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mardi 30 décembre 2014




En ces périodes de fêtes hivernales dévolues, plus que toutes autres , aux  retrouvailles familiales , je me promis , une fois n'est pas coutume , de faire une bonne action et de prendre de fermes résolutions dans le domaine de la communication pour entrer dans les bonnes grâces de mes divins parents .

Étant une fervente prosélyte des nouveaux outils numériques, je m'étais souvent entendu reprocher mon manque d'implication dans tout ce qui touche à l'art de la conversation . Il est vrai qu'à force de glisser mes doigts fébriles sur des écrans tactiles , j'en oubliais même le boire et le manger , et ma langue commençait sérieusement à se scléroser du fait d'être si peu utilisée . 

Des detox , j'en avais déjà fait par le passé. Les défis , j'adore me les lancer . Il me plait de prendre des décisions brutales , trancher les nœuds gordiens , partir la baïonnette au point . Ainsi quand il fallut m'astreindre à restreindre mes inclinations congénitales pour les nourritures caloriquement fatales , je ne rechignai point . Cela devint le souverain bien que je devais sans plus attendre atteindre .

J'avais donc suivi le régime prescrit par mon nutritionniste et avais consommé des pommes sans modération , matin , midi et soir , jusqu'à n'en plus pouvoir . Je saisis , au bout de trois jours, toute la portée symbolique de ce fruit biblique . Car il m'expulsa , comme Eve, du paradis ( gustatif ) et m'infligea les pires tourments gastriques et bien des désagréments dyspeptiques . 

J'aurais dû en prendre de la graine et me méfier de mes entreprises trop téméraires . Mais étant butée de nature , je ne doutai aucunement que mon projet de detox digitale ne soit couronné de succès et rangeai donc au placard portables et tablettes susceptibles de faire obstacle à l'accomplissement d'un dessein aussi élevé . 

Une âme charitable , connaissant ma fibre de geek avérée  , m'avait mise en garde contre le démon de l'hyperconnectivité  . Dans un élan de générosité , elle m'avait conseillé de pratiquer la psychologie positive et , par prudence , d'adjoindre à ma cure quelques séances de sophrologie  . Je lui avais ri au nez ! Pour qui me prenait-elle donc ? À croire que je n'allais pas tenir mes engagements ! 

Quels délices furent les miens quand , à la première aurore de ma detox,  je me reveillai au chant du coq ( façon de parler ) et non à l'alarme programmée de mon smartphone ! Quel soulagement de ne pas devoir consulter ma messagerie 2.0 , retweeter  les  catastrophes synthétisées  par l'oiseau bleu (de si mauvais augure ), me réjouir des compliments de mes prétendants Tinderisés , commenter les statuts de mes amis facebookisés et liker les selfies de ceux instagrammisés ! 

Le mot de liberté prit d'emblée tout son sens  . Les chaînes de l'asservissement venaient de tomber . De vassal , j'étais devenue suzerain et prête à explorer les fiefs de ma créativité. J'entrai dans une nouvelle temporalité , non pas celle dictée par les alertes , les bannières , les sons inopinés en provenance des divers écrans de mon empire technologique , mais celle de l' "otium" tant vanté par les Sages de l'antiquité , ce temps béni où, dégagés des contingences matérielles ,  l'on médite fructueusement sur notre vie . 

J'en profitai pour relire Shakespeare . Je retrouvai la compagnie d'Hamlet , Macbeth et King Lear que j'avais injustement abandonnés depuis mes années d'université  . Alors commencèrent à émerger en moi des angoisses diffuses . Les doutes m'assaillirent . J'en perdis le boire et le manger . To eat or not to eat , that is the question ! C'est la question que se posèrent mes parents décontenancés , dépités de ne me voir toucher à aucun de leurs  mets raffinés .

Mes doigts commencèrent à pâtir de leur inactivité . J'eus soudain peur qu'ils ne perdent de leur agilité. Mon cerveau aussi commença à se dégénérer .  Un étrange symptôme , que les spécialistes ont baptisé le PPAC ( acronyme de "peur de passer à côté ") ne tarda pas à se manifester . J'eus le sentiment que la terre s'était brusquement arrêtée de tourner , moi  qui m'étais exclue de la communauté des ultraconnectés . 

L'envie me prit de confier mon désarroi à mon amie avisée , mais pour cela il me fallait me réapproprier le pharmakon ( oui , j'avoue , il m'arrive d'être cuistre ) que j'avais éloigné volontairement de ma portée . To phone or not to phone , that is the question . 

Sans hésiter , je la tranchai , cette question maudite . Je me saisis de l'objet du délit , l'allumai avec précipitation , fus la proie de palpitations cardiaques tellement intenses que je craignis devoir subir une défibrillation  . Une pomme à demi croquée apparut sur l'écran , qui me rappela des souvenirs déplaisants de digestion difficile . Je tempêtai contre la lenteur d'affichage de ma page d'accueil , avec , en médaillon , l'élu de mon cœur . ( Je ne vous dirai pas son nom, pour ne pas nuire à sa réputation ).


Quand, finalement , la lumière fut , mes questions existentielles se dissipèrent instantanément . Un sourire béat illumina mon visage. De douces sonorités tintèrent à mes oreilles . Des notifications à profusion , des SMS  , des emails, des  messages vocaux agitèrent mon portable de spasmes  ininterrompus que ma main eut du mal à contenir. J'en oubliai de joindre mon amie . Je tressaillis de bonheur ! J'avais retrouvé le goût à la vie! Mon appétit revint , ce qui rasséréna mes parents , qui se perdaient en conjectures sur l'origine de mon chagrin. Une chose est sûre , pour 2015, ma résolution est prise ! Je ne prendrai plus AUCUNE résolution ...

jeudi 18 décembre 2014



Ah, ces hommes! Ils me feront toujours sourire, eux et leurs tentatives de me séduire. Il est vrai qu'ils sont mieux armés pour faire la guerre, avec leurs bataillons et leurs stocks de munitions.Car  quand il s'agit de croiser le fer avec moi, les voilà bien "marris ", comme aurait dit Montaigne, et non pas " maris ". Loin de moi l'idée de les unir à ma destinée. Une fois m'aura suffi ...

Ce que je déplore , c'est l'indigence de leur lexique quand il s'agit de nous aborder nous, le beau sexe ! Plus ils ont de richesses matérielles, moins ils en ont de spirituelles. Leur humour semble s'être tari. Au lieu de mûrir et d'affûter leur esprit , ces messieurs s'atrophient et le laissent en friche, de sorte que l'ennui nous assaillit assez vite et que, pour lutter contre une telle accumulation de poncifs , il ne nous reste qu'à vider d'un trait la coupe de Ruinart que l'on a eu la bonne idée de commander.

Ravissante , jolie , charmante , mais encore ? Brodez , brodez!   s'exclame la Roxane de Rostand qui s'éveille en moi . Quels beaux yeux , quelle belle bouche , quels beaux pieds même ! (On reconnaît  les fétichistes à la façon dont ils  fixent avec insistance nos talons. ) Peine perdue ! Nos prétendants nous offrent du brouet alors que nous espérions  des crèmes. Ils sont de piètres cuisiniers , il est vrai , et les mises en bouche qu'ils nous servent sont soit trop fades soit trop épicées. Mais elles ne sont rien , comparées au plat de résistance ! C'est là qu'ils dévoilent  tout leur art...

Devinez la question qu'ils n'ont pas osé poser, mais qu'ils nous lancent comme un projectile via leur mobile,en catimini sous la table,  pour dissiper leur inquiétude ? " Es-tu  coquine ?". Pas au sens  de malicieuse évidemment , mais de licencieuse . Car certains ne cachent pas leur prédilection pour les ébats d'un type bien particulier dans des clubs d'un genre tout aussi particulier . Que voulez-vous ! Ils ont l'esprit tellement large qu'ils ne voient aucun mal à partager leur compagne . Et puis, comme dit  le dicton :  plus on est de fous , plus on rit !

Très drôle , en effet ! Moi, dans ces cas-là, je n'attends pas le dessert. Je les fixe langoureusement de mes si beaux yeux, je laisse se dessiner un  sourire coquin sur ma si belle bouche, et je tourne les talons sans même leur donner le temps de contempler mes jolis pieds. Et je les plains, ces pauvres hommes , qui ne connaissent ni l'art d'aimer d'Ovide , ni les élégies de Catulle, ni les poèmes de Ronsard ni les sonnets de Shakespeare, Je me dis aussi que, même si bas bleu rime  avec fleur bleue, j'en préfère la couleur à toute la grisaille des petits matins , quand ils sortent de leur club libertin , désenivrés et vidés de leurs envies , après avoir vainement essayé de  tromper l'ennui de leur vie...

dimanche 7 décembre 2014


J'ai testé pour vous Tinder . Pour celles qui ne connaissent pas , c'est l'appli mobile qui fait des étincelles dans le cœur des petites et des grandes de 7 à 77 ans. Finis  les sites de rencontre "has been" qui vous obligeaient  à remplir des questionnaires bidon pour dénicher les plus beaux étalons de la Création.  Les souris, c'est connu, font fuir les équidés. Surtout quand on clique trop dessus.

Désormais Tinder , qu'il ne faut pas confondre avec Kinder ( le chocolat ), nous réserve des surprises à gogo . Avec son logo en forme de flamme, ce nouveau réseau social met le feu aux poudres en nous proposant de "liker"ou non des brochettes de mâles alpha, mais surtout gros bêta, qui étalent leurs appâts sur des selfies artistiques ou artisanaux supposés déchaîner notre libido. J'ai bien dit "supposés". Car, pour ma part , la magie n'a guère opéré . En cliquant sur un coeur (pour signifier notre émoi) ou une croix ( pour manifester notre effroi), on voit défiler sur notre écran les clichés de  potentiels prétendants , vus de profil ou de face, en plongée ou contre-plongée.

 Statistiquement parlant , on note une forte proportion de bipèdes a la silhouette tronquée (volontairement  décapités en l'occurrence ) , sans doute pour nous inciter à nous focaliser exclusivement sur leurs abdomens musclés ( les fameuses tablettes de chocolat , mais pas celles de Kinder , hélas) . Les hommes troncs, ça n'a jamais fait fantasmer personne, sauf, peut-être, les amateurs de freak shows ( foires aux monstres ), mais ça,  c'était  il y a fort longtemps. 

En deuxième position se trouvent les fêtards  levant un verre à moitié rempli d'un breuvage aisément identifiable. Passe encore s'il s'agissait d'un élixir d'amour. Mais à voir la face hilare et le regard goguenard de ceux qui le brandissent, on se prend à douter des vertus aphrodisiaques de ce nectar nocturne. En tout cas , je dois avouer que le spectacle de telles libations ne m'a pas laissée tout feu tout flamme .

