Qu’on se rende au domaine de de
Marly-le-Roi, et le premier sentiment qui nous étreint est la
déception . Une majestueuse allée , bordée de sentinelles
végétales, nous conduit avec pompe à un écrin de verdure. Mais
cet écrin, il est désespérément vide. Seul un tracé approximatif suggère
l’emplacement d’un château aujourd’hui disparu.
Jadis se dressait la vaste demeure
royale, agrémentée de marbres et de dorures, où des laquais en
livrée prévenaient le moindre des désirs royaux.On raconte que le Roi-Soleil affectionnait tout particulièrement de nourrir les carpes
d’un bassin. Etrange prédilection , certes, mais, comme chacun sait, les carpes sont muettes et se contentent de faire des bonds . Subtile invitation au silence que Louis XIV
adressait aux courtisans trop volubiles…A la place du bassin aux carpes,
s’étale une cavité béante, parcourue d’herbes folles, où des
chiens en liberté conditionnelle aiment à folâtrer.
Un autre tracé témoigne de
l’emplacement des pavillons des invités royaux : Louis-le
Grand choisissait avec soin les rares hôtes qui auraient le
privilège de l’accompagner à Marly. Car plus qu’une résidence
secondaire, Marly se voulait l’anti-Versailles, jardin secret d’un
roi redevenu simple mortel. C’est ici que le monarque se dépouillait
de sa grandeur , s’étourdissait au son des cascades de Le Nôtre ,
s’abîmait dans la contemplation des chevaux de pierre se cabrant
sous la main de l’homme. Les cascades ont , elles aussi, déserté
les lieux. On a du mal à concevoir que cette succession de talus
herbeux avait pour vocation de recevoir l’eau vive.
Plus rien ne subsiste des splendeurs
passées , comme si , par pudeur, l’histoire avait voulu effacer la
part d’humain du fils de Louis XIII , pour ne retenir que la
magnificence du grand monarque et de son Versailles. Le Roi-Soleil
ne pouvait avoir sa part d’ombre, semble nous dire la postérité.
Qu’en serait t’il si le bassin aux carpes existait toujours ?
Aurait-on fait tomber le roi de son piédestal, lui qui traverse les
siècles auréolé de gloire ? Saint-François charmait bien les
oiseaux , et Orphée les bêtes sauvages . Pourquoi donc
refuser au grand Louis le plaisir de commercer avec le monde
aquatique ?
A Marly, les pierres ne parlent pas.
Point n’est besoin de s’extasier devant les œuvres d’artistes
de renom. Mais, une fois
surmontée la déception de ne pas succomber au sublime, alors nous
vient imperceptiblement un sentiment nouveau. Le bonheur simple
d’être si proche et si lointain d’un grand souverain , que
l’on a du plaisir à imaginer au pied d’un bassin, l’œil
pétillant, et riant aux éclats aux bonds de carpe de l’humanité.
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