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vendredi 14 novembre 2014

On mesure la décadence d'une société au baromètre de ses centres d'intérêt. Il suffit que la masse hétéroclite qui la compose, hommes et femmes confondus, porte une attention trop soutenue à la corporéité pour que, brusquement, la chute de l'humanité soit amorcée. Par corporéité, j'entends tout ce qui a trait au corps humain, de la  présentation qu'on choisit de faire de son propre corps au monde  à la représentation plastique, graphique ou discursive dont il est l'objet dans le domaine des arts ou de la discussion courante.

On ne peut nier que notre époque voue un culte hyperbolique aux anatomies sculpturales, modelées par les séances intensives de musculation dans les salles de sport à l'éventail d'activités variées. Même les plus réfractaires d'entre nous sont certaines de trouver de quoi satisfaire leur envie de dégourdir leurs membres ankylosés par une sédentarité forcée . Pilates, yoga, fitness, arts martiaux, sans oublier les multiples danses latines tropicales (salsa , tango, bachata) nous promettent des plastiques de rêve qu'on veut à tout prix transformer en réalité . On fait de son corps un champ de bataille, non pas tant pour séduire les hommes que pour se séduire soi-même.

Cette glorification du corps par l'effort se couple, pour certaines, à une obstination à vouloir le conformer, par des moyens artificiels, aux oukazes esthétiques que la dictature masculine impose. En ce moment, poitrines et postérieurs se doivent d'avoir des volumes aux proportions felliniennes, obligeant les collections de lingerie à miser sur le XXL plutôt que le XXS. Les nus de Botéro, peintre  qui clamait haut et fort sa dilection pour les femmes girondes aux poitrines opulentes, n'ont jamais été aussi convoités. Les bronzes décharnés de Giacometti sont désormais boudés par les amateurs d'art qui leur préfèrent les sculptures africaines aux formes voluptueusement pleines.

La nudité s'étale sans plus aucune retenue: sur les couvertures de magazines et les profils des réseaux sociaux; dans les cafés aussi, où des intégristes féministes n'hésitent plus à exhiber leurs seins gorgés de lait pour donner la tétée à leurs bambins. La pornographie a supplanté l'érotisme. Good bye Emmanuelle, Welcome Gorge Profonde. Les porn stars, lassées d'utiliser leur cul, commencent à utiliser leur tête. Certaines s'improvisent écrivains. Il est fort à parier que plus d'hommes connaissent le style de Sasha Grey plutôt que celui de Wilde dans Dorian Gray.

 Cette obsession pour le corps boursouflé et surexposé a même imprégné les discours journaliers. Les discussions sont remplies de langage grossier, de vocabulaire ordurier centré sur les parties de notre anatomie ordinairement cachées. Sur les plateaux télé, dans les blogs primés, dans les cours de récré, ce ne sont qu'obscénités et insanités. Le corps, autrefois vénéré par les poètes et sanctifié par la papauté, se retrouve immolé sur l'autel de l'indécence . Les parties génitales et l'orifice fécal en prennent plein leur grade. Entre les " Va chier!", " Enculé! ", "Couille molle!" " Nique ta race!" , "Tête de cul" ,  et j'en passe, on ne sait plus à quel saint se vouer.

Moi-même, je crains d'être contaminée. Après le règne de la culture, voici l'intronisation de la cul-ture! Bientôt les bimbos se lanceront dans la politique, et les énarques deviendront des bimbos. Les présidents de la république nommeront des ministres aux mensurations bien spécifiées. Le sénat et l'assemblée ne seront pas en reste. On fera sortir de l'hémicycle celles qui ne porteront ni mini-jupes ni bas résille. Du coup, dans la chambre des députés, les débats ne risqueront plus de s'éterniser  et les hommes ne seront plus surpris en train de sommeiller. Est-ce à dire que la France sera finalement sauvée? Ça, par contre, ce n'est pas du tout gagné...

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