Une catégorie non négligeable de matamores au volant de décapotables ( probablement louées à la journée) a ensuite retenu mon attention. Bien mal leur en a pris. J'ai plus admiré la carrosserie du bolide dont ils faisaient la réclame que l'air fat qui émanait de leur visage. J'allais oublier les bikers , les rockeurs, les rappeurs , les dompteurs de tigres ( enfin, de bébés  tigres ), les amateurs de sport extrême ( skydiving, flyboarding, base jumping, kitesurfing ), les fumeurs de marijuana , les surfeurs etc. 

Mais c'est surtout les bluffeurs dont il faut à tout prix se méfier. Pour s'assurer qu'on va les remarquer et les liker, ils n'hésitent pas à uploader les clichés de golden boys surdiplômés qui exercent leurs talents en salle de marchés. Mauvais calcul! Il faut peu de temps pour découvrir leur supercherie. Au premier échange, les imposteurs sont démasqués. On découvre bien vite que l'arithmétique n'est pas leur fort et que l'orthographe n'est pas leur tasse de thé . 

Parlons-en, des échanges. Ils ne sont guère variés. Peu de gentlemen, en règle générale, et bien trop de queutards ! Que voulez-vous ! Le Viagra fait beaucoup de ravages. Au lieu de nous inviter à prendre un verre pour discuter, ces messieurs nous parlent directement de préliminaires et d'oreillers . Bref, avec Tinder comme avec Kinder, on n'est pas au bout de nos surprises . Reste que, contrairement au chocolat, l'appli nous laisse un goût des plus amers...

vendredi 28 novembre 2014

L'automobile, c'est mon dada. Il me suffit de voir la carrosserie coruscante d'un bolide supersonique avec ses 500 chevaux sous le capot pour que j'enfourche Pégase et que je déclame illico ma flamme à son occupant. Sans doute parce que, en chantre inconditionnel de la conquête spatiale, je perçois les vrombissements assourdissants et les accélérations sidérantes comme un avant-goût des vols suborbitaux que bientôt le touriste de l'espace sera en mesure d'effectuer .

Mais mon attraction pour les astres n'explique pas tout. Il y a autre chose qui fait que je préfère me blottir dans l'habitacle d'une Aston Martin plutôt que dans celui d'une Austin Mini. Se lover au creux de leurs sièges gainés de cuir, c'est régresser au stade utérin et retrouver la sensation perdue du ventre maternel qui nous a portés jusqu'à notre expulsion. C'est aussi lâcher prise, mettre un frein à notre incoercible besoin de nous agiter en tout sens, et accepter d'abandonner notre corps immobile aux vibrations sensuelles de la mécanique .

Mais avant d'atteindre le septième ciel et de pouvoir nous propulser sur les rubans d'asphalte à une vitesse euphorisante, il nous faut remplir une condition sine qua non. Faire les yeux doux au destin et prier tous les saints pour obtenir le passeport sans lequel nos désirs d'évasion demeureront à jamais à l'état de frustration: le permis de conduire! Oui! Ce bout de carton rose bonbon! Que de génuflexions et de compromissions serions-nous prêts à faire pour nous le procurer, lui qui nous donne le feu vert pour sillonner les routes de notre vaste terre, et réaliser, qui sait, peut-être un jour, des rallyes dans le désert!

Mais le chemin pour obtenir ce billet doux n'est guère pavé de roses. Il s'apparente plus à un parcours du combattant qu'à une promenade de santé. D'abord choisir l'auto-école appropriée, de préférence située à quelques enjambées de votre maisonnée. Proscrire à tout prix celles qui vous obligent à trop marcher à pied. Les tendons d'Achille doivent être préservés pour être à même d'actionner avec agilité le pédalier, certes pour accélérer,  mais aussi, sécurité oblige,  freiner avec tonicité .

Le poignet droit nécessite, par ailleurs, d'être choyé au même titre que vos pieds. Car il est aux commandes du boîtier sans lequel le passage des vitesses ne pourrait être opéré. Il est impératif de manipuler ce dernier avec dextérité, et surtout , de ne pas le brusquer . Il est très rancunier, ce boîtier , et n'hésite pas à vous faire caler en pleine montée si vous étiez coupable de la moindre inhabileté. Démarrer en côte, ce n'est pas très aisé, surtout quand on n'est pas très expérimenté. On ne manque jamais de se faire remarquer...

Faire des pieds et des mains pour avoir son permis, cela ne suffit pas. Il faut avoir bon pied, mais surtout bon œil. Pas tant pour zieuter le visage des autres conducteurs susceptibles de faire battre votre cœur ( quand le vôtre n'est pas encore pris ), mais pour le fixer sur les  rétroviseurs sans oublier le fatal angle mort, si mal nommé, car sans lui, il y a belle lurette que nous ne serions plus en vie .

Mais j'oublie le principal. Sans doute parce qu'il me fut fatal. Que voulez-vous! L'inspectrice, lèvres pincées et sourire en coin, m'ordonna de prendre la direction d'une charmante localité au moment où je m'extirpais péniblement de l'anneau d'un carrefour giratoire à branches multiples, suivie de près par un poids lourd aux dimensions épiques... La sueur perlait à mon front car, dans ma précipitation, je ne pus repérer la destination voulue assez rapidement. Et, bien évidemment, quand j'y parvins enfin, j'oubliai d'enclencher le CLIGNOTANT!!!!

Vous imaginez la suite : AJOURNÉE ! Adieu veaux, vaches, cochons! Je vis filer à vive allure  l'Aston Martin de mes rêves, et même l'Austin mini, trop contente de me faire la nique , moi qui  ne lui avais témoigné que du mépris. Depuis cette mésaventure, je tiens en respect tout véhicule à quatre roues, du moins sophistiqué au plus raffiné. Et, le croirez-vous, je suis passée maître en la signalisation des changements de direction. Ainsi, si vous croisez, par le plus grand des hasards, un véhicule usant et abusant des feux de détresse, vous devinerez sans hésitation qui se trouve au volant. Au moins, on ne pourra plus me reprocher d'avoir oublié le clignotant...

vendredi 21 novembre 2014




La vie, on la reçoit sans l'avoir demandée. Un jour, on naît, sans l'avoir décidé. Et on est bien obligé de faire avec. On ne se pose pas trop de questions. Pas encore du moins. C'est en grandissant qu'on se dit que c'est pas si simple que ça, de vivre. Que tout le monde n'a pas les mêmes chances au départ. Que pour rester en vie, il va falloir la gagner, cette vie. Un peu comme à la loterie .

On essaie alors de décrocher le gros lot, le super boulot qui va nous propulser un peu plus haut que les autres. Et quand on l'a, on se rend compte qu'on est tous au même niveau. Que la vie n'est pas si rose que ça. Qu'il y a plus souvent des matins gris où l'on préfère rester au lit que de se lancer des défis pour se prouver qu'on est bien en vie .

On choisit ensuite de la partager, notre vie. Mieux vaut affronter l'inconnu à deux plutôt que de monter seul au créneau. Car on en a engagé, des batailles. Et ce n'est pas fini. Notre instinct de survie est bien là, qui nous colle à la peau. Alors, on s'y accroche, à cette putain de vie. Car certains l'ont perdue sans même l'avoir voulu. Un accident, une maladie, et ils ont disparu. On sait seulement qu'on ne les reverra plus.

On comprend alors qu' il faut tenir bon. Surtout si on on a soi-même donné la vie. On ne peut plus faillir. On se sent désormais investi d'une mission, celle de la transmission. On a certes perdu nos illusions, mais on fait tout pour masquer notre amertume et oublier nos unions d'infortune .

C'est à ce moment qu'on lui découvre un sens, à la vie. On s'en veut de ne pas l'avoir découvert plus tôt, occupé qu'on était à courir après le bonheur et les honneurs. On se dit que puisqu'elle  ne tient qu'à un fil, il faut tout faire pour qu'il nous relie à ceux que l'on chérit. Et on se met enfin à lui sourire, et à lui pardonner de nous avoir parfois tant fait souffrir . Car, quoi qu'on dise, au bout du compte, on n'en aura  jamais qu'une seule, de vie.

vendredi 14 novembre 2014

On mesure la décadence d'une société au baromètre de ses centres d'intérêt. Il suffit que la masse hétéroclite qui la compose, hommes et femmes confondus, porte une attention trop soutenue à la corporéité pour que, brusquement, la chute de l'humanité soit amorcée. Par corporéité, j'entends tout ce qui a trait au corps humain, de la  présentation qu'on choisit de faire de son propre corps au monde  à la représentation plastique, graphique ou discursive dont il est l'objet dans le domaine des arts ou de la discussion courante.

On ne peut nier que notre époque voue un culte hyperbolique aux anatomies sculpturales, modelées par les séances intensives de musculation dans les salles de sport à l'éventail d'activités variées. Même les plus réfractaires d'entre nous sont certaines de trouver de quoi satisfaire leur envie de dégourdir leurs membres ankylosés par une sédentarité forcée . Pilates, yoga, fitness, arts martiaux, sans oublier les multiples danses latines tropicales (salsa , tango, bachata) nous promettent des plastiques de rêve qu'on veut à tout prix transformer en réalité . On fait de son corps un champ de bataille, non pas tant pour séduire les hommes que pour se séduire soi-même.

Cette glorification du corps par l'effort se couple, pour certaines, à une obstination à vouloir le conformer, par des moyens artificiels, aux oukazes esthétiques que la dictature masculine impose. En ce moment, poitrines et postérieurs se doivent d'avoir des volumes aux proportions felliniennes, obligeant les collections de lingerie à miser sur le XXL plutôt que le XXS. Les nus de Botéro, peintre  qui clamait haut et fort sa dilection pour les femmes girondes aux poitrines opulentes, n'ont jamais été aussi convoités. Les bronzes décharnés de Giacometti sont désormais boudés par les amateurs d'art qui leur préfèrent les sculptures africaines aux formes voluptueusement pleines.

La nudité s'étale sans plus aucune retenue: sur les couvertures de magazines et les profils des réseaux sociaux; dans les cafés aussi, où des intégristes féministes n'hésitent plus à exhiber leurs seins gorgés de lait pour donner la tétée à leurs bambins. La pornographie a supplanté l'érotisme. Good bye Emmanuelle, Welcome Gorge Profonde. Les porn stars, lassées d'utiliser leur cul, commencent à utiliser leur tête. Certaines s'improvisent écrivains. Il est fort à parier que plus d'hommes connaissent le style de Sasha Grey plutôt que celui de Wilde dans Dorian Gray.

