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mardi 29 mars 2016

Si j'avais tellement à coeur de défendre la liberté des créatures de la nature , c'est que je la respirais à pleins poumons , cette liberté , dans mon royaume qui surplombait  la mer . J'attendais les mois d'été avec impatience pour déserter la forteresse où les roses bercées par la brise marine croissaient avec vigueur , et m'aventurer sur les rochers afin de contempler , au loin, le départ quotidien de l'énorme navire chargé de nostalgie à destination du "continent ". Pour cela , Il me suffisait de tourner la clé rongée par les embruns du portail en bois tout au fond du jardin pour me retrouver dans une nouvelle aire, minérale, presque sidérale tellement elle semblait s'opposer au soleil dans un face-à-face aveuglant: la plage . Elle n'était accessible à l'époque qu'aux résidents du chapelet de villas qui lui servaient de rempart. Aussi avais-je l'impression d'en être l'unique propriétaire, vu qu'aucun autre humain ne semblait en apprécier l'existence .

Ce n'était pas une étendue de sable fin, comme celle qui alimente les fantasmes de tant de vacanciers . Il s'agissait d'un sable dont la granulosité était plus épaisse. Sur la grève, gisaient, pèle-mêle, les minuscules spécimens d'un cabinet de curiosités à ciel ouvert: des galets blancs veinés de noir que j'aimais faire rebondir sur la crête des vagues; des bris de verre multicolore polis par le sel marin; des tesselles de céramique, comme si des courants malins s'étaient amusés à desceller d'hypothétiques mosaïques tapissant les profondeurs marines; des coquillages marbrés, striés, ou nacrés, que je ramassais pour en faire des colliers; et, quand survenaient des tempêtes et que la houle lançait au galop sur la mer des vagues aux crinières échevelées,  des bouts de bois de taille variable, vestiges de naufrages imaginaires comme ceux qui naissent dans l'esprit des enfants une fois qu'on leur a fait lecture des tribulations maritimes d'un certain Robinson .

Cette plage, avec ses trésors étalés en plein soleil, son enceinte de maisons qui la murait dans une solitude étincelante, avait une poésie particulière que je n'ai jamais retrouvée par la suite. Sans doute était-ce  la poésie de l'enfance, celle qui jaillit en nous quand on regarde le monde sans en comprendre encore le sens et qu'on le croit peuplé de créatures merveilleuses aux destins fabuleux. Cette plage devait être sans doute bien banale, comparée à d'autres, mais à mes yeux de petite fille ébahie, elle valait tous les palais des mille et une nuits que j'ai pu visiter depuis .



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