mises en scène sportives très sophistiquées . Sans commentaire ...
On peut s'attendre au pire pour les mois à venir . Ne nous étonnons plus si l'industrie pornographique connaît un rapide déclin . La mise en ligne de selfies suggestifs gratuits ne peut que lui porter ombrage . Avec le selfie , tous les verrous sautent . On se croit tout permis . Sur des réseaux sociaux, on montre tout , n'importe où et à n'importe qui . On assiste au sacre de la femme décomplexée et exhibitionniste, à moins que ce ne soit plutôt celui de la femme décérébrée et désillusionnée . Au fond , le selfie , n'est il pas un moyen comme un autre de tenter de se rassurer et de reconquérir le sentiment d'exister au sein d une humanité désespérée ?
mercredi 19 mars 2014
Trouver "chaussure" à son pied n'est pas chose aisée et relève parfois du parcours du combattant . Il nous arrive souvent de piétiner sur place , voire même de trépigner . Car ce n'est pas tout de trouver la bonne pointure . Il faut aussi que "la chaussure" soit à notre goût . Pour couvrir la distance entre ce qui " nous va " et ce qui " nous va bien ", il est parfois nécessaire de chausser des bottes de sept lieues . Car ce qui correspond à nos mensurations socio-economico-culturelles n'est pas toujours ce qui répond à nos aspirations psychiques les plus profondes . Plus que dans tout autre domaine, notre subjectivité entre en ligne de compte.
Peu d'entre nous semblent avoir conscience que c'est le regard que nous portons sur la vie qui préside au choix de notre partenaire . Pour certaines, il importe, avant tout, de trouver un compagnon qui tienne la route , car elles pressentent que le chemin à parcourir sera une trajectoire longue et sinueuse . En préférant de prosaïques godillots à de vertigineux stilettos , elles privilégient la sécurité aux dépens du risque , les randonnées paisibles aux expéditions à rebondissements .
Pour d'autres, le primat est accordé à l'originalité , indissociable d'un certain esprit de liberté .Ce sont les aventurières , celles qui n'ont pas peur des traversées en haute mer . Ce n'est pas un compagnon qu'elles veulent prendre au lasso pour le regarder trottiner dans leur pré carré , mais un flibustier pilleur de cœurs qui leur fera respirer à pleins poumons l'air du grand large, et leur fera découvrir des terres inexplorées.
La troisième catégorie regroupe celles qui préfèrent marcher pieds nus . Elles ont testé godillots ou stilettos par le passé. La randonnée leur a donné de la corne au pied , et les traversées en mer , la nausée . Alors elles préfèrent s'en passer et emprunter des sentiers balisés , pour éviter de se blesser, et voir la vie du bon côté . Qui pourrait les en blâmer ? Vouloir être solitaire , n'est ce pas faire preuve de caractère ?
D'ailleurs , un jour ou l'autre , les accros du godillot ,comme les pros du stiletto, en viennent à la même conclusion : il y a quelque chose de pourri au royaume des damnées marques. Les hommes passent si souvent de mode. Alors elles se tournent vers un modèle d'un tout autre genre : la pantoufle . Pas celle de vair. Pour croire à Cendrillon et à la métamorphose d'un potiron, il faudrait vraiment ne plus tourner rond. Ce qu'elles reluquent avec envie , c'est ce modèle intemporel , indémodable et inusable : la charentaise !