 Cette obsession pour le corps boursouflé et surexposé a même imprégné les discours journaliers. Les discussions sont remplies de langage grossier, de vocabulaire ordurier centré sur les parties de notre anatomie ordinairement cachées. Sur les plateaux télé, dans les blogs primés, dans les cours de récré, ce ne sont qu'obscénités et insanités. Le corps, autrefois vénéré par les poètes et sanctifié par la papauté, se retrouve immolé sur l'autel de l'indécence . Les parties génitales et l'orifice fécal en prennent plein leur grade. Entre les " Va chier!", " Enculé! ", "Couille molle!" " Nique ta race!" , "Tête de cul" ,  et j'en passe, on ne sait plus à quel saint se vouer.

Moi-même, je crains d'être contaminée. Après le règne de la culture, voici l'intronisation de la cul-ture! Bientôt les bimbos se lanceront dans la politique, et les énarques deviendront des bimbos. Les présidents de la république nommeront des ministres aux mensurations bien spécifiées. Le sénat et l'assemblée ne seront pas en reste. On fera sortir de l'hémicycle celles qui ne porteront ni mini-jupes ni bas résille. Du coup, dans la chambre des députés, les débats ne risqueront plus de s'éterniser  et les hommes ne seront plus surpris en train de sommeiller. Est-ce à dire que la France sera finalement sauvée? Ça, par contre, ce n'est pas du tout gagné...

vendredi 7 novembre 2014

Dans le monde au sein duquel nous vivons, le propre de l'homme,  ce n'est plus de rire, mais de compter. Oui, de compter. Le chiffre est roi. Il gouverne notre moi. Nous évoluons dans une dictature du nombre avec, pour seul ministère, celui de la computation .

Notre corps, par exemple. Il est la première victime de notre assujettissement à l'arithmétique. On le pèse, le mesure, l'ausculte. Trop de kilos et nous voilà, nous les femmes,  devenues son bourreau, avec, en prime, notre moral à zéro. Chasser les calories devient le maître-mot . On les traque sans relâche , et chaque passage sur notre balance a pour effet d'accroître le nombre de nos palpitations cardiaques .

Si l'on veut perdre des kilos, on veut, en revanche, gagner des euros . Et pour cela, il faut exercer un boulot sûr de nous rapporter gros. Sur nos copies d'école, c'est le chiffre 20 qu'il faut viser. Pour parodier César, on choisit comme devise : j'eus vingt, je vis et je vainquis. Et pour tenir le haut du pavé , mieux vaut être médaillée sur le podium des vanités. On y gagne en popularité, même si on y perd en authenticité.

Si on est médiocre en maths et mauvaise en français, il nous reste à décrocher le gros lot, soit en jouant au loto, soit en épousant un rentier nigaud, et lui faire croire qu'on est accro. Mais pour le garder bien au chaud et éviter qu'il ne file avec une bimbo, il faudra dépenser quelques lingots pour garder une peau bien comme il faut.

Car l'horloge ne s'arrête pas de tourner, et, quoi qu'on fasse, le nombre des années de notre vie est le seul dont on est certain qu'il ne cessera d'augmenter. À un moment donné, il faudra bien faire les comptes. On s'en voudra alors d'avoir perdu tant de temps à dénombrer kilos et euros, amis et ennemis, degrés et mètres carrés.

Car, lors du jugement dernier, seul le poids de nos péchés pèsera dans la balance, et pas celui de nos propriétés . Il sera alors trop tard de réaliser que le seul chiffre qui vaille la peine d'être valorisé, c'est le chiffre "un", celui de l'unité et de l'unicité, celui du grand amour d'une vie qu'on a laissé, par lâcheté ou immaturité, nous échapper, tant nous effrayait l'idée qu'il aurait pu durer.

lundi 3 novembre 2014

Les femmes ont le pouvoir et elles le font savoir! Il est loin le temps où elles se conformaient au bon vouloir d'un père ou d'un époux. On voulait leur faire croire qu'elles servaient juste de faire-valoir. Qu'il valait mieux pour elles qu'elles ne s'éloignent pas trop des passoires, de l'égouttoir, et du séchoir. Et surtout qu'elles ne fassent pas d'histoires. Point de revendications surtout! Une pincée d'instruction seulement! Hors de question de voir germer en elles le spectre de la rébellion !

Ça, c'était avant leur émancipation. Car un beau jour, elles ont envoyé au diable veaux, vaches et cochons, et accueilli en grande pompe la contraception. À plus tard, la procréation! Les hommes ont alors commencé  à se faire du mouron. Ils ont compris qu'elles avaient gagné la révolution, et que s'ils voulaient des rejetons, ils devaient être doux comme des moutons et se laisser faire des guilis sous le menton.

Certains d'entre eux, pourtant, ont fait sécession. Ils ne pouvaient admettre que des "femelles" puissent leur damer le pion. "Que ces dames retournent à de saines occupations! Leur mission est de donner le téton à leurs poupons, et pas de nous faire de grands sermons! ", s'exclamèrent-ils d'un air bougon.

La réponse des femmes ne se fit pas attendre. Elles furent offusquées d'entendre des propos aussi désobligeants. Après de longues délibérations, elles mirent sur pied un "comité de libération du mamelon" et se lancèrent, poitrine à l'air, dans l'organisation de manifestations. Elles s'en prirent à toutes les institutions , et même à la  religion.

 Et puis quoi encore ! On n'est plus à l'ère de Cro-Magnon! Les femmes occupent maintenant de hautes fonctions! Elles ne sont plus uniquement vouées à élever des morpions! Certaines poussèrent si loin le bouchon qu'elles se retrouvèrent en prison. Leurs garçons furent envoyés en pension, et on leur fit apprendre, en leçon, la tirade d'un faux cureton: "Madame,  couvrez ce sein que je ne saurais voir !"

La suite? Eh bien, je ne la connais point. Mais je crois avoir entendu dire que la révolte gronde au sein des filles des détenues, et qu'elles fomentent une révolution pour libérer leurs mères du joug de l'oppression . Plutôt mourir que de subir la sujétion de mâles dominants! Aux dernières nouvelles, elles auraient l'intention de prendre la Bastille . Enfin, c'est ce que j'ai lu dans Le Monde. Ah non, pardon , dans le Gorafi ...

samedi 1 novembre 2014

Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger, disait Socrate. Si ce précepte a le mérite d'être clair, il reste cependant obscur quant à ce que le terme "manger" peut signifier. Or il faut bien avouer que l'on ne sait plus à quel saint se vouer tellement les bibles alimentaires pullulent et pulvérisent nos certitudes.  Depuis une bonne décennie, nous assistons à d'incessantes querelles de clocher entre apôtres végétariens et intégristes végétaliens d'un côté, carnivores et piscivores de l'autre .

Heureusement que les deux camps, à couteaux tirés, ont finalement trouvé un terrain d'entente : quoi que l'on mange, il faut que ce soit " bio". De l'œuf au poulet, en passant  par le lait et le veau, la pomme et le poireau , on bannit à tout prix  le mot "batterie" des  discours. C'est que dans notre imaginaire collectif, l'on se berce de la douce illusion de croire que les produits de Dame Nature, qui se disputent la vedette sur les étals des marchés, ont été récoltés à la ferme des Contes du Chat Perché.

Sous la plume de Marcel Aymé, les bipèdes et quadrupèdes à poils ou à plumes nous font certes saliver. Le cochon , par exemple ! Tellement gras qu'il en devient beau, aux dires des parents des deux petites. Jusqu'à ce que, sur les conseils du paon, un régime d'ascète ne vienne entamer les kilos non superflus du dodu porcin, dont l 'unique visée est de ressembler au volatile prisé pour sa huppe et sa queue ocellée.

Un pépin de pomme reinette et une gorgée d'eau fraiche n'ont jamais rassasié quiconque.  Et pourtant,  indestructible est le noyau d'irréductibles qui croient dur comme fer que l'ingestion exclusive de graines est garante de longévité . Quinoa, azuki, kamut, boulgour, ces céréales à la consonance exotique sont devenues, dans les prêches des gourous culinaires, les sésames du pays de la jeunesse éternelle. C'est tellement plus dépaysant que de consommer du blé ou du riz, fût-il complet.

Mais c'est surtout la vénération du chiffre 5 qui, depuis quelques années, me laisse bouche bée. Il était sans doute blasphématoire d'emprunter le chiffre 3, réservé à la Sainte Trinité, ou le chiffre 7, dénombrant les jours de la semaine nécessités pour la création du monde sublunaire.  Quelle autre raison, sinon, pour justifier le choix de ce numéral accolé aux fruits et légumes que nous sommes censés ingérer pour être en bonne santé ?

Il m'horripile, le chiffre 5! Car dans mon inconscient, il crée des nœuds qui, dès le lever, m'empoisonnent toute la journée. J'ai dû même "consulter " dans l'espoir de gagner quelques doses de sérénité. Devant ma perplexité, la nutritionniste m'a conseillé de commencer par absorber, au petit-déjeuner, un jus de citron et un verre de pamplemousse pressé . Et déjà de deux ! Pour les trois autres , me déclara -t-elle,  rien ne sert de névroser. Laissez-vous  guider par les menus proposés dans les bistrots inscrits au "comité du bien manger ".

Et moi qui voulais être rassurée! Il me faut maintenant parcourir tout Paris pour que mon estomac soit proprement garni. Parlons-en de mon estomac! Il en est à son troisième ulcère, tant il macère dans la hantise de ne pas trouver repas bio à mon gosier. Alors, pour éviter de le malmener  et prévenir les crises d'anxiété, je vais dare-dare chez mon chocolatier faire provision d'orangettes, de gingembrettes et de bananettes. Comme ça, d'une pierre, deux coups! Le cacao, c'est un antiblues réputé , alors s'il fait bon ménage avec 3 fruits d'un coup,  à moi la vie en rose, et au diable les kilos !


vendredi 31 octobre 2014

L'arrivée de la Toussaint me fait toujours la même impression que celle de la Saint-Valentin. Non pas que je nourrisse, en moi, un penchant morbide pour les amours défuntes. Mais je ne peux m'empêcher de déplorer le manque d'originalité dont témoignent les marchands de fleurs pour attirer les chalands des quatre coins de France .

