Qu'il s'agisse d'un vol ou d'un viol , d'un divorce ou d'un deuil , d'une maladie ou d'un accident , nous avons soudain le sentiment d'être injustement malmenés par les circonstances , de n'avoir pas mérité ce qui nous arrive , que la vie est assez dure comme ça pour ne pas encombrer notre horizon d'obstacles qui entravent notre élan.
Il serait plus sage de se demander pourquoi on n'y a pas pensé avant , pourquoi l'on a fait preuve de tant de naïveté dans ce domaine alors qu'on manifeste tant de sagacité dans d'autres . Si ça arrive aux autres , ne sommes-nous pas nous-mêmes les autres des autres ? D'où vient notre prétention à vouloir être préservé des préjudices subis par notre prochain ? Est-ce à dire que ce dernier , lui , a une prédisposition plus grande au malheur que nous, et qu'il est donc tout désigné pour jouer le rôle de la victime expiatoire ?
On se rappelle notre air fataliste quand telle ou telle de nos connaissances avait subi un coup du sort . On se souvient d'avoir prononcé des paroles comme : il ( elle ) n'a pas de chance ! Il ( elle ) est né(e) sous une mauvaise étoile! En disant cela , on tentait ainsi de s'immuniser contre le malheur , lui assigner une sphère d'influence éloignée de notre existence , en en rejetant la faute aux astres .
L'on aurait dû plutôt y voir un signe annonciateur de notre avenir prochain , s'estimer chanceux d'avoir été épargné jusque-là , et se préparer non plus seulement au meilleur mais aussi au pire . La chute , qu'elle arrive tôt ou tard , sera inévitable . Alors pour lui ôter son caractère redoutable , autant l'anticiper pour mieux l'apprivoiser . Et remercions les autres de nous avoir enseigné , sans le vouloir , que si nous ne sommes pas des dieux, nous n'en sommes pas moins des hommes.