Ce chausson de pure laine, pur produit du Grand Siècle, est l'embarcation favorite des femmes du vieux monde , qui ne la quitteront plus que pour prendre place sur la barque de Charon, pour leur ultime voyage vers un nouveau monde . Finis les godillots patauds pour courir après les pèquenots! Exit les stilettos des catwalk pour faire du pied aux machos ! Après ça , on ne pourra plus dire, comme Forrest Gump , que " La vie, c'est comme une boite de chocolats. On ne sait jamais sur quoi on va tomber." Non. Vous l'aurez compris, la vie , ce n'est pas UNE, mais DES boites de chaussures. On ne sait jamais sur quoi on va tomber. Alors , le mieux , c'est de les retirer . Pour éviter de se faire mal aux pieds.
dimanche 16 mars 2014
De tous les maux dont la nature accable le beau sexe , la pilosité est le plus honni . On lui livre une guerre sans merci. Rasoir , crème dépilatoire , cire ou laser , tous les moyens sont mis en œuvre pour l'éradiquer. Aucune zone de l'épiderme n'est épargnée , de la plus cachée à la plus exposée . Le poil est pourchassé et l'on ne fait pas de quartier!
Même certains représentants du sexe opposé ont été acquis à la cause . Ils ont compris que pilosité ne rimait pas forcément avec virilité . Et l'on ne va pas s'en plaindre . Il est certes plus plaisant de voir trottiner , sur un tapis de course , un athlète à la peau huilée , qu'un bonobo cloné . Entre l'homme de Vitruve et l'homme des cavernes , il n' y a pas à hésiter .
Sauf qu'une nouvelle peuplade a décidé de prendre le contrepied et de crier haro sur la peau glabre . Les apôtres du corps lisse se sont donc vus concurrencer par les chantres du "tout poil". Ces übersexuels ont fait du port de la barbe leur cheval de bataille . Certains dépensent des sommes colossales pour des implants pileux , rendant le commerce du poil plus que florissant .
La bonne nouvelle , c'est que cette manie naissante a engendré un tourisme d'un tout autre genre . Des cliniques à bas prix appâtent les dignes descendants des muscadins thermidoriens. Le tout est de ne pas se tromper de destination. En Turquie , c'est l'implant de la moustache qui fait rage. Fine ou bien fournie, il ne faut pas se tromper , car elle en dit long sur l'appartenance politique de celui qui l'arbore . Au Maroc, ce sont les greffes capillaires qui sont à l'honneur. Il n'est plus rare , à Marrakech , de rencontrer des colonies de crânes chauves aux abords de la place Jemaa-el-Fna.
Fort heureusement, nous , les femmes , ne sommes pas affligées de ce dernier fléau . Du coup , cela permet aux pseudo célébrités de se démarquer de leurs congénères d'une façon moins conventionnelle . Elles n'ont qu à se raser la tête. À défaut d'être beau , le geste attire les badauds et charme les beaufs. Une autre astuce pour alimenter les ragots est de s'orner la face de sourcils à la Frida Kahlo . Histoire de faire plus bobo.
Comme quoi , poils ou cheveux peuvent parfois servir les différents intérêts des bienheureux de ce monde . Instrument de séduction ou de rébellion, la pilosité est tour à tour courtisée ou vouée aux gémonies . Après les Métro sexuels , dont la trichotillomanie n'est plus à prouver , voici la génération spontanée des übersexuels . À cette allure , Je crains que le bonobo , que je décriais tant , ne bénéficie bientôt d'un retour en grâce . Après tout, ne dit-on pas que l'homme descend du singe?
mercredi 12 mars 2014
Inconstance , quand tu nous tiens ! Que l'on soit femme ou homme , nous sommes tous , à des degrés divers , tentés par le démon du changement . Et à vrai dire , qui peut nous en blâmer ? La mutabilité est inscrite dans nos gènes . Ne serait-ce que biologiquement . Notre corps se transforme , bon gré mal gré , au fil de notre vie . Les avancées de la science nous permettent même , maintenant , de le modifier au gré de nos envies.
Prenons l'exemple des femmes .Il leur suffit d'un coup de scalpel pour que les hypotrophies mammaires soient converties en hypertrophies . Idem pour les postérieurs . Quitte à ressembler à Vénus , autant ressembler à une Vénus callipyge. Certes la tâche est moins aisée si l'on veut rivaliser avec Minerve . Curieusement , les chirurgiens n'ont jamais cherché à mettre au point d' implants neuronaux . On les comprend . Imaginez la tête des hommes si des hordes de femmes pourvues d'un QI hors-norme , en plus de seins énormes , déferlaient dans leur vie. Ils en perdraient la tête .