Chaque 1er Novembre, ce sont des chrysanthèmes à profusion  qui font leur appartition sur les tombes. Les allées des cimetières, jusque-là  colonisées par les herbes folles, sont ratissées de frais . Les sépultures, après avoir subi, une année durant,  les outrages de la pluie et du vent, font brusquement l'objet de soins intenses. On se souvient soudain que l'on a des ascendants reposant à six pieds sous terre, quelque part, loin du bruit et de la fureur urbaine. Et cette brusque réminiscence déclenche en nous le réflexe pavlovien bien connu du mouton : C'est en procession que nous allons faire l'acquisition du pot de fleurs imposé pour l'occasion .

Quelle punition nous nous infligeons! A-t-on idée, en temps normal, de fleurir notre maison de cette espèce végétale à la chair grasse et à l 'effluve nauséeuse? Vénérons-nous si peu nos morts pour les gratifier d'une offrande aussi commune? Oublions-nous que, de leur vivant, les jardins secrets qu'ils cultivaient étaient à nul autre pareils, et que, si nous les chérissions, c'était en raison de leur singularité quintessentielle?

Mais la célébration de la Toussaint n'est pas la seule à détenir le monopole de la fleur unique. Il en est de même pour la Saint-Valentin. Je plains mes consœurs de devoir feindre l'enthousiasme quand elles reçoivent, des mains de leur cher et tendre, l'inévitable, l'indémodable et surtout l'hyperbanal bouquet de roses rouges. Comme si les hommes, à court d'inspiration, n'osaient s'aventurer sur le terrain fertile de la symbolique en composant des gerbes de capucines, d'héliotropes, de camélias et de jacinthes à l'élue de leur cœur .

A moins que, malheureusement, l'amour qu'ils prétendent éprouver ne soit qu'un amour convenu, aux fondations fragiles et voué à périr. On comprend, dès lors, les précautions dont ils s'entourent en offrant des roses rouges à la signification si limpide: trop peu nombreux seraient ceux qui goûteraient, ne serait-ce que fugitivement, l'enivrement , l'ardeur , l'admiration et, surtout, la dévotion pérenne que supposent l'héliotrope , la capucine , le camélia et la jacinthe ...

mardi 28 octobre 2014

Ça n'a pas l'air comme ça, mais être artiste , de nos jours , comporte certains risques. La surexposition médiatique, qu'elle soit voulue ou subie, peut concourir à mettre une vie en péril. En dévoilant son intimité sur papier glacé, avec interviews et photos à la clé, on ne peut que s'attendre à la consolidation d'une sympathie ou, inversement, d'une antipathie, dont l'expression se manifeste aussitôt sur les multiples réseaux sociaux. Stalkers , hackers ou trolls s'en donnent à cœur joie sur la toile grâce à l'anonymat que cette dernière leur procure.

Mais au sein de la communauté artistique , ceux qui ont le plus à craindre pour leur vie sont les Happy Few bénéficiant, on ne sait pourquoi, des insignes faveurs des autorités suprêmes. Enhardis par le crédit qu'une poignée d'élus leur a accordé, ils créent, au gré de leur fantaisie et surtout de leurs fantasmes, des œuvres destinées à être érigées en place publique. Bien mal leur en prend, quelquefois, de penser jouir d'une impunité quand leur unique souci est de générer une onde de choc, à défaut d'une onde de chic. En exposant des créations dont la seule valeur marchande est la provocation qu'elles ne manqueront pas de susciter, ils surestiment l'impact médiatique qu'elles vont engendrer, et sous-estiment, erreur fatale, les inclinations d'une population attachée à sa culture et surtout à son histoire.

La récente défiguration de la Place Vendôme, à Paris, par la mise en place d'une structure gonflable monumentale en forme de plug anal nous a donné la mesure de l'irrespect que certains représentants de l'art contemporain témoignent à l'endroit des Parisiens. Des tentatives avaient déjà été faites, par le passé, pour donner un coup de jeune au plus vieux pont de Paris. Christo nous avait fait, tant bien que mal, partager son obsession à empaqueter le Pont Neuf , qu'Henri IV avait honoré de sa présence lors de son inauguration. Envelopper un pont de pierres de gigantesques langes en polyamide doré n'était sans doute pas banal. Les Parisiens ont certes un peu grogné, mais l'œuvre de l'artiste ne fut pas pour autant conspuée. Après tout , une couche-culotte a une utilité dont beaucoup de nouveaux-nés auraient du mal à se passer .

Étrangement , c'est aussi la même partie anatomique du corps humain qui a inspiré l'artiste commandité pour la "transfiguration "de la place forte des joailliers . Il est vrai que les fessiers rebondis sont vénérés par la frange masculine de notre société et que l'on assiste à une consécration de bimbos callipyges sans précédent ces dernières années . Mais de là à célébrer un objet censé pénétrer l'orifice associé à la fécalité ! Sans compter que le sextoy vert démesuré criait haut et fort sa parenté avec un monstre aux flatulences avérées : Shrek!

Vous comprendrez que c'en était trop pour le Parisien aux narines délicates et aux mœurs policées. L'un d'entre eux, dit- on, exaspéré, a porté la main sur l'auteur de l'excroissance disgracieuse, tandis que d'autres, à la faveur de la nuit, ont été jusqu'à dégonfler la boursouflure au parfum sulfureux. Il était temps! Des artisans peu scrupuleux commençaient à commercialiser l'objet délictueux auprès de touristes désireux d'explorer des pans ignorés de leur sexualité . Henri IV ne s'était pas trompé: Paris vaut bien une messe! Mais  pas une fessée...

lundi 27 octobre 2014

Halloween a pris ses quartiers d'automne bien plus tôt que prévu, cette année. La chasse aux sorcières est ouverte. Mais, pour une fois, ce ne sont pas les créatures douées pour la locomotion aérienne et dotées de compagnons félins qui font les frais de l'ire collective. Ceux qui sont la cible d'une impitoyable traque depuis quelques semaines jouissent, en temps normal, d'un prestige à faire pâlir de jalousie vampires, démons et succubes, ne serait-ce que par le public juvénile qu'ils séduisent. Les clowns, pour les nommer, ont cessé de nous faire rire.

 Échappés des chapiteaux de cirque , ils hantent les lieux publics et rôdent autour des lycées, non pour divertir mais pour faire déguerpir nos concitoyens apeurés. Armés jusqu'aux dents et pétris de mauvaises intentions, ils poursuivent les malheureux enfants ou agressent leurs parents dans des one-man shows macabres aux scénarios tout droit sortis de films d'épouvante .

La contagion gagne toutes les régions. Du nord au sud, la police est mobilisée sur tous les fronts. On compose le 17 à tout bout de champ. La psychose est à son comble. Veto est donné aux magasins de déguisement d'écouler costumes bariolés, faux nez et perruques trop voyantes. Il est désormais mal vu de porter des habits colorés et fortement déconseillé de découvrir son nez. Un rhinophyma , et vous voilà embarqués dans un panier à salade à destination du commissariat!

Les plus à plaindre, ce sont les alcoolos. Vu qu'ils se sentent visés, ils  évitent de sortir en soirée et demeurent cloîtrés comme des pestiférés. Pour noyer leur chagrin, ils passent leur temps à écluser des godets, ce qui amplifie leur rougeur nasale et fait rougir de rage leurs femmes. Certains ménages sont au bord du naufrage. Après  le mariage pour tous, certains réclament le divorce pour tous !

 Et tout ça en raison de clowns qui s'amusent à faire les clowns. A cause d'une cocasse mise en abime, la population se retrouve au bord de l'abîme. La solution ? elle est pourtant bien simple. Au royaume des clowns, le clown blanc est roi. Avec son bagou, il saura faire entendre raison à son comparse diabolique. Mais au fait, le clown blanc, qui nous dit qu'il est encore vivant ? Si ça se trouve ...

Plus qu'une chose à faire, dans ce cas . Convoquer les sorcières et les mauvais esprits , et leur demander de faire un sort au maléfique Auguste. Pour une fois , Halloween , ce ne sera pas si nul que ça ...

samedi 25 octobre 2014

Dans les années 90, pour être un super mannequin, il fallait mesurer 1m80 , peser presque rien , et surtout exiger des montagnes de sequins avant de risquer un peton du lit et atterrir en couv  glossy  des fashion magazines . Dans les années 2010, pour être un super mannequin, il faut soit être une putain (pour joueurs de milieu de terrain) , soit être accro à l'héro ( histoire de ne pas prendre de kilos) ou mieux encore , se distinguer grâce à une maladie de peau ( le vitiligo) ou exhiber sur les catwalks  une poche de stomie ou une pompe à insuline ( pour plus de réalisme ) . De l'ère des Rastignac, à l'œil malin et à l'âpreté au gain ( vivent les zeugmes!)  on est passé à l'ère des Rougon-macquart, à l'avenir incertain et à l'œil éteint ( vivent les chiasmes !). Pour faire court , Balzac s'est fait damer le pion par Zola ! Et ce n'est ni la faute à Voltaire , ni la faute à Rousseau ( Merci Hugo!)

Pour parodier Scapin, et rendre hommage au divin Poquelin , je dirais aux fashion designers du nouveau millénaire : Que diable allez-vous donc faire dans cette galère ? Pourquoi jeter en pâture à la presse ces pauvres hères ? À quoi certains me rétorqueraient sûrement : " Toi, l'intello, si tu veux toujours avoir ta place en front row, tu ferais mieux de consacrer ta prose à la seule gloire de nos  paletots et tricots , et penser que ces créatures de chair ne sont ni plus ni moins que des porte-manteaux ." Tu parles, Karl! ( vive la paronomase!) , tu veux sans doute dire " créatures sans chair "? À moins que tu n'aies commis un lapsus et que tu n'aies voulu dire "créatures trop chères "?

" Insupportable , cette petite est ! " hurlerait mon idole aux verres fumés ( vive l'hyperbate !) . J'ose une digression : Eh oui ! Maître Yoda était un fin lettré. En plus d'être un Jedi, il connaissait toutes les figures de style consignées dans le Littré. Mais revenons à Karl et à l'insupportable petite Emmanuelle, qui veut toujours mettre son grain de sel , quand bien même elle sait que c'est la première cause d'accidents cardiovasculaires . Pourquoi faut-il qu'elle fustige le choix des créateurs en matière de mannequins ? Ignorerait-elle qu'une nouvelle loi est en préparation, visant à instaurer une discrimination positive au sein de la guilde de la Haute Couture ? Et que tous les critères de sélection jusque-là en vigueur , i.e poids , taille , tour de hanches et de poitrine , seraient repensés de façon à permettre au plus grand nombre de femmes de s'identifier aux modèles en train de défiler ?

