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vendredi 14 février 2014

Quand s'ouvre , à notre naissance , le livre de notre vie , on ne sait jamais combien de pages blanches l'on aura à noircir à l'encre de notre expérience.  Certains d'entre nous n'auront que quelques  chapitres à inscrire dans l'ouvrage de leur existence. Ainsi en aura décidé le Tout-Puissant. D'autres jouiront du  droit de conter leur histoire en plusieurs volumes  , d'en raturer ou même d'en déchirer les pages , afin d'en faire bénéficier leur descendance .Plus rares sont ceux  qui auront le privilège de composer leur vie comme un poème . Ce sont les artistes  . Ce n'est pas de la prose qu'ils nous proposent , mais des vers aux rimes croisées ou embrassées qui embrasent notre âme.

Au sein de la communauté artistique, peintres  et  sculpteurs jouissent d'un statut à part.C'est dans la matière qu'ils impriment leurs désirs inconscients,  leurs obsessions, leurs pulsions de vie ou de mort . Par la couleur et la forme , ils nous  donnent à voir leur vision du monde . Libre à nous de la faire nôtre ou de la rejeter . Si leur oeuvre, de par sa matérialité,  perdure dans le temps, il n'en est pas de même pour celle des musiciens, comédiens ou danseurs . Artistes de l'éphémère par excellence , leur art est subordonné à une temporalité des plus restreintes : la durée de la représentation. Leur médium est le corps , leur patrie , la scène . Plus que tout autre artiste, ils n'ont pas droit à l'erreur. Une toile , une sculpture  peuvent  être détruites si elles ne sont  pas jugées satisfaisantes par leur créateur. Une représentation, non.

Pour notre plus grand bonheur , l'asservissement du spectacle artistique à des contraintes spatiotemporelles bien définies nous le rend encore plus intense.Car pour les véritables artistes, ce qui pourrait sembler une entrave n'est,en fait,que le tremplin indispensable à un dépassement de soi. Leur interprétation transcende l'espace et le temps en nous transportant dans des contrées imaginaires avec, pour terreau , une partition, un texte ou une chorégraphie .Plus que les plasticiens, ils font résonner en nous nos cordes les plus sensibles . Sans doute parce qu'ils utilisent un langage bien particulier . Celui de la musique: celle  des notes , des mots, mais aussi celle des corps . Car la danse ,en tant qu'art, ne se résume pas à un enchaînement  de mouvements mécaniques  sur une toile de fond sonore . Elle nécessite une totale fonte des corps dans le creuset de la musique pour que le miracle s'accomplisse .

Ce miracle , c'est l'émotion. C'est ce bouleversement de notre être qui nous submerge sans crier gare et nous régénère . Comme le surgissement du grand amour , éblouissant , violent , mais jamais destructeur . Comme la révélation fulgurante de la foi .Rares sont les danseuses  qui parviennent à ébranler les fondations de notre être pour nous faire savourer ces instants de grâce . Seules celles qui ont l'intelligence de détourner notre attention de leurs prouesses techniques y excellent.  Elles nous rappellent qu'il ne faut pas confondre  l'art du ballet avec l'art circassien . Trop de spectateurs , il est vrai, se comportent à Garnier comme au cirque: ils applaudissent des fouettés comme on applaudirait les figures d'un acrobate...

  Il serait grand temps de rendre grâce à ces ballerines exquises, ces divinités trop souvent oubliées dès que le rideau tombe . Comme les astres la nuit, elles illuminent notre parcours  et font reculer les ombres parfois tentées d'obscurcir notre vie. Mais à quel prix ! le profane l'ignore. Pour être disciple de Terpsichore, il faut se consacrer corps et âme à son art, au mépris de la douleur physique , et parfois même morale.  Quand on danse, on se doit d'être plus qu'humain, on doit tendre vers le divin. Afin de conjurer la mort , afin de laisser à la postérité le soin de continuer le livre de notre vie.

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