Les trous, au sens propre comme au sens figuré, on les comble. Nous sommes des bricoleurs-nés, toujours prêts à reboucher des cavités, comme si nous avions la crainte d' être aspirés. Que ce soit les dentistes qui obturent les dents cariées, les agents de la voirie qui macadamisent les chaussées, ou les couturières qui raccommodent les chaussettes, on passe son temps à faire un sort à ce qui nuit à notre sacrosainte idée de l'uniformité. Le trou, comme la tache, ne sont pas en odeur de sainteté . Il faut à tout prix les éviter .
Dans nos conversations aussi, le vide n'a pas bonne presse . Il n'est pas de bon ton de laisser de longs blancs dans les discussions. Dans certains cas, Ils sont propices à éveiller la suspicion : on est vite taxés de dissimulation. Quant à la panne d'inspiration, fuyons-la! Elle nous fait passer pour des êtres doués de peu de réflexion, et donc impropres à la communication .
Parlons-en de la communication! Elle va bon train en ce monde, surtout qu'on parle de tout et de rien, et que l'on fait aussi beaucoup de bruit pour rien. Dès lors, le vide sonore qu'on appelle communément silence, bien loin d'être une vertu, figure en tête de gondole des vices. Il faut absolument maîtriser son outil langagier, employer impérativement les mots branchés, ne pas jouer les abonnés absents des actualités régurgitées à volonté sur les réseaux sociaux. En un mot, il faut "avoir du swag"!
Bien-sûr , cette hyperprolixité verbale cache mal le vide abyssal dont souffre notre société . Si l'on veut combler tant de trous, reboucher tant de cavités, dissimuler tant de crevasses, c'est que l'on sent bien que face à nous, se dresse une béance incommensurable, celle qui nous sépare de la divinité. Le fossé s'est creusé de siècle en siècle . Nous avons dédaigné de l'écouter, ce Dieu qui parlait à notre cœur, et il a fini par se taire, lassé de nous voir nous éviscérer et nous vider de notre humanité.
Dans un monde désormais vide de sens, il ne nous reste plus qu'à contempler avec horreur le vide ultime de notre tombe qu'un jour nous emplirons de nos souvenirs, et surtout de nos regrets...