"Herr Karl, si je comprends bien , vous insinuez donc que moi , la petite Emmanuelle, au modeste poids , à la modeste taille , au modeste tour de hanches et de poitrine , je vais pouvoir maintenant intégrer la caste tant convoitée des mannequins de grands couturiers ? "."Tu as tout pigé, belle oiselle! Et crois-moi ! Je ferai en sorte que tu sois pistonnée ! Car, vois-tu, lorsque je te vois, chaque fois, prendre tes airs de déesse offensée alors que je te fais l'insigne honneur de te placer à côté d'un rappeur coké, ou d'une bimbo écervelée , je manque toujours d'avoir un AVC en pensant au papier assassin que tu vas encore publier pour rendre compte de mon défilé ! Ainsi , dorénavant , tu porteras mes créations , et tu laisseras le soin à un autre écrivaillon de décortiquer le déroulement des shows hollywoodiens que je réserve à mes collections . Ça te fera le plus grand bien , car je m'en voudrais que ton cerveau puisse un jour connaître le sort de celui d'un Cyrano , qui , à force de dire tout haut ce qu'il pensait , finit par en  avoir le crâne fracassé! "

dimanche 19 octobre 2014

On dit que tomber amoureuse est la meilleure chose qui puisse arriver. Moi qui en ai fait la récente expérience, je montrerai un peu plus de prudence dans mes affirmations. Si ce n'est pas la pire des choses qui soit advenue dans ma vie, c'est, en tout cas, de loin la plus risible.  Maintenant que ma folle passion repose outre-tombe, et que me revoilà dotée de toute ma raison, je suis donc en mesure de procéder à une dissection sans concession de cette "fameuse "relation.

Commençons par celui qui a fait les frais de mon exaltation. Bel homme, certes, aux charmantes proportions. Sa profession? Menteur. Sa vocation? Mateur.  Vous l'aurez compris, le bellâtre était l'incarnation de la perfection. D'ailleurs son air d'autosatisfaction sur la photo que je portais en médaillon avait allumé en moi des désirs bien polissons.

Que vous dire! Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point! Le fringant Apollon  avait tellement enflammé mon imagination que mon cerveau était en constante ébullition. L'excitation de mes sens était à son comble. J'assistais, tel Néron en proie à la jubilation , à l'embrasement de mes pulsions , alimentées par des fantasmes ultrapuissants . Et pour flatter l'ego du gai luron, je lui consacrai même des vers de mirliton , dont j'attends encore , soit dit en passant , la publication .

Que d'odes et d'élégies je composai pour lui! J'enviai Racine d'avoir mis, dans la bouche de Phèdre,  le flamboyant alexandrin qui, trois siècles plus tôt, avait si bien décrit mes impressions  : " Je le vis , je rougis , je pâlis à sa vue ." L'expert ès séduction me scrutait du regard, derrière sa paire de lorgnons , se demandant certainement si c'était du lard ou du cochon . Je le couvrais de baisers enfiévrés , le menaçais des pires tourments s'il s'avisait de repousser mes serments passionnés . Je me consumai, jour et nuit , corps et âme , pour un freluquet qui ne rêvait qu'aux ébats de Sasha Grey , alors que je lui infligeais mes débats sur la dualité de Dorian Gray .

Sa vie fut un enfer, la mienne un paradis . Il fut assez digne pour tout endurer de moi : mes imprécations , quand je le prenais en flagrant délit de dissimulation , aussi bien que les phases aiguës de mon adoration. Jusqu'au jour où mon envie se tarit et mon désir s'évanouit. Je mesurai alors sa désolante impuissance à combler mes attentes, et ses silences , que j'avais pris pour de la déférence, m'apparurent comme la signature de son indifférence.

Conclusion? L'introspection a ceci de bon qu'elle nous fait prendre conscience de nos hilarantes illusions et de notre  inclination innée à la romantisation. Explication? On nous élève au biberon de fictions regorgeant de fées et dragons , de princesses et donjons. Dès lors , quoi de plus normal que de prendre un motard à califourchon pour le plus bel étalon!

 Récapitulation: Plutôt que de prodiguer leurs soins à des bataillons de fanfarons , je conseille aux générations futures de femmes au bord de la pâmoison de protéger leur cœur d'une armure de plomb  et de partir en croisade contre Cupidon , qui les prend trop souvent pour de vulgaires pigeons .

vendredi 17 octobre 2014

L'Oncle Rhabdo vous connaissez? Eh bien , c'est le nom du fléau qui s'abat sur les accros du cross fit , dernier né des sports au pays de l'Oncle Sam. En deux mots , ce  gentil Tonton flingue vos muscles et bousille  même vos reins si vous poussez un peu trop le bouchon en matière d'entraînement physique .

Plus qu'une discipline sportive, le cross fit est un véritable supplice . Pour faire partie de l'élite du fitness ,  mieux vaut avoir le cœur bien accroché , et ne pas avoir peur de dégobiller. Il n'y a qu'à regarder la mascotte de l'activité en question pour  être vite mis  au parfum . Pukey the Clown ( le clown dégueulis)  nous fait rire jaune . On est loin d'Auguste , notre clown  hexagonal ,  qui , toutes générations confondues , met en branle nos zygomatiques à des fins cathartiques . Le cirque , c'est bien connu , purge nos passions au même titre qu'une tragédie antique .

Pukey , lui , veut nous en faire baver . Il veut nous prendre les tripes , nous donner la nausée , nous tordre les boyaux . Mauviettes , s'abstenir ! Car il ne s'agit pas seulement de sculpter son corps en effectuant push-ups et squats .Le clown diabolique a des visées bien plus ambitieuses , pour ne pas dire périlleuses . Il veut nous faire tâter de l'haltère , des barres de traction , de la corde et même du pneu... Oui, du pneu ... Rien que ça . Et pas n'importe lequel . Du pneu de moissonneuse-batteuse de préférence . Histoire de jouer les gros bras , et de déverser sa rage sur le bandage en caoutchouc à coups de marteau XXL.

L'inventeur de cette dernière technique serait-il donc un gros bourrin ? Aurait-il un contentieux à régler avec la firme Michelin ? Voudrait-il concurrencer les tambours du Bronx ? Je privilégie,  pour ma part , une autre hypothèse . Car la philosophie qui sous-tend ce melting-pot de pompes , tractions , flexions , grimper de corde , arraché, épaulé-jeté et soulevé de terre , pour ne citer que les principales figures imposées , est celle d'un dépassement de soi , d'une hubris propre aux héros tragiques qui veulent s'égaler aux Dieux de l'Olympe.

Or qui mieux qu'Héphaïstos n'incarne la divinité maniant le marteau et l'enclume !  L'image du crossfitter tapant comme un désespéré de son marteau de géant sur un  pneu , ne serait , dans ce cas , que la version grotesque du Dieu des Forges . On comprend mieux pourquoi il en coûte , à certains pratiquants de ces entraînements à haut risque , de se mesurer de façon aussi caricaturale au fils de Zeus et de Junon . L'Oncle Rhabdo avec sa panoplie de  bobos ne serait que la personnification burlesque  de Némésis , déesse implacable vengeant les Dieux des affronts des hommes présomptueux .

mercredi 15 octobre 2014

Il y a quelques décennies , le robot ménager lui avait permis d'économiser ses efforts dans le domaine culinaire . Ce seul appareil lui permettait de venir à bout des tâches les plus ingrates : couper , hacher , battre , mixer , pétrir  ou cuire . Aucun aliment , si coriace fût-il , ne pouvait résister à cet instrument de torture .

 Mais cela n'avait pas suffi à étancher la soif créatrice du gastronome en tablier . Il lui fallait aller plus loin , et obtenir un produit fini digne de concurrencer ceux des artisans les plus chevronnés . Une seconde génération d'appareils lui apporta la satisfaction tant recherchée . Yaourtières, sorbetières, machines à pâtes ou à pain , smoothie makers.  et que sais-je encore , vinrent auréoler ceux qui en faisaient usage du quart d'heure de célébrité warholienne lors de dîners fortement arrosés.

C'était sans compter la mise au point de la fabrication additive à l'aube du nouveau millénaire , qui allait doter l'homo sapiens d'un pouvoir jusqu'à présent inégalé. Celui de créer des objets matériels , du plus modeste  au plus gigantesque , grâce au système révolutionnaire d'impression tridimensionnelle .

D'abord cantonnée au domaine médical pour la mise au point de prothèses et d'implants, la voilà qui joue dans la cour des grands et se propose de concevoir avions et automobiles aux designs les plus futuristes . De quoi faire pâlir les manufactures de renom ! Moyennant un coût , pour l'instant  élevé , nous pourrons bientôt  jouer les apprentis sorciers et réaliser les joujoux vrombissants les plus fous .

 Et vivent les batmobiles ! L'on verra , dans les rues, au volant de super voitures , de faux super héros , aux pectoraux de silicone et au cerveau de chauve-souris , filer à toute allure pour retrouver leurs  bimbos aux implants fessiers et mammaires outranciers . Jetant négligemment leurs clés aux voituriers de cafés à la réputation plus qu'usurpée , ils grignoteront un en-cas imprimé en 3D , siroteront un smoothie concocté par un robot nouveau-né,  et se dégonfleront comme des baudruches  quand le garçon leur apportera une addition à la mesure de leurs prétentions démesurées.

jeudi 9 octobre 2014

Le nec plus ultra ces derniers temps aux USA, c'est de se passionner pour les clichés anthropométriques publiés dans les commissariats de police. Peu importe le délit commis. Il suffit que le ou la criminelle possède un fort potentiel érotique pour que les réseaux sociaux se déchaînent  et que l'on rêve d'aventures sans lendemain avec un Billy the Kid ou une Calamity Jane version 2.0.

Il faut dire que ce n'est que justice . Pris en otage que nous sommes par des bataillons de selfies duckface, nous nous devions bien, un jour ou l'autre, de tomber en pâmoison devant les frozen faces des photographies d'identité  judiciaire. On boude désormais les bouches en cul de poule, et on fait  les yeux doux aux mugshots des repris de justice, à condition qu'ils soient sexy.

 L'attrait pour les gangsters et criminels psychopathes n'est plus à prouver . De Clyde Barrow  à Charles Manson, la liste est longue de ceux qui ont enflammé la libido des ménagères en mal de rush d'adrénaline. Il faut les comprendre. Le frisson ressenti devant un épisode des Feux de l'Amour n'a rien de comparable à celui éprouvé à la lecture des casiers judiciaires des malfrats . Braquer une banque n'est pas donné à tout le monde. Tuer de sang froid non plus.