Parlons-en, de la tête . De toutes les parties du corps , c'est celle qui nous donne le plus de fil à retordre . Faire la tête , se prendre la tête , avoir la grosse tête , tout est bon pour l'invoquer , moins pour le meilleur que pour le pire . Alors il est compréhensible qu'on veuille en changer , de tête . Façon de parler , car , quoi qu 'on fasse , elle reste bien sur nos épaules , et ce n'est pas plus mal. La décollation , certaines l'ont testée en des temps troublés ; bien malgré elles . Elles n'en sont jamais revenues ...
Le changement auquel je fais référence ici ne s'opère qu'aux mains de spécialistes . Leur outil n'est pas un couperet , mais une paire de ciseaux . Et leur matériau , la fibre capillaire . Quand rien ne va plus dans notre vie, c'est bien connu, nous en imputons la cause à notre chevelure. Normal qu'on n'ait plus envie de sourire et qu'on fasse la tête à tout le monde. Il n'y a qu'à voir notre tête. Même notre miroir se lasse de nous renvoyer la même image. Alors on opte pour la solution de la dernière chance. On se dit que contrairement à Samson, notre force ne nous vient pas de la longueur mais de la coupe de nos cheveux. Alors on coupe, on ratiboise, on tond , pour les plus audacieuses. Et on se sent mieux. On sourit à nouveau à la vie.
Mais on se rend vite compte que le mal est plus profond, et que changer de coiffure n'est qu'un pis aller . Alors on fait des coupes plus claires . On se dit qu'on a qu'une vie et qu'on aurait tort de la gaspiller avec des gens qui n'en valent pas la peine. Alors on coupe les ponts avec certains, pour en établir avec d'autres. Puis on change d'alimentation , parfois d'habitation. Pour les plus téméraires, on change de profession . Et puis on se rend compte que ça ne va toujours pas comme on veut . Alors on se tourne vers la méditation . Si ça ne suffit pas , on change de religion. Mais au bout du compte , rien n'a changé . La terre ne s'arrête pas de tourner , et nous , on a la tête qui tourne .
Alors on ne se prend plus la tête . On finit par se poser , et cesser de se poser des questions . On devient philosophe . Changer pour qui ? Changer pour quoi ? On comprend, qu' après tout , il y a toujours une Minerve qui sommeille en nous .Au diable les implants !On comprend que la vie se charge elle-même de nous changer sans qu'on ait besoin de faire quoi que ce soit pour cela . Et on se met à attendre . On ne sait pas vraiment qui . On ne sait pas vraiment quoi . Mais on est sûr d une chose , c'est qu'à un moment ou à un autre , on le vivra, ce grand changement. Et comme le plongeur de Paestum , on fera le grand saut pour entrer dans un monde gouverné par l'immutabilité et le silence .
dimanche 9 mars 2014
"O rage ! O désespoir ! O vieillesse ennemie ! ", c'est le refrain que, toutes, nous entonnons quand notre miroir , jusque-là allié fidèle
dans notre combat contre les dissonances esthétiques , passe subitement
dans le camp adverse . De ce jour-là, nous
nous en souvenons toutes . Et notre consternation est aussi grande que
celle ressentie par la méchante reine quand elle apprend que Blanche-Neige est plus belle qu'elle . Que le héraut de notre beauté ose nous
trahir et nous renvoyer le reflet de l'aube de notre décrépitude, cela
ne s'oublie pas . La première ride ! Autant dire que notre ego subit un
choc sismique . La vieillesse grimaçante,
traîtresse parmi les traîtresses , se serait donc invitée à la table des réjouissances pour
nous narguer ouvertement ? Qu'à cela ne tienne! Il en faut plus pour
nous abattre .
