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samedi 27 septembre 2014

Ah, les soirées événementielles parisiennes!  Elles font rêver la terre entière ! Non pas tant pour les causes qu'elles défendent que pour les fastes qu'elles déploient .

D'abord le cadre. Il n'est jamais choisi au hasard. Rien n'est trop beau pour séduire des hôtes à la fortune prestigieuse. Éblouir, tel est le mantra! Les écrins aristocratiques sont les plus prisés. Ainsi châteaux, hôtels particuliers, palaces d'époque figurent au nombre des lieux les plus convoités . Les invités, il ne faut pas l'oublier, sont, dans leur majorité,  de simples roturiers. Certains se sont même taillé une réputation en cultivant la feuille de coca au fin fond de la Colombie. Alors, pour chasser de l'esprit l'idée qu'ils ont peut-être les mains sales, on prend des gants pour les accueillir. On les courtise assidûment , même si on les méprise profondément.

Question décor, on verse plutôt dans l'épure. Rien de mieux que les grands espaces vides. Pour tout mobilier , un canapé. On ne sait jamais. Il faut pouvoir ranimer la première victime d'une overdose de champagne millésimé. Car le bar à bulles ne chôme pas.  Il faut que ça pétille dans les coupes autant que dans les yeux.  À ce titre, une escouade de serveurs zélés glisse, avec l'aisance de patineurs confirmés, sur le parquet ciré.  Un ballet savamment chorégraphié .

Quant à l'assemblée, elle est aussi hétéroclite que les specimens d'un cabinet de curiosités.  On y croise des mannequins, aussi dégingandées que désargentées, accrochées à des gnomes vaniteux au compte bancaire excédentaire. Des créatures hyaluronisées , botoxées, et collagénisées , rescapées d'un parc zoologique et en passe d'être naturalisées. Des pseudo-artistes bizarrement accoutrés aux verres fumés spécial soirée. Et officiant derrière sa table de mixage, l'incontournable DJ, amateur de chansons vintage recyclées et décibélisees.

De quoi dérider l'assistance, me direz-vous. Eh bien, vous vous trompez. Elle est plutôt figée, l'assistance. On évite de rire...de peur des rides. Mais on sourit beaucoup, présence de photographes oblige. Il faut faire bonne figure pour avoir une chance d'être immortalisée sur papier glacé. L'argent que l'on a investi dans sa robe haute couture doit être au moins rentabilisé. Sans compter celui que l'on a dépensé pour soutenir la cause humanitaire de la soirée .

Au fait, quelle cause? Peu importe! Il y aura bien un maître de cérémonie pour rafraîchir les mémoires embrumées. D'ailleurs on l'appréhende, le fameux discours! Car à force de rester debout à prendre la pose et dévisager les autres invités, on commence à avoir drôlement mal aux pieds dans des stilettos de cryptofétichistes.  Et comme on s'interdit de poser son séant sur le canapé , la torture promet d'être illimitée .

Patience! Avant le prochain événement, on optera pour  un " Loub job". Gare au contresens! Cela ne veut pas du tout dire qu'on décrochera un job chez un certain Loub. Cela désigne simplement une injection de collagène sous les coussinets des orteils , et c'est tellement plus sexy qu'une semelle orthopédique. Après, on ne s'étonnera plus de s'entendre dire "quel pied ! ".

lundi 22 septembre 2014



Si l'amour a existé de tout temps, les rites qui lui sont associés ont évolué et pris, de nos jours, un caractère bien déconcertant. En guise de témoignage de sa flamme, l'amoureux transi gravait le nom de sa bien-aimée sur l'écorce d'un arbre. Avec la migration des populations rurales vers la ville et la raréfaction de la végétation, ce sont les bancs publics qui ont servi d'écritoire et d'exutoire à la passion. Jusqu'à ce que les grilles des ponts de certaines capitales n'excitent la convoitise des couples énamourés . 

Regardez le Pont des Arts à Paris! On peut dire qu'il porte bien mal son nom. Car quoi de plus inesthétique que la prolifération anarchique de ces "cadenas d'amour" qui l'encanaillent plutôt qu'ils ne l'ennoblissent. Sans compter que c'est de tous les coins du globe que des processions de tourtereaux migrent pour accrocher aux rambardes un cadenas supposé sceller leur amour. Les tonnes  de métal rajoutées ont tellement alourdi la passerelle autrefois si gracile qu'elle n'a pu résister au poids de tant d'effusions et a vu l'un de ses pans s'abîmer dans les eaux saumâtres de la Seine . 