Sans compter que la mine glaciale des prévenus contribue à faire monter la température . Et pas seulement des dames , figurez-vous ! Les hommes connaissent aussi des pics de sérotonine à la vue de photos de face et de profil de délinquantes diaboliques . Qu'elles soient expertes en hold up, en homicides, ou en trafic d'héroïne, elles parviennent à leur donner une dose d'excitation plus forte que  leurs porn stars favorites .

Mais que leurs sages épouses se rassurent. Elles ne seront jamais dépouillées de leur sacrosaint lien conjugal par ces diablesses à la main leste . Ces messieurs auraient trop peur de se faire délester de leurs bas de laine pleins à craquer. Ils veulent bien se rincer l'œil et s'imaginer en train de cavaler, cheveux au vent,  aux côtés de ces délinquantes sans foi ni loi , mais ils en resteront là. Le fantasme , ça n'a pas l'air, mais ça n'a pas de prix !

samedi 27 septembre 2014

Ah, les soirées événementielles parisiennes!  Elles font rêver la terre entière ! Non pas tant pour les causes qu'elles défendent que pour les fastes qu'elles déploient .

D'abord le cadre. Il n'est jamais choisi au hasard. Rien n'est trop beau pour séduire des hôtes à la fortune prestigieuse. Éblouir, tel est le mantra! Les écrins aristocratiques sont les plus prisés. Ainsi châteaux, hôtels particuliers, palaces d'époque figurent au nombre des lieux les plus convoités . Les invités, il ne faut pas l'oublier, sont, dans leur majorité,  de simples roturiers. Certains se sont même taillé une réputation en cultivant la feuille de coca au fin fond de la Colombie. Alors, pour chasser de l'esprit l'idée qu'ils ont peut-être les mains sales, on prend des gants pour les accueillir. On les courtise assidûment , même si on les méprise profondément.

Question décor, on verse plutôt dans l'épure. Rien de mieux que les grands espaces vides. Pour tout mobilier , un canapé. On ne sait jamais. Il faut pouvoir ranimer la première victime d'une overdose de champagne millésimé. Car le bar à bulles ne chôme pas.  Il faut que ça pétille dans les coupes autant que dans les yeux.  À ce titre, une escouade de serveurs zélés glisse, avec l'aisance de patineurs confirmés, sur le parquet ciré.  Un ballet savamment chorégraphié .

Quant à l'assemblée, elle est aussi hétéroclite que les specimens d'un cabinet de curiosités.  On y croise des mannequins, aussi dégingandées que désargentées, accrochées à des gnomes vaniteux au compte bancaire excédentaire. Des créatures hyaluronisées , botoxées, et collagénisées , rescapées d'un parc zoologique et en passe d'être naturalisées. Des pseudo-artistes bizarrement accoutrés aux verres fumés spécial soirée. Et officiant derrière sa table de mixage, l'incontournable DJ, amateur de chansons vintage recyclées et décibélisees.

De quoi dérider l'assistance, me direz-vous. Eh bien, vous vous trompez. Elle est plutôt figée, l'assistance. On évite de rire...de peur des rides. Mais on sourit beaucoup, présence de photographes oblige. Il faut faire bonne figure pour avoir une chance d'être immortalisée sur papier glacé. L'argent que l'on a investi dans sa robe haute couture doit être au moins rentabilisé. Sans compter celui que l'on a dépensé pour soutenir la cause humanitaire de la soirée .

Au fait, quelle cause? Peu importe! Il y aura bien un maître de cérémonie pour rafraîchir les mémoires embrumées. D'ailleurs on l'appréhende, le fameux discours! Car à force de rester debout à prendre la pose et dévisager les autres invités, on commence à avoir drôlement mal aux pieds dans des stilettos de cryptofétichistes.  Et comme on s'interdit de poser son séant sur le canapé , la torture promet d'être illimitée .

Patience! Avant le prochain événement, on optera pour  un " Loub job". Gare au contresens! Cela ne veut pas du tout dire qu'on décrochera un job chez un certain Loub. Cela désigne simplement une injection de collagène sous les coussinets des orteils , et c'est tellement plus sexy qu'une semelle orthopédique. Après, on ne s'étonnera plus de s'entendre dire "quel pied ! ".

lundi 22 septembre 2014



Si l'amour a existé de tout temps, les rites qui lui sont associés ont évolué et pris, de nos jours, un caractère bien déconcertant. En guise de témoignage de sa flamme, l'amoureux transi gravait le nom de sa bien-aimée sur l'écorce d'un arbre. Avec la migration des populations rurales vers la ville et la raréfaction de la végétation, ce sont les bancs publics qui ont servi d'écritoire et d'exutoire à la passion. Jusqu'à ce que les grilles des ponts de certaines capitales n'excitent la convoitise des couples énamourés . 

Regardez le Pont des Arts à Paris! On peut dire qu'il porte bien mal son nom. Car quoi de plus inesthétique que la prolifération anarchique de ces "cadenas d'amour" qui l'encanaillent plutôt qu'ils ne l'ennoblissent. Sans compter que c'est de tous les coins du globe que des processions de tourtereaux migrent pour accrocher aux rambardes un cadenas supposé sceller leur amour. Les tonnes  de métal rajoutées ont tellement alourdi la passerelle autrefois si gracile qu'elle n'a pu résister au poids de tant d'effusions et a vu l'un de ses pans s'abîmer dans les eaux saumâtres de la Seine . 

Funeste présage! Serait-ce donc la manifestation du courroux divin?  Peut-être, après tout, Apollon, Dieu des Arts, a-t-il voulu marquer sa désapprobation devant la profanation de ce pont célébrant le pavillon des Arts du Louvre? Peut-être que Vénus n'a pas jugé décent qu'un vulgaire objet, d'un alliage aussi vil, soit utilisé pour célébrer le culte dont elle est la plus précieuse ambassadrice ? 

Pour ma part, je pencherais plutôt pour une autre hypothèse, celle dictée par la sagesse humaine, si tant est qu'il y en ait une. Comme le disait si bien Carmen , "l'amour est un oiseau rebelle que nul ne peut apprivoiser. Dès  lors, pourquoi vouloir le mettre en cage? Pourquoi s'évertuer à le cadenasser sur un ouvrage architectural qui trempe ses arches dans un fleuve aussi intrépide  que la Seine? Serait-ce un défi lancé à l'onde, élément le moins stable qui soit sur cette terre ? 

Apollinaire l'a pourtant bien perçue,  la qualité fugace et fugitive des sentiments humains . Grâce à lui,  le Pont Mirabeau, vivant tombeau de nos amours défuntes, ne connaîtra pas le sort de son cousin des Arts. Il a compris qu'aucune armure ne résiste à la labilité des choses de ce monde. Il sait que "L'amour s'en va comme cette eau Courante " et qu'il est vain de vouloir le retenir dans les rets de notre entêtement. Au lieu de cadenasser les ponts, verrouillons plutôt notre cœur. Il  n'en sera que plus préservé des errances de la raison et du miroitement des illusions dont, immanquablement, nous sommes le jouet quand nous tombons sous les coup de la passion . 

jeudi 18 septembre 2014

La solitude joue , dans notre vie , autant de personnages que nous possédons d'états d'âme . Tantôt adulée , tantôt anathémisée  , elle est notre amie tout autant que notre ennemie . Souvent elle tient le rôle de confidente pour nous accueillir dans ses bras et recueillir nos larmes . La pudeur nous engage à la convoquer : il est si obscène de vouloir étaler ses malheurs . Surtout ceux qui émanent du cœur . Elle est l'antichambre de notre douleur , la chambre mortuaire de nos amours exsangues  .

D'ailleurs , n'a-t-elle pas, pour qui la goûte,  la saveur de la mort ? N'est-elle pas la mise en bouche d'une autre solitude , pesante et mortifère , que l'on voudrait fuir mais qui sans cesse nous poursuit , une fois que l'âme sœur a déserté notre demeure ? Ce sentiment de vide qu'elle enfante en nous  , c'est celui d'une petite mort , nom pourtant attribué à la jouissance,  si éloignée d'elle de par son essence.  Car si c'est à une apothéose des sens que conduit l'extase charnelle, c'est à leur mise au tombeau qu'assiste , impuissant, l'amoureux éconduit .

De nos cinq perceptions , une seule est  épargnée.Et c'est bien là notre infortune . Car il n'y a pas plus mortifiant que d'être cloués au pilori de la vue , alors que notre souhait le plus cher est de fermer les yeux sur ce monde qui désormais nous indiffère .  En se dérobant à notre intimité , l'être aimé nous condamne à faire le deuil du toucher ( de son corps ) , de l'ouïe ( de sa voix ) du goût ( de ses lèvres ) et de l'odeur ( de sa peau ) .

Ainsi la solitude devient la convive inamovible de nos froides agapes , la compagne inviolable de nos nuits d'insomnie . Le téléphone s'épuise à sonner  dans le vide , le courrier n'est plus décacheté , les sorties sont évitées  , les amis ignorés. L'on se laisse apprivoiser par le silence , écrin et écran de nos souvenirs  où se redessinent les contours d'un bonheur perdu . Et l'on se dit que la solitude est féconde , qu'elle n'est pas aussi stérile qu'on le croit , que si nos sens sont en sommeil , notre mémoire est en éveil , et que tant qu'elle vibrera de nos émois passés , l'arc-en-ciel de l'espoir irisera notre avenir .


samedi 30 août 2014


Une brise qui fait frissonner, des transats en déshérence, un silence orphelin de rires d'enfants qui s'ébaudissent dans les vagues, tels sont les signes qui indiquent infailliblement que l'été tire sa révérence, que l'heure du départ à sonné, que le quotidien va reprendre le dessus avec son lot de servitudes qu'on avait soigneusement remisées dans un tiroir de notre mémoire. Les vacances sont bel et bien terminées. Bientôt les files d'attente interminables, les bousculades, les gyrophares et les klaxons, les rumeurs et la mauvaise humeur.

Alors on regrette d'avoir pesté contre le sable fin qui s'insinuait insidieusement dans nos sacs et nous piquait les yeux au moindre coup de vent.  On s'en veut aussi d'avoir trouvé l'eau de mer si amère quand on avait bu la tasse. Ces petits désagréments ne sont rien en comparaison de ceux qui nous attendent jusqu'à l'été prochain. Plus d'une fois nous aurons les yeux qui piquent, mais pour d'autres raisons. Et les gorgées d'amertume, on les goûtera forcément au fil des saisons .

Heureusement, on emporte, dans la valise de nos souvenirs, des moments inoubliables vécus sous un soleil radieux et un ciel sans nuages. Des amitiés qu'on aimerait durables même si elles ne seront que transitoires. Des visions de palmiers géants oscillant au gré du vent, des chants d'oiseaux matinaux qui nous ont fait aimer nous lever à l'aurore. Des sentiers ombragés dans une forêt de montagne où des rochers de titans, parés de mousse odorante, nous ont révélé une nature grandiose.

