Moi qui voue une passion aux paradoxes , je dois dire que je suis servie
, depuis que nous naviguons sur l'océan de la mondialisation . Si notre
planète est devenue un village , inversement le "village" dans lequel
nous vivons est devenu une planète . Car les habitants qui le peuplent,
aussi proches qu'ils puissent être de nous géographiquement , sont
aussi éloignés de nous que les occupants d'une galaxie lointaine .
Prenons l'exemple de nos voisins . Connaissez-vous les vôtres ? Pas si
sûr. Peut-être certaines circonstances fâcheuses vous ont-elles mis en
présence de l'un d'entre eux. Un dégât des eaux , vraisemblablement, ou
quelque nuisance sonore nocturne , submergeant votre désir de plonger
dans cette phase de sommeil que l'on nomme paradoxal . Une chose est
sûre , vous n'avez , après cela , aucune envie de les rencontrer à
nouveau . Ni sur terre , ni au ciel . Et pour cause. Ils sont le miroir
de la réalité humaine que vous tentez de fuir aussitôt rentrés chez vous
.
En revanche, vous avez plus de mal à vous passer de la compagnie d'internautes invisibles, même s'ils sont trop volubiles .
Après tout , vous pouvez les laisser pérorer autant qu'ils le souhaitent .
Ils n'exigent de vous aucun effort . Et si vous jugez qu'ils
manifestent une volonté d'ingérence un peu trop marquée dans votre vie , il vous suffit de les éliminer de votre salon virtuel en un clic . Pourquoi
donc s'en priver ? Point de compte à rendre . Au diable la
susceptibilité ! D'ailleurs , vous ne connaissez d'eux que ce qu'ils
veulent vous montrer , et ils se gardent bien de promouvoir leurs
failles.
Un de perdu , dix de retrouvés, dit le proverbe , sauf que la boulimie
ambiante d'échanges, qui ne manque pas de nous contaminer, nous oriente plus vers le millier que la dizaine .
Ce ne sont plus des salons virtuels dans lesquels nous causons, mais
des quais de gare . Que dis-je ! Des aéroports internationaux , car , il
faut bien le reconnaître, l'on ne véhicule plus notre pensée dans
notre langue vernaculaire . Il y a des lustres que cette dernière a
perdu de son lustre , éclipsée par sa voisine d'outre-Manche. Et si l'envie de communiquer avec des Lapons nous en prend, et que le gap
langagier devient trop difficile à combler , reste le recours aux
pictogrammes , plus connus sous le nom d'emoticons , ou , pour les plus
sophistiqués , d'emojis.
Mais la multiplicité des échanges et des langages ne peut masquer une
vérité unique. Quand bien même nous converserions avec les trois quarts
de la planète , nous n'en serions pas moins acculés à une solitude
sidérale devant nos écrans numériques. Repliés dans un confort fœtal ,
aspirant à redevenir des embryons , nous nous croyons immergés dans la
matrice maternelle alors que nous nous asphyxions dans la Matrix
virtuelle . Malraux avait raison : " Le XXIème siècle sera religieux ou ne sera pas ", à ceci près que le Dieu que nous avons choisi ne nous relie pas
entre nous , mais nous lie inextricablement à nous-mêmes , et nous condamne à vivre dans
un néant relationnel des moins salutaires.
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