Le premier réflexe est de partager son émoi avec d'autres que soi , en espérant être consolée et conseillée par la bonne copine , celle qui fait toujours semblant de compatir à nos histoires de cœur et qui nous rappelle , avec raison, que les hommes ne savent pas ce qu'ils perdent quand ils vont voir ailleurs . Seulement , voilà... Un homme de perdu , c'est beaucoup moins important qu'une ride apparue . Et puis, la bonne copine, on ne sait pas si elle va tenir sa langue . Et un problème aussi grave que la dégénérescence cutanée , cela ne s'aborde pas à la légère . Alors on préfère garder le secret pour soi. On se palpe le visage , on scrute la moindre parcelle de l'épiderme en essayant de débusquer un dégât collatéral. Et on fulmine contre cette ride intempestive qui nous fait soudainement perdre le sommeil et nous poser des questions existentielles . Quelle est cette ride ? D'où vient cette ride ? Où va cette ride ?
Dès lors commence notre quête fébrile du remède miracle pour piéger la hideuse ennemie. Magazines féminins , émissions télévisuelles , publications électroniques , tout y passe . La traque à l'élixir de jouvence ne fait que commencer . Les conseillères beauté se parent soudain d'une aura inégalable . On boit leurs paroles comme on sirote un nectar. Avec délectation. Elles susurrent à notre oreille les bienfaits d'un produit censé réhydrater , nourrir, redensifier , repulper et raffermir notre peau malmenée par le temps . On s'étonne qu'elles n'aient besoin que d'un simple regard pour diagnostiquer nos carences cutanées et délivrer un diagnostic aussi pointu . Mais on leur fait confiance. Elles sont notre seule planche de salut.
On découvre aussi un jargon inconnu , une évocation traumatisante des périls à venir qui nous fait frémir et blêmir . Ne voilà t' il pas que plane sur nous la menace des pattes d'oie et de la ride du lion ? Pourquoi , diantre , fallait-il que Le roi des animaux soit associé à notre déclin ? Passe encore le palmipède , qui , soit dit en passant , se venge comme il peut du gavage que lui font subir certains éleveurs , mais que le majestueux mammifère à la crinière opulente ricane à nos dépens , c'en est trop! Que dire des expressions imagées de la "vallée des larmes " ou des " plis d'amertume"! Elles parlent d'elles-mêmes . Quant au " sillon nasogénien " , laissez- moi vous dire qu'il mériterait une autre dénomination . Notre peau si délicate , labourée comme un champ de betteraves ? Un peu de poésie , de grâce ! Comment voulez- vous , après cela , que la vieillesse soit accueillie à bras ouverts!
On dit qu'elle rime avec sagesse , mais cela est loin d'être le cas pour tout le monde . Il n'y a qu'à observer le comportement de certaines de nos congénères , qui accordent , à tort ou à raison , peu de crédit au discours sirupeux des pourvoyeuses de crèmes et onguents miraculeux . Quitte à ressembler à un animal, elles préfèrent opter pour les souris de laboratoire , et se laisser piquer et inciser par les mains de praticiens âpres au gain . Elles n'ont peur de rien . Sauf de la ride . Pour s en débarrasser , elles sont prêtes à déshériter leurs rejetons . Même celles qui ont un pied dans la tombe en usent et en abusent . Peut-être espèrent-elles retarder leur dernière heure en faisant croire au Tout-Puissant qu'elles sont moins mûres qu'il n'y paraît ?
Dieu me préserve d'appartenir à cette catégorie-là. D'abord parce que j'aime trop ma fille pour la déshériter , ensuite parce que jouer avec l'acide hyaluronique ou botulique ne me tente guère . Quant au bistouri , je suis décidément trop douillette . Alors je préfère observer l'écoulement des saisons , écrire des billets doux à l'élu de mon cœur , et me souvenir que mon miroir reflète moins la beauté de mon visage que celle de mon âme . Je serai ainsi sûre qu'au jour de mon trépas , les anges m'accueilleront à bras ouverts , avec ou sans rides .
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