Et l'on se dit que la vie vaut la peine d'être vécue. Que quoi qu'il arrive, on reviendra un jour fouler ces plages de sable fin, on se laissera caresser par les courants marins, intimider par la voix rauque des torrents dévalant des sommets, et attendrir par de frêles fougères servant d'ombrelles à des bouquets de cyclamens. On se dit que le temps n'est pas si assassin qu'on le pense. Que ce qu'il nous prend en années, il nous le rend en sensations soyeuses et émotions précieuses. Et qu'il n'est de bonheur plus éclatant que de se sentir vivant !

samedi 23 août 2014


Ah! la plage ! On en rêve toute l'année. Le sable fin, le murmure  des vagues, la caresse du soleil sur notre corps enfin affranchi du port du vêtement. On a traversé les saisons avec détermination , supporté stoïquement que l'automne coquin dévêtisse la végétation,  combattu héroïquement  les assauts de l'hiver belliqueux, guetté avidement l'équinoxe de printemps, annonciateur de douceurs climatiques et d'éclosions en tout genre .

La plage, c'est le lieu ressource dans l'imaginaire collectif. Un coin de paradis qu'on achète à prix d'or et dont on ne peut se passer. On veut bien faire une croix sur les pistes de  Saint-Moritz en temps de crise, mais pas sur le rivage de Saint-Florent et de son onde cristalline .

Alors, on s'y prépare longtemps à l'avance, à notre effeuillage sur le sand carpet. C'est que la concurrence va être rude. Les Lolitas sévissent, et les bimbos aussi. Alors une bonne detox s'impose avant un destockage graisseux. La grâce, par contre, on l'a ou on ne l'a pas .

Après quoi l'indispensable achat du maillot de bain récompense nos efforts démesurés. Si on a passé l'hiver à faire des squats et des pompes, on peut se permettre, passée la trentaine, le bikini sexy, voire le trikini. Sinon, on se contentera d'un maillot une-pièce, mais pas de n'importe lequel : échancré et décolleté, s'il vous plait ! Sans oublier les lunettes de soleil griffées. Pour zieuter et être zieutée .

Le grand jour arrive. Enfin prête pour la descente des marches! Une fois touché le sable ferme, nous repérons le jeune plagiste bodybuildé préposé à la mise en place des transats. Il nous en faut un face au soleil (héliotropisme oblige ) et le plus proche de la mer ( paresse oblige ). Alors l'on peut procéder au rituel du déshabillage. Ni trop rapide, ni trop lent. Juste ce qu'il faut pour susciter le désir.

Telle une hétaïre, nous allongeons notre corps de déesse avant de l'enduire généreusement de crème solaire à indice de protection élevé - les homards, on les aime dans l'assiette, mais on n'a guère envie de leur ressembler . Ah! Le sable fin ! Le murmure des vagues ! La caresse du soleil !

 Mais soudain voilà qu'un ballon fait violemment irruption dans notre champ de vision et vient briser notre quiétude chèrement acquise. Puis c'est au tour d'un petit fripon pris en chasse par une horde hurlante de nous éclabousser de sable. À peine avons-nous repris nos esprits qu'un vendeur ambulant nous oblige à ouvrir la bouche pour gouter l'une de ses pralines .

C'en est trop! Avoir attendu un an pour subir tous ces désagréments! De rage nous lui en achetons trois paquets et les ingérons goulûment . Tant pis pour le trikini ! Demain ce sera plongée sous-marine ! Avec les poissons , rien à craindre : ils sont muets comme des carpes et il ne risque pas d'y avoir anguille sous roche .

jeudi 14 août 2014

"Tu t'appelles comment ? Tu as quel âge ? ". Ces deux questions, il ne vous viendrait pas à l'esprit de les poser à un inconnu de passage , même si vous en brûliez d'envie . Et pourtant , vous vous souvenez les avoir prononcées il y a longtemps de cela, quand vous rêviez de bikini sexy et qu'on vous affublait d'une barboteuse hideuse. Quand vos biceps fluets étaient comprimés par des brassards ou , pire encore , qu'une bouée à l'effigie d'un vilain petit canard ceignait votre taille alors que votre palmipède favori, c'était, bien évidemment,  le cygne blanc .

C'était l'époque où vous utilisiez la parole non pour déguiser votre pensée , comme le proclamait Talleyrand , mais pour communiquer avec authenticité .  C'est maintenant au tour de votre  enfant de les poser , ces deux questions . Vous lui avez assigné un périmètre de sécurité et surveillez , en bonne mère-poule que vous êtes , le moindre de ses faits et gestes , sur cette plage où il va goûter aux joies de la baignade . Sans vous douter qu'il fera peut-être aussi l'expérience de la douche froide .Car si vous êtes en vacances , la nature humaine , elle , ne l'est jamais . Et votre enfant , aussi mignon qu'il est , aura tôt fait d'en faire les frais .

Plantons le décor . L'après-midi touche à sa fin , et la patience de votre bambin aussi . Il a accepté , presque sans  broncher , de se laisser enduire  le corps d'un  écran total poisseux qui lui donne des airs de Casper dans un remake des Bronzés . Il a serré les dents quand vous lui avez ajusté son bob fluo et ses lunettes aux verres miroir , sans vous rendre compte qu'il possède un sens inné du ridicule , et que ressembler à un mix des deux Flics à Miami et des Beach Boys ne correspond pas à ses critères esthétiques - ni aux vôtres , d'ailleurs . Alors , quand vous lui demandez , après une trempette éclair , de s'asseoir gentiment sous le parasol pour pouvoir enfin étaler votre corps de Milf sur votre transat loué à la journée , pas étonnant que le fruit de vos entrailles émette les  grognements d'un fauve en cage  et qu'il soit submergé par l'appel du large .

C'est qu'il n'a pas besoin de longue-vue pour inspecter les environs avec le maximum de précision. Ce qui l'intéresse , c'est avant tout l'action . Et sur une plage , elle se concentre principalement sur une zone bien définie qu'il scrute sans relâche , toutes antennes dehors , prêt à vous fausser compagnie à la moindre occasion . La  portion géographique sur laquelle il focalise son attention , c'est celle où le sable est assez imbibé d'eau salée pour ne pas s'éparpiller en grains folâtres quand on le saisit par poignées. C'est là que le petit d'homme révèle sa nature d'homo faber en se lançant , chaque été , dans la construction de châteaux éphémères . Et c'est avec envie qu'il observe ses congénères lorsque , animés d'une fièvre bâtisseuse  , ces derniers affrontent vents et marées pour édifier remparts et donjons de sable à la longévité programmée .

Votre rejeton, s'il n'est pas poltron, tentera une brèche .  Il guettera le moindre signe de découragement des apprentis maçons pour leur apporter sa contribution . "Tu t'appelles comment ? Tu as quel âge ?"S'il est timoré, par contre, il  demeurera figé comme une statue de sel , tiraillé entre le désir de collaborer et la hantise d'être rejeté. C'est que l'instinct de propriété de ces petites personnes est fortement développé . Même si le sable appartient à tout le monde , ce qu'ils en font n'appartient qu'à eux seuls . Et gare à celui qui s'avisera de leur barboter pelle , râteau , seau ou tamis ! Il lui en coûtera une belle touffe de cheveux arrachés  ou une généreuse volée de sable dans les yeux .

Heureusement ! Les verres miroir ont fait écran et votre mini-moi ressortira indemne après pareil affront . Il ravalera ses larmes et reprendra son poste d'observation sur sa serviette  éponge sans que vous ayez eu besoin de sonner du clairon . C'est alors qu'une méchante vague viendra anéantir le fruit du dur labeur des trois vilains  garçons, qui se répandront en lamentations devant les vestiges de leurs fortifications bidon . De quoi en tirer une bonne leçon!
Comme quoi , on peut devenir vite  un sage , sur un modeste bout de plage , à n'importe quel âge .


vendredi 25 juillet 2014

Oui ! Notre civilisation  est décidément bien malade. Je dirais même incurable ! Car elle fait preuve d'une  cécité  totale quant à la virulence du poison qui lentement la corrompt. En croyant cueillir les roses de la vie , nous ne composons, sur notre chemin, que des bouquets magnifiques d'ancolies maléfiques qui s'insinuent dans les replis de notre esprit .

Ce mal qui nous ronge et qui affecte nos relations à autrui, c'est la consommation à outrance. Consommation de sexe, de sentiments et de sensations . À trop vouloir s'emplir les poumons de liberté, on finit par respirer un air vicié: celui de la licence. Licence de posséder l'autre puis de s'en déposséder, licence de s'en éprendre  puis de s'en déprendre, licence de boire jusqu'à la lie la liqueur de la vie avant d'en subir les déboires. Alors que notre espérance de vie s'allonge, paradoxalement les actes d'importance qui scandent notre existence n'ont qu'une durée de vie limitée.  Les serments n'ont plus aucune consistance . D'où vient cette inconstance?

C'est dans l'air du temps, répondront certains, sur le ton de la résignation. Ils n'ont pas tort. Il n'y a qu'à regarder autour de nous. Notre environnement familier témoigne de l'accélération de la péremption de nos biens. Que ce soit dans le domaine de l'électroménager ou de l'informatique, nos appareils tombent sous le coup de l'obsolescence programmée. Les avancées techniques sont tellement rapides qu'au bout de quelques mois , nos ordinateurs  flambant neufs appartiennent à l'ère jurassique du digital. On achète, puis on jette. Il y a presque autant, dans les déchèteries,  de carcasses de PC passés de mode que de carcasses de poulets aux hormones .

Il en est de même dans le domaine de l'habillement . Des chaussettes aux chaussures,  des dessous aux pardessus , tout le secteur du prêt-à-porter pâtit d'une détérioration de la qualité. On ne reprise plus, on ne retouche plus, on ne répare plus, on jette, sans aucune componction. Fabriqués dans les sweatshops des pays émergents, ces articles, faits à la va-vite, pèchent par leur manque de finitions et la désagrégation de leurs composants au fil du temps. La raison à cela? L'emploi de tissus et matériaux bas de gamme, ainsi que l'obligation de se plier aux injonctions d'une course à la productivité .

Ce rapide état des lieux devrait donc servir à notre édification. Avons-nous vocation à nous laisser traiter comme des biens de consommation? Inversement, allons-nous considérer notre prochain comme un pion sur l'échiquier de nos inclinations en perpétuelle évolution? Il faudrait avoir une piètre estime de nous-mêmes et des autres pour accepter un tel choix de vie .

Non ! L'être humain n'est pas une denrée en rayon dans l'hypermarché de nos désirs en mutation constante. Même si nous sommes entrés dans l'ère du tout-jetable, même si nous nous lassons vite des choses que nous acquérons,  ne laissons pas la contamination gagner ce qui fait notre spécificité et notre unicité : notre capacité à choisir et chérir un être avec qui nous aurons du plaisir à partager notre existence . Donnons-nous une chance de goûter au bonheur avant de nous dégoûter de nous-mêmes. Notre vie arrivera à péremption bien assez tôt .

jeudi 10 juillet 2014

L'homme du XXIème siècle est un homme qui marche, et qui est en marche.  Il va droit devant lui . Vers un but précis . Souvent au mépris des autres , individualisme oblige . Alors, les rares moments qui s'offrent à lui de se poser , et de chercher celui ou celle qui lui emboîtera le pas pour un temps limité ou illimité, il les utilise à bon escient .

   Avant tout, il a compris que le meilleur prélude à une entrée en matière communicationnelle est une exploration scopique de la personne visée. Certes , l'examen de son visage en dit long sur son intériorité . Il permet de faire un premier tri . Exit les mines renfrognées , les lèvres pincées , les airs hautains . Bienvenue aux yeux rieurs , rêveurs et aux sourires coquins .

   Mais une fois commis  le délit de faciès , il faut scruter les détails qui vont mettre notre prospecteur de la "perle rare" sur la voie des affinités électives . Et devinez quelle partie du corps le renseignera le mieux ? Le poignet ! On n'y pense jamais , mais c'est pourtant un indicateur infaillible quant aux goûts particuliers d'une inconnue lambda.

    Tout comme le cou ou les doigts , le poignet a l'avantage, de par sa circularité , de se prêter à l'ornementation . De même que le collier embellit un cou, ou qu'une bague enjolive un doigt , le bracelet fait aussi partie, depuis des temps immémoriaux,  de la grammaire de toute coquette , et ce faisant , livre à l' observateur averti quelques secrets sur les penchants de son heureuse propriétaire . Qu'il soit en métal précieux , en perles ou pierreries , en bois , en coton, en plastique, ou même, récemment, en élastique, cet ornement orbiculaire , par sa simplicité ou sa sophistication, révèle la fibre aristocratique tout autant que la fibre écologique ou synthétique de la femme qui le porte .

   Attribut esthétique , certes , mais pas seulement . Le bracelet est devenu , au cours du siècle dernier , l'instrument indispensable à notre repérage dans le temps . L'invention du bracelet-montre , en 1904,  par Louis Cartier , pour son ami aviateur Santos-Dumont,  sonna le glas de la montre à gousset . Extraire une montre d'une poche  à des milliers de pieds d'altitude relevait d'un  exercice encore plus périlleux que la pratique de la haute voltige, cela va sans dire .  Et même si on ne navigue pas dans les airs et que l'on a les pieds sur terre ( physiquement parlant , du moins) , rares sont ceux d'entre nous qui regrettent le port du gousset.

   Avec l'avènement des nouvelles technologies , le bracelet s'est vu confier une autre mission, plus inquiétante : celle de surveillance . On connaît l'existence du bracelet électronique  que certains repris de justice , bénéficiant d'un aménagement de peine , doivent porter ( à la cheville , pour plus de discrétion ) afin d'être à tout moment géolocalisés par l'administration pénitentiaire . Au cas où ils voudraient prendre la poudre d'escampette...

   C'est dans la même optique de surveillance qu'a été inventé le " bracelet connecté" .  Relié au smartphone de son propriétaire via une application, il enregistre le moindre de ses  faits et gestes , mesure son temps de sommeil et contrôle même son alimentation. Si les objectifs fixés ne sont pas atteints , l'autoculpabilisation fait son apparition . Est-ce moins pire qu'une incarcération ? J'en doute . En prison , on n'a pas à disposition des verges pour se faire  battre.

   Quand je vous disais que le poignet d'une inconnue est plus bavard qu'il n'y paraît . Ce bref tour d'horizon de l'histoire du bracelet dans notre civilisation nous permet d'apporter une révision à notre postulat de départ . L'homme est en marche , certes . Mais il semble parfois marcher à reculons . Car quoi de plus régressif que de subvertir la fonction première d'un attribut féminin ! Loin de permettre à la femme d'exprimer librement sa féminité , le bracelet connecté, icône de la branchitude,  l'enferme dans le carcan du rendement et de la performance , valeurs masculines par excellence . Le bracelet, autrefois artefact de séduction,  devient menottes , et la femme , dans sa quête du corps parfait , retombe sous la coupe de l'homme. Ne nous étonnons donc plus si le mâle alpha la choisisse come appât...

dimanche 29 juin 2014

   Il y a autant de façons de parler de l'être aimé que de façons d'aimer . On peut célébrer , à l'instar des poètes de la renaissance,  une partie du corps vénéré plutôt qu'une autre   : front , œil , bouche, sourcils, chevelure  ou même tétons , pour les plus polissons . Ce genre de poésie , qui a pour nom blason , comporte néanmoins une grande absente sur la liste des qualités qu'est en droit de posséder l'élu de notre cœur . C'est la peau .

   Et pourtant , sans elle , sans cette fine membrane qui recouvre notre chair et nous circonscrit dans l'espace  , nous ne pouvons pleinement goûter à ce délice des sens que procure une des manifestations de l'élan amoureux : la  caresse . Ce simple va-et-vient de doigts sur notre peau , qui s'épanouit dans la répétition , nous fait côtoyer les cimes de la pâmoison quand il est le véhicule d'une passion . Sans doute parce qu'il nous procure une sensation ambivalente, conjonction d' un doux frisson et de la brûlure d' un buisson ardent , fusion entre le froid et la chaud.

   Ce contact cutané , à l'apparence si banal, réussit le prodige de nous exiler de la dureté  sensorielle de ce monde qui beugle et bêle comme un troupeau de bétail dans cet  enclos qu'est notre microcosme social. Avec lui, Les mots sont superflus . Son langage purement tactile se suffit à lui- même . Il est le complément indispensable à la déclaration de deux amants , et réaffirme, au cours du temps , la permanence de leur  lien . Aussi faut-il s'alarmer quand il se fait plus rare . Sa disparition sonne le hallali d'une relation .

   Or  , s'il est une caresse qui , en toute occasion , apporte volupté et sérénité , c'est bien la caresse des mains. Les doigts qui s'entremêlent comme des lianes savent instantanément se frayer un chemin dans la jungle des émotions . Ils proclament l'union des âmes  et sont le signe ostensible de deux cœurs à l'unisson . Quand dissonance il y a , les doigts recouvrent leur liberté propre et réinvestissent leur fonction de préhension des objets du quotidien . Ils ne sont que les cinq outils d'une main. Dans le pire des cas , les doigts se font accusateurs : l'index est pointé, le majeur vulgairement dressé, et la gifle peut parfois même être infligée . La caresse fait désormais partie du royaume des limbes . Elle a peu d'espoir de ressusciter quand la désunion s'installe . On la trouve inhumée dans la crypte des amours défuntes .

   C'est au crépuscule de la vie  que la caresse prend toute sa valeur  , avec toute sa prégnance symbolique . À l'être aimé qui appareille pour l'autre monde , on prend la main , on la lui caresse . Comme pour un rite de passage. Mais le geste n'a plus d'écho et ne s'accompagne plus de réciprocité . Non pas  parce que le bénéficiaire a renoncé à tout attachement .  Mais parce que sa volonté de lutter l'a abandonné ,  qu'il sait que son départ est proche et inéluctable . Alors il laisse ses doigts pendre , comme les branches d'un arbre foudroyé , avant de s'agripper , dans un ultime  sursaut de vie , à la main de celui qui reste , et qui ne cesse de le caresser  , comme pour lui insuffler la chaleur de son amour , à lui qui ne frissonne plus , maintenant  que le froid de l'au-delà a immobilisé son corps  et pétrifié son coeur.

mardi 24 juin 2014


    Qu'on le veuille ou non , notre corps est le bagage que l'on transporte continûment avec soi, de notre naissance à notre mort , sans possibilité de nous en défaire. Il  prend corps dans le corps de notre mère , replié sur lui-même dans les ténèbres utérines , avant d'être expulsé vers la lumière et croître à son rythme , soumis aux métamorphoses que lui fait subir le temps qui scande notre existence .

    Le temps biologique , en premier lieu , mais aussi le temps (au sens météorologique ) du psychisme , avec ses accélérations et ses décélérations .  Car une chose est sûre : bon gré mal gré , notre corps est attelé à notre esprit pour le meilleur et pour le pire , dans notre voyage forcé sur cette terre . Dès lors , tous les coups sont permis . De cette cohabitation contrainte , naissent des rébellions sans fin  , et il faut être un habile aurige pour éviter de verser dans le précipice .

    De cette lutte sans merci, le corps est toujours le premier à pâtir . Extérieurement d'abord. Au vu et au su de tout le monde , il se dilate ou se rétracte , faisant osciller la balance au gré de nos humeurs changeantes . Intérieurement aussi . Nos organes sont mis  à rude épreuve . De l' ulcère au cancer , nos viscères subissent les assauts répétés de la maladie très souvent induite par un esprit à l'agonie . Psychosomatisme oblige .

    Pour parer conjointement à l'érosion physiologique de notre corps et aux déprédations physiques commises par les diverses pathologies , notre volonté s'avère une alliée de choix . Elle est la forteresse dans laquelle nous nous retranchons pour nous façonner un corps de déesse: celui immortalisé par la statuaire antique . Un corps modelé à force d'être mortifié par des séances de musculation intensive . Un corps magnifié et exhibé sans retenue sur du papier glacé. Comme pour conjurer les moment où il deviendra de glace , aussi froid que le marbre des statues qu'il tend à imiter.

    Car rien ne peut enrayer le cours implacable du temps. On peut tout au plus faire illusion , user de  subterfuges pour redonner à la peau son apparence juvénile . Mais l'on ne trompe que soi-même dans ce vaste jeu de dupes . Les années que l'on pense avoir soustraites à notre état civil sont bel et bien inscrites sur la feuille de route de notre vie . Et ce corps que nous exaltons , et grâce auquel nous exultons dans cette jouissance que nous procurent  les plaisirs de la chair,  ce corps est pourtant bien notre prison ! Ne l'oublions pas : la "petite mort" porte bien son nom. Elle n'est qu'une séance de répétition avant l'exécution de l'oraison funèbre qui clora notre existence sur terre.