Funeste présage! Serait-ce donc la manifestation du courroux divin?  Peut-être, après tout, Apollon, Dieu des Arts, a-t-il voulu marquer sa désapprobation devant la profanation de ce pont célébrant le pavillon des Arts du Louvre? Peut-être que Vénus n'a pas jugé décent qu'un vulgaire objet, d'un alliage aussi vil, soit utilisé pour célébrer le culte dont elle est la plus précieuse ambassadrice ? 

Pour ma part, je pencherais plutôt pour une autre hypothèse, celle dictée par la sagesse humaine, si tant est qu'il y en ait une. Comme le disait si bien Carmen , "l'amour est un oiseau rebelle que nul ne peut apprivoiser. Dès  lors, pourquoi vouloir le mettre en cage? Pourquoi s'évertuer à le cadenasser sur un ouvrage architectural qui trempe ses arches dans un fleuve aussi intrépide  que la Seine? Serait-ce un défi lancé à l'onde, élément le moins stable qui soit sur cette terre ? 

Apollinaire l'a pourtant bien perçue,  la qualité fugace et fugitive des sentiments humains . Grâce à lui,  le Pont Mirabeau, vivant tombeau de nos amours défuntes, ne connaîtra pas le sort de son cousin des Arts. Il a compris qu'aucune armure ne résiste à la labilité des choses de ce monde. Il sait que "L'amour s'en va comme cette eau Courante " et qu'il est vain de vouloir le retenir dans les rets de notre entêtement. Au lieu de cadenasser les ponts, verrouillons plutôt notre cœur. Il  n'en sera que plus préservé des errances de la raison et du miroitement des illusions dont, immanquablement, nous sommes le jouet quand nous tombons sous les coup de la passion . 

jeudi 18 septembre 2014

La solitude joue , dans notre vie , autant de personnages que nous possédons d'états d'âme . Tantôt adulée , tantôt anathémisée  , elle est notre amie tout autant que notre ennemie . Souvent elle tient le rôle de confidente pour nous accueillir dans ses bras et recueillir nos larmes . La pudeur nous engage à la convoquer : il est si obscène de vouloir étaler ses malheurs . Surtout ceux qui émanent du cœur . Elle est l'antichambre de notre douleur , la chambre mortuaire de nos amours exsangues  .

D'ailleurs , n'a-t-elle pas, pour qui la goûte,  la saveur de la mort ? N'est-elle pas la mise en bouche d'une autre solitude , pesante et mortifère , que l'on voudrait fuir mais qui sans cesse nous poursuit , une fois que l'âme sœur a déserté notre demeure ? Ce sentiment de vide qu'elle enfante en nous  , c'est celui d'une petite mort , nom pourtant attribué à la jouissance,  si éloignée d'elle de par son essence.  Car si c'est à une apothéose des sens que conduit l'extase charnelle, c'est à leur mise au tombeau qu'assiste , impuissant, l'amoureux éconduit .

De nos cinq perceptions , une seule est  épargnée.Et c'est bien là notre infortune . Car il n'y a pas plus mortifiant que d'être cloués au pilori de la vue , alors que notre souhait le plus cher est de fermer les yeux sur ce monde qui désormais nous indiffère .  En se dérobant à notre intimité , l'être aimé nous condamne à faire le deuil du toucher ( de son corps ) , de l'ouïe ( de sa voix ) du goût ( de ses lèvres ) et de l'odeur ( de sa peau ) .

Ainsi la solitude devient la convive inamovible de nos froides agapes , la compagne inviolable de nos nuits d'insomnie . Le téléphone s'épuise à sonner  dans le vide , le courrier n'est plus décacheté , les sorties sont évitées  , les amis ignorés. L'on se laisse apprivoiser par le silence , écrin et écran de nos souvenirs  où se redessinent les contours d'un bonheur perdu . Et l'on se dit que la solitude est féconde , qu'elle n'est pas aussi stérile qu'on le croit , que si nos sens sont en sommeil , notre mémoire est en éveil , et que tant qu'elle vibrera de nos émois passés , l'arc-en-ciel de l'espoir irisera